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Actualités - ANALYSE

La Troïka retrouve ses bonnes vieilles habitudes...

On sait ce qu’une lettre contient rien qu’en lisant le libellé de l’adresse, dit un adage de chez nous.
On a donc su tout de suite, rien que par l’annonce des six points du prétendu accord bilatéral conclu le mois dernier à Baabda, que la réconciliation Berry-Hariri n’était que de la poudre aux yeux, une façon de complaire aux Syriens qui recommandaient fortement une normalisation des rapports entre ces deux dirigeants. Tous les analystes, loyalistes compris, étaient tombés alors d’accord pour estimer qu’on n’avait réglé aucun des vrais différends opposant le président de la Chambre au président du Conseil, les six points en question portant sur tout autre chose, sur des questions qui ne faisaient pas vraiment l’objet d’un conflit, les solutions retenues étant de plus tout à fait irréalistes, donc irréalisables.
De fait la lune de miel n’aura pas duré un mois. Le contrat de mariage était piégé, ne reposait que sur des élément négatifs, à savoir ne pas mécontenter les décideurs, ne pas faire de vagues, ne pas voir les vrais problèmes pour les traiter en profondeur et... ne pas rester divisés face au camp global d’en face que Baabda tente maintenant de personnifier. Ce n’est pas avec deux négations qu’on fait une nation, disait Georges Naccache, et ce n’est pas non plus, contrairement aux lois mathématiques, avec des ni-ceci ni-cela que l’on fait un accord de pouvoir.
En pratique, dès à partir du moment où les Syriens ont ordonné qu’on laisse de côté jusqu’à nouvel ordre la question des présidentielles, lancée trop tôt à leur avis par M. Hariri, ce dernier n’avait plus tellement besoin de faire alliance pour un bout de chemin avec M. Berry en vue de contrer M. Hraoui à propos de cette échéance. On sait en effet que le président de la République avait, en tacticien consommé, rebondi avec habileté sur le thème de la non-prorogation par une surenchère immédiate prônant des élections présidentielles avancées. Ce qui avait affolé tout le monde, car personne n’est encore prêt, tant s’en faut. Pour gagner du temps, M. Hariri avait besoin du concours, indispensable en matière de procédure, du président de la Chambre et ce dernier s’en trouvait aise car il se retrouvait en position de négocier au mieux de ses intérêts le choix du panier de candidats sérieux qui resteraient en course après une rapide phase éliminatoire. Une fois le ballon des présidentielles dégonflé par les soins de Damas, tous les calculs tactiques, toutes les projections d’alliance conjoncturelle devenaient caducs. D’autant que n’étant plus tout à fait sur le départ, l’hôte de Baabda lui-même ne serait plus tenté de brûler ses vaisseaux en relançant sur la scène les bombinettes à polémique désamorcées à grand-peine naguère (grâce, toujours, à l’intervention des frères) qui ont pour nom réforme de la Constitution ou réintégration des émigrés dans la nationalité libanaise.
Reste que le chef du gouvernement souhaitait se gagner l’appui du président de la Chambre à l’occasion du débat sur le projet de Budget, très contesté comme on sait par les députés surtout sur des points capitaux comme l’augmentation de la taxation indirecte. Mais après les succès enregistrés au Japon et surtout en Iran (qui nous céderait le fuel destiné à l’EDL à moitié prix, ce qui permettrait à l’Etat d’économiser quelque 400 millions de dollars), M. Hariri n’exclut pas de lâcher du lest en ce qui concerne le relèvement des chiffres du barème numéro neuf qui taxe les produits importés ou ceux de la taxe mécanique. Il donnerait ainsi partiellement satisfaction à l’opinion publique et les attaques potentielles des députés s’en trouveraient émoussées, ce qui fait qu’il n’a plus tellement besoin du soutien de M. Berry.
Il n’est donc pas étonnant d’entendre aujourd’hui les partisans de ce dernier affirmer que «M. Hariri a rompu l’accord de Baabda».

