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Actualités - OPINION

Carnet de route Lettre à Walid Bey Joumblatt

Monsieur le Ministre,
Je ne sais depuis combien de temps vous nourrissez la conviction que le Liban est «un territoire peuplé de tribus», mais je ne suis pas loin de vous rejoindre, au mot «tribu» près (1). A la recherche de définitions, surtout depuis 22 ans, je concluais, cherchant le plus petit dénominateur possible, que nous étions «un territoire peuplé d’hommes et de femmes». L’Etat, c’était bon pour l’ONU et pour les passeports. La guerre n’était pas civile: ce n’était pas le peuple qui s’était scindé en deux parties, comme en Espagne ou en Grèce, mais un archipel de fragments de peuple, qui se battaient pour les clans, deux nations-sœurs qui combattaient pour leur existence politique ou leur pouvoir régional, et une nation ennemie «sûre d’elle et dominatrice». Bon. Vous avez combattu, vous aussi, pour préserver votre ethnie contre d’autres ethnies. Bref, tout cela fleure bon le primitivisme, mais qui osera nier encore que le Liban est un agrégat primitif? Laissons notre élite de côté: comme dans tous les pays, son drame est de ne représenter trop souvent qu’elle-même, tout autant que de ne pas constituer un groupe politique uni. Alors, où allons-nous, dans ce territoire peuplé de gens que nos mœurs empêchent d’être des individus? Je ne crois pas qu’il faille puiser dans le vocabulaire politique occidental pour le savoir, et il ne me gêne nullement que nous ne formions pas un Léviathan. Nous n’avons guère un large choix de destinations, coincés que nous sommes par la géographie. Mais si chaque ethnie approfondissait les raisons de son sentiment d’appartenance à tel ou tel morceau de territoire et se donnait le temps de mûrir, ce qui implique, entre autres, de renoncer à ses peurs, pour commencer (à travers des gestes minima de «neutralité» envers l’autre), il y a peut-être lieu d’espérer que, loin de copier le modèle occidental, qui est, pour la majorité, un viol, en ne l’adaptant qu’avec précaution éventuellement, chaque ethnie donc, abaissera suffisamment ses murs pour regarder sur la pointe des pieds, celle d’en face.
Si.... Si.... Si.... Et pourquoi pas? La seule difficulté, et elle est énorme, réside dans le «comment».
Monsieur le ministre,
Je n’ai jamais cru que vous n’aimiez pas les chrétiens, comme vous vous en défendez. Je suis seulement agréablement surprise que vous ne vous attaquiez qu’au «maronitisme politique», avec d’autres mots que ceux de votre père, qui étaient violents envers la communauté tout entière à laquelle j’appartiens et dont les péchés, pour lui, s’étendaient sur des siècles. Est-ce dû à la différence de génération? Est-ce simplement du réalisme, aujourd’hui que cette communauté a perdu, ne serait-ce que démographiquement, tout droit à la suprématie, et que vous friseriez le ridicule en en faisant un grand satan?
Les maronites, vous le savez, sont aujourd’hui sur la défensive. Ils fourbissent des armes de survie en attendant de surmonter le choc qui leur a fait perdre soixante ans de pouvoir. Leur mission communautaire est désormais simple: lutter contre des injustices revanchardes, assurer leur cohésion, vivre en liberté, construire, renforcer leurs pôles représentatifs. D’ailleurs, l’expression de «maronitisme politique», venant de vous, à la fin de 97, puis-je vous dire respectueusement qu’elle apparaît comme un archaïsme. «Caduque» comme disait en français Arafat, à propos d’autre chose.
Allons, Monsieur le Ministre, un peu de cet humour dont vous êtes si bien pourvu, lâchez cette proie périmée, et retrouvons-nous, de tribu à tribu, égaux, en tout cas devant Dieu, pour clarifier un peu l’état de notre «territoire» fatalement commun. Croyez, M. le Ministre, à ma fraternité.?
Amal NACCACHE

(1) N’ayant pu obtenir la version arabe de votre interview, je propose «ethnie» ou «ethnie politique», le signifiant «tribu», en français, évoquant, pour le lecteur moyen, soit le nomadisme soit l’extrême primarité sociale.
Monsieur le Ministre,Je ne sais depuis combien de temps vous nourrissez la conviction que le Liban est «un territoire peuplé de tribus», mais je ne suis pas loin de vous rejoindre, au mot «tribu» près (1). A la recherche de définitions, surtout depuis 22 ans, je concluais, cherchant le plus petit dénominateur possible, que nous étions «un territoire peuplé d’hommes et de...