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Actualités - ANALYSE

Le choc des médias


Sous l’impulsion, principalement, de Dar el-Fatwa, mais avec l’adhésion unanime de toutes les autorités religieuses, une campagne pour la moralisation des programmes télévisés, et en particulier des messages publicitaires, a été lancée. La campagne entend protester d’abord contre la programmation aux heures d’audience réservée aux jeunes, de publicités portant atteinte à la moralité publique (apologie de la désobéissance, de la permissivité), mais aussi de la diffusion de films et de programmes qui heurtent les valeurs communes au Liban.
Il en va de cette question comme de toutes celles qui concernent notre vie publique. Il y a trois manières de la réglementer: par la voie de la justice, de l’amour ou... de l’intimidation violente.
Issus d’horizons culturels et religieux différents, les Libanais n’ont pas tous exactement les mêmes valeurs, les mêmes sensibilités. Pour comprendre la campagne lancée, il faut partir d’un fait bien concret: des gens sont choqués par certaines scènes que leurs enfants regardent — The Bold and the Beautiful à 18h30!
Ce problème est en partie dû à la situation d’anarchie juridictionnelle où nous vivons. Dans des pays où la législation est plus avancée, certains des films que nous visionnons sont interdits ou réservés à certaines tranches horaires tardives, et certaines des attitudes purement commerciales qui prévalent, notamment dans les programmes pour jeunes, sont sévèrement contrôlées. Nos jeunes sont littéralement jetés en pâture à des sociétés commerciales, qui les exploitent honteusement et les transforment en véritables machines à consommer. Sous d’autres cieux, ces programmes seraient impensables.
L’une des premières fonctions de la loi serait donc de réglementer les programmes, en sorte que le modelage des mentalités et des attitudes dont le petit écran est responsable ne soit plus uniquement livré à la loi du marché et du profit.
Mais on peut aussi aller au-delà de la simple problématique de qui a tort et qui a raison, et dans l’amour, s’abstenir de tout ce qui choque l’autre pour nulle autre raison, sinon celle qui tient au fait qu’elle le choque. Il ne s’agit pas de se rendre à la raison d’autrui, contre ses propres convictions. Mais on peut, par solidarité, conserver sa liberté de jugement, tout en s’abstenant de tout ce qui choque un être dont la conscience est jugée, à tort ou à raison, «plus faible».
Cette solution s’inspire de celle que Saint Paul a trouvée pour régler le problème des viandes immolées. Dans le monde antique, expliquent les spécialistes, les sacrifices d’animaux accompagnaient presque toujours les fêtes. Les dieux, les prêtres et les donateurs recevaient d’abord leur part de viande immolée et le reste était consommé en des repas sacrés ou écoulés à bon compte sur les marchés. D’où toute une série de cas de conscience pour un chrétien. Avait-on le droit de prendre part à un repas sacré? d’acheter de la viande immolée aux idoles? d’en manger à une table où l’on se trouvait invité? Saint Paul va résoudre ce dilemme en affirmant que la liberté de jugement du chrétien demeure entière, mais sa liberté d’action est limitée par le devoir de ne pas scandaliser ses frères, encore emprisonnés dans les préjugés de leur paganisme d’hier.
Mais il est une troisième manière de régler le problème, et c’est par l’intimidation. Que charrient donc les spots publicitaires dénoncés? Très souvent, une culture hédoniste, toute tournée vers les plaisirs, cynique, mercantile, individualiste. Rien de nouveau d’ailleurs, les Libanais n’ont que trop souffert de cette mentalité qui était le revers de l’insouciance dans laquelle le Liban a vécu ses trente premières années d’existence, évanouies dans un bain de sang. A ce niveau, la loi ne serait que trop bienvenue, pour faire régner un ordre public impunément violé par les plus riches ou les plus puissants, et que des individus ou des groupes brimés et choqués pourraient bien être tentés de rétablir par une action directe violente.
Au fond, nous sommes en présence d’un problème de finalité, nullement d’un conflit entre «les milieux religieux» et la société sécularisée, mais d’une question de liberté. Il s’agit de savoir ce que nous voulons faire de cette liberté, de sa puissance d’autodestruction et de sa capacité d’édifier. C’est l’abbé Pierre, dans son plus récent ouvrage «Mémoire d’un croyant», qui en parle le mieux, quoique dans un autre contexte.
«La liberté, dit-il, meurt moins des coups que lui portent ses ennemis extérieurs que du reniement de sa propre finalité: aimer. Sur une planète où surabondent les riches mais où le plus grand nombre ne peut avoir part au minimum vital, les véritables champions de la liberté sont ceux qui la réhabilitent en l’arrachant à l’apostasie de l’amour».

Fady Noun
Sous l’impulsion, principalement, de Dar el-Fatwa, mais avec l’adhésion unanime de toutes les autorités religieuses, une campagne pour la moralisation des programmes télévisés, et en particulier des messages publicitaires, a été lancée. La campagne entend protester d’abord contre la programmation aux heures d’audience réservée aux jeunes, de publicités portant...