Toufayli pomme de discorde

«De plus, ajoutent ces personnalités, M. Hariri a traité le cas Toufayli d’une manière désinvolte qui porte ombrage à notre chef, qu’il n’a pas consulté, en infirmant ses fermes engagements à l’égard de la région de Baalbeck-Hermel. M. Berry, indiquent ces sources, travaillait aussi dans l’intérêt de l’Etat en tant que tel dans cette grave affaire. Il avait ainsi adressé à cheikh Soubhi Toufayli, avec l’ancien député Khodr Tlayss, un message pour souligner que nul ne doit se permettre d’interdire l’accès d’une région libanaise aux ministres et aux députés de la République. M. Berry rappelait à cette occasion au dignitaire religieux que tout citoyen a le droit de critiquer les responsables et le gouvernement, qu’il existe plusieurs moyens légaux d’exprimer un mécontentement quelconque et qu’il n’a qu’à en user. Ce n’est pas notre faute, ajoutent ces amalistes, si Soubhi Toufayli a cru que M. Berry prêchait pour sa paroisse et a pensé lui faire une fleur en «réautorisant» les députés à se rendre à Baalbeck-Hermel tout en maintenant l’interdit frappant les ministres. M. Hariri a peut-être pensé que M. Berry l’avait doublé en concluant un accord contre lui avec le cheikh, mais il n’en est rien et avant de réagir il aurait dû s’expliquer franchement avec le président de la Chambre».
Pour sa part un haririen réplique en élevant le débat: «La décision de pacifier Baalbeck-Hermel par le biais de l’armée n’a absolument rien à voir avec les relations entre dirigeants locaux. Il s’agit bien sûr de faire prévaloir la loi et de rétablir l’autorité de l’Etat; mais nous avons aussi dû tenir compte du geste accompli dans notre direction comme dans celle de la Syrie par le président Clinton qui gomme les noms de nos deux pays de la liste des Etats qui produisent, exportent, encouragent ou protègent la drogue. Nul n’ignore que la sanction levée frappait essentiellement les plaines agricoles du Liban où les forces syriennes sont présentes, la Békaa et le Akkar. Il n’est pas question de laisser se développer un mouvement comme celui de Toufayli qui ferait de la Békaa-Nord un canton pratiquement autonome plantant de nouveau du haschisch et de l’opium. On peut d’autant moins plaisanter avec un tel sujet que sans les Américains il est douteux que nous puissions compter sur le soutien de la Banque mondiale, qui nous a permis d’avoir accès à une ligne de crédit de 400 millions de dollars et pourrait nous aider à en obtenir une autre allant jusqu’à un milliard de dollars. Il est également évident que d’une manière plus générale nous n’aurions plus aucune audience à l’étranger et ne pourrions plus compter ni sur les assistances ni sur les investissements si nous laissions une partie quelconque du Liban libéré échapper à notre contrôle sécuritaire et administratif. Et puis de quoi se plaignent les partisans de M. Berry? C’est très calmement, sans coup de force, que nous avons agi pour normaliser la situation sur le plan de l’ordre et de la légalité à Baalbeck-Hermel. Qu’ils n’oublient donc pas que nous étions en droit de faire arrêter cheikh Toufayli et certains d’ailleurs estiment que nous en avions le strict devoir. Nous n’en avons rien fait parce que les décideurs ont conseillé à M. Hariri cette option de force tranquille et aussi parce que l’intérêt bien compris de l’Etat veut qu’on limite au maximum les secousses internes, surtout si elles prennent un double cachet social et confessionnel, comme c’est le cas à Baalbeck-Hermel. Nous n’avons recouru ni à l’état d’urgence ni même à la proclamation de la région zone militaire et nous avons en outre limité à trois mois la mission d’exception de l’armée, alors que rien ne nous y obligeait».
A dire vrai, selon des sources, informées, M. Hariri penchait sérieusement pour la proclamation de l’état d’urgence et de la zone militaire et s’il y a renoncé c’est à la suite de l’oppositon énergique de M. Berry, et des ministres qui lui sont proches, à un tel projet. Mais même les mesures assouplies ne semblent pas avoir l’agrément de ce camp et M. Berry, selon les mêmes sources, «a riposté sur un autre front susceptible d’embarrasser beaucoup le chef du gouvernement: il a fait approuver par les commissions parlementaires le projet d’adoption du nouveau barème des échelons dans la fonction publique, ce qui va mettre les Finances aux abois».
Ce qui n’est pas certain car pour monnayer cette augmentation des traitements des fonctionnaires, il y a toujours le contribuable qu’on peut pressurer.
Cela étant, les nouveaux tiraillements au sein de la troïka gèlent le mouvement diplomatique qui devait avoir lieu incessamment ainsi que le pourvoi des postes vacants. Et il faudra sans doute attendre le prochain sommet élargi libano-syrien, prévu pour le mois prochain (au titre de la réunion annuelle du Conseil supérieur mixte), pour que les choses se débloquent. Car les décideurs veilleront probablement, encore une fois, à ce que les dirigeants libanais ne se présentent pas chez eux en ordre dispersé.

Ph. A-A.
On sait ce qu’une lettre contient rien qu’en lisant le libellé de l’adresse, dit un adage de chez nous.On a donc su tout de suite, rien que par l’annonce des six points du prétendu accord bilatéral conclu le mois dernier à Baabda, que la réconciliation Berry-Hariri n’était que de la poudre aux yeux, une façon de complaire aux Syriens qui recommandaient fortement une...