Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

La carte scolaire pour préserver la liberté de l'enseignement


M. Charles Chartouni, professeur à l’Institut des Sciences sociales de l’Université libanaise, et ancien responsable du département de l’Education aux «Forces libanaises», a longtemps milité en faveur d’un projet qui suscite l’intérêt de nombreux milieux pédagogiques: «renégocier le contrat scolaire dans le pays, et lancer sur ce plan un débat au niveau de toute la société». C’est à ce prix que l’on pourra préserver la liberté d’enseignement et assurer l’accès de tous les Libanais à une éducation égalitaire et de qualité.
A cette fin, M. Chartouni propose un projet qu’il avait déjà longuement étudié entre les années 85 et 90, alors qu’il était responsable du département d’Education aux «Forces libanaises», sans pouvoir l’appliquer à cette époque-là. La teneur du projet: financer l’enseignement à partir du denier public. Le but: donner au citoyen le droit de placer ses enfants dans l’école de son choix.
L’idée qui sous-tend cette entreprise est très simple: l’Etat doit déterminer le coût de l’enseignement et en déduire une moyenne de scolarité. Ensuite, il devra verser à l’enfant une somme d’argent équivalant à cette moyenne, par le biais de l’école. Celle-ci aura envoyé préalablement une liste des noms de ses élèves au ministère, qui devra à son tour vérifier les informations qui lui parviennent.
Mais comment financer ce projet? Les fonds seront collectés à partir d’impôts perçus à cet effet, mais aussi à partir d’aides et par l’établissement de mutuelles éducatives. Ainsi, les parents seront toujours contribuables, mais ils auront parallèlement la possibilité de placer leurs enfants dans l’établissement de leur choix. Ce système est très proche de celui de la carte scolaire adopté aux Etats-Unis ou celui du contrat scolaire en France.
Quelques précisions: quand la scolarité de l’école est supérieure à la moyenne déterminée par l’Etat, les parents devront se charger de la différence. Dans le cas des écoles officielles, donc gratuites, les élèves recevront l’argent à d’autres fins, comme l’achat des livres, des fournitures... De plus, les sommes versées à ces établissements publics serviront à améliorer leur qualité et leur performance. Il faut noter également que ces impôts varient selon la fortune de la famille, et que les foyers reçoivent des aides proportionnellement à leurs revenus.
«Ce projet, très inspiré des modèles belge et hollandais, n’est pas une idée nouvelle au Liban, nous raconte M. Chartouni. Il a été proposé pour la première fois dans les années 50 par le secrétaire des écoles catholiques de l’époque, Mgr Ignace Maroun. Il a été refusé alors par une faction des Libanais pour des raisons idéologiques qui pourfendent les principes de la liberté de l’enseignement».
«Ce projet a été relancé à la fin des années 50, par Pierre Gemayel, président du parti des Kataëb, mais celui-ci n’a pu faire voter le décret-loi en question. Il fallait attendre 1987 pour que le Parlement vote enfin une loi en faveur de l’aide scolaire. Cette loi a fait long feu, mais elle aura eu le mérite de constituer un précédent en la matière».
Sur les chances de voir un tel projet appliqué aujourd’hui, M. Chartouni proclame: «Aujourd’hui, les barrages idéologiques n’existent plus dans la même proportion qu’avant, les communautés libanaises étant davantage d’accord sur les principes d’une politique culturelle et éducative libanaise. D’autre part, l’argument qui veut que l’enseignement public soit garant d’unité nationale ne tient pas debout. En effet, il suffit pour cela de poser des principes politiques communément reconnus par la communauté éducative, nommément des principes qui s’inspirent d’une vision nationale des droits de l’homme et de normes professionnelles bien définies».
Selon M. Chartouni, la solution au problème de l’éducation ne passe pas exclusivement par l’Etat et ses collèges, mais par une réforme radicale de la politique de l’enseignement, laquelle ne peut se faire que par un consensus national. «Pour cela, explique-t-il, il faut accepter d’emblée l’idée de la liberté de l’enseignement, et compter non seulement sur l’Etat, mais sur la participation active de la société civile». M. Chartouni appelle donc à lancer un mouvement social en faveur de la liberté d’enseignement et de l’adoption de la carte scolaire, en vue de faire pression sur l’Etat. C’est l’Eglise, propriétaire du capital le plus important en matière d’établissements et d’effectifs, qui devrait, selon lui, lancer le débat et susciter un mouvement social d’ensemble.
Interrogé sur les craintes de certains concernant une mainmise de l’Etat sur le secteur privé en cas de subvention, M. Chartouni répond: «Ce projet prévoit l’établissement d’un contrat qui devrait évidemment délimiter les prérogatives de l’Etat. Toutes les parties prenantes doivent se mettre d’accord pour préserver l’indépendance des écoles au niveau de la pratique éducative. Le ministère aurait pour rôle de faire respecter les normes éducatives communément établies et de sanctionner les pratiques professionnelles des écoles selon des critères d’accréditation universellement reconnus». Et d’ajouter: «L’Etat devrait être le partenaire et le catalyseur des mouvements sociaux».

(Propos recueillis
par S. B.)
M. Charles Chartouni, professeur à l’Institut des Sciences sociales de l’Université libanaise, et ancien responsable du département de l’Education aux «Forces libanaises», a longtemps milité en faveur d’un projet qui suscite l’intérêt de nombreux milieux pédagogiques: «renégocier le contrat scolaire dans le pays, et lancer sur ce plan un débat au niveau de toute...