Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Le cas Toufayli : des tests à répétition pour l'autorité publique ...

Une fois de plus, qui pourrait bien n’être pas la dernière, les autorités traitent la rébellion de cheikh Toufayli par le recours à l’armée, en charge pour trois mois de l’ordre, de la stabilité et de la sécurité dans la région de Baalbeck-Hermel où elle veillera donc à empêcher tout mouvement séditieux. En septembre dernier, le Conseil des ministres ordonnait à l’armée et aux FSI d’appliquer des mesures rétablissant l’autorité de l’Etat dans cette région. Il était alors précisé que dans la Békaa, mais aussi dans la banlieue-sud de Beyrouth, toutes les polices (FSI, gendarmerie, Sûreté générale, brigade judiciaire, Sûreté de l’Etat) étaient placées sous le commandement opérationnel de l’armée. Parmi les dispositions qui devaient être exécutées, l’interdiction des rassemblements, la fermeture des médias audiovisuels non autorisés et la répression des infractions à la loi sur le bâtiment (constructions illicites sans permis) ainsi qu’une lutte intensifiée contre la criminalité ordinaire, les gangs de voleurs de voitures dont les repaires se trouvent généralement, comme on sait, bien à l’abri, bien «protégés» dans les petits villages de la Békaa.
Le gouvernement déclarait alors que le dossier était clos, le problème tranché pour de bon, l’herbe coupée sous les pieds de ceux qui tentaient de rétablir le règne des mini-Etats dans l’Etat. Toufayli avait répondu en qualifiant ces décisions de «tristement ridicules», ajoutant qu’il poursuivait sa «révolution des affamés» et précisant qu’à son avis c’est le pouvoir lui-même qui se discréditait, en perdant par de vaines gesticulations toute aura aux yeux de l’opinion.
Les développements ultérieurs ont paru donner amplement raison au cheikh contestataire qui a effectivement poursuivi, en toute quiétude, sa marche sécessionniste en dosant progressivement ses effets jusqu’à réussir au bout du compte à interdire l’accès de sa région aux ministres comme aux députés, sans que personne (sauf peut-être M. Mohsen Dalloul qui ne l’a d’ailleurs pas tout à fait crié sur les toits) n’ose relever son défi. L’étalage de muscles de l’été n’avait produit au bout du compte que quelques arrestations de voleurs de voitures et quelques infractions de construction réprimées. Toufayli lui-même n’a pas été inquiété, ni arrêté ni même convoqué, malgré sa violation constante en actes comme en déclarations des lois les plus essentielles de l’ordre républicain. En termes de droit pénal, son comportement subversif est un crime avec circonstances aggravantes du moment qu’il se perpétue malgré les mises en garde et les rappels à l’ordre.

Raisons multiples

Sur le plan technique, il paraît dès lors extrêmement étonnant qu’un mandat d’arrêt n’ait pas été délivré contre lui. Mais nul dans le pays ne s’en montre en réalité surpris; on sait trop bien en effet que Toufayli s’agite dans une zone — géographique mais aussi sociale et politique —, à juridiction, à souveraineté confuses sinon partagées. Il faut ainsi prendre en compte la présence comme la volonté des décideurs dans une région frontalière à haute sensibilité; mais également des éléments comme le statut social qui met en pratique un notable hors-la-loi au-dessus de la loi; ou encore l’appartenance confessionnelle qui fait jouer automatiquement le bouclier de la protection communautaire dans tout cas de ce genre. Nul n’ignore ainsi qu’au sein du pouvoir c’est M. Nabih Berry qui s’est opposé à ce que des sanctions effectives viennent frapper Toufayli et son mouvement.
Une pusillanimité dont le «cheikh rouge», assez avisé pour savoir qu’il existe des lignes rouges, tire largement profit, en évitant soigneusement de se frotter aux forces de l’ordre, accueillant même l’armée avec plein de courbettes, en affirmant que les soldats «sont nos enfants».
Toujours est-il que dans une affaire comme cela, il ne peut pas y avoir de «ni vainqueur ni vaincu». Les responsables qui avaient espéré s’en tirer en septembre par un semblant de sursaut autoritaire n’ont pas tardé à s’apercevoir que Toufayli, après avoir fait le mort pendant quelques jours pour ne pas braquer l’armée, est reparti de plus belle sur le chemin de la guerre une fois expirée la mission des militaires. L’autorité de l’Etat ne peut donc être rétablie qu’en coupant le mal à sa racine. En 1994, c’est ce qui avait été démontré avec les F.L. que l’on avait dissoutes avant qu’elles aient eu le temps de dire ouf et avant même d’arrêter leur chef ou d’établir l’implication de certains de leurs membres dans l’explosion de Zouk. On avait même, «en passant», neutralisé les médias audiovisuels en leur interdisant de diffuser des informations et c’est la Chambre de l’époque qui avait dû réagir pour annuler cette violation autoritaire des lois par le pouvoir. Quand il veut vraiment s’imposer, l’Etat n’hésite pas à fouler lui-même la loi aux pieds et il sait en tout cas être très «efficace». On l’a vu dans nombre de cas plus ou moins frappants, dont les arrestations de aounistes après la fusillade de Tabarja ou la neutralisation aussi définitive qu’illégale de certains protagonistes de scandales financiers comme Farid Moussalli.
Le défi auquel les autorités se trouvent confrontées aujourd’hui est de taille: c’est un autre Etat en effet que Toufayli crée dans sa région où il a mis en place une Assemblée qui remplace les députés dont il gomme donc la représentation. Et en empêchant les ministres de se rendre à Baalbeck-Hermel, il renie tout simplement l’appartenance de cette contrée à la République libanaise.
Sur le plan pratique, les dernières résolutions concernant Toufayli suscitent nombre d’interrogations dans les cercles politiques. Pourquoi trois mois et pas plus ou moins? Et après, que ferait-on si Toufayli se remettait à s’agiter, à supposer que pendant ces trois mois il se tienne calme? Va-t-on remettre le couvert à chaque fois? Comment être sûr que la sédition ne va pas reprendre et même s’étendre à d’autres régions comme la banlieue-sud, du moment que son chef échappe aux lois qui, par ailleurs, sont sévèrement appliquées aux faibles? Faudra-t-il proclamer Baalbeck-Hermel zone militaire une fois pour toutes et à tout jamais, comme sous le règne de Fouad Chéhab qui a usé de la manière forte pour mater les tribus qui n’en finissaient pas de se faire la guérilla? Faudra-t-il, pour consacrer enfin le règne de la loi, attendre qu’on ait dépensé les 150 milliards de L.L. promis à Baalbeck-Hermel et la sécurité devra-t-elle être de la sorte achetée dans chaque coin du pays?
Les députés de la Békaa, qui sont en port-à-faux actuellement, pensent ainsi que le «développement» doit passer avant tout. Mais, pour conclure, il est certain que les efforts d’assistance, pour nécessaires qu’ils soient, ne sont pas une solution au problème d’autorité que pose le cas de Toufayli. Il faut dès lors espérer que les dirigeants se rappelleront ce que Scalfaro leur a lancé, dans son discours, Place de l’Etoile: «Votre peuple appelle la démocratie de ses vœux et souhaite sentir la présence vivante de l’Etat». Et c’est tout dire.

E.K.
Une fois de plus, qui pourrait bien n’être pas la dernière, les autorités traitent la rébellion de cheikh Toufayli par le recours à l’armée, en charge pour trois mois de l’ordre, de la stabilité et de la sécurité dans la région de Baalbeck-Hermel où elle veillera donc à empêcher tout mouvement séditieux. En septembre dernier, le Conseil des ministres ordonnait à...