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Actualités - OPINION

Carnet de route De Sully Prudhomme au Che

Je n’ai rien contre le prix Nobel de littérature de l’année, Dario Fo en l’occurrence, moi qui donnerais tous les Nobel de la terre à Raymond Devos. Mais j’aurais préféré choisir, dans la liste des nobélisables donnée par la presse la veille du grand «suspense», Adonis, bien sûr (1), V.S. Naipaul ou Doris Lessing. Naipaul pour la justesse de son regard sur la tristesse du monde, le Naipaul des essais sur l’Inde et l’Iran de la révolution, et pour le chef-d’œuvre que reste, même en traduction, son roman «Guerilleros». Doris Lessing pour «Le carnet d’or», «Le journal de Jane Sommers» et la virilité de son «Autobiographie»(2). Tous deux pour la maîtrise de leur langue. Tous deux parce que ce sont des bâtards de la culture et de la géographie, lui, Indien de Trinidad, elle, Blanche de Rhodésie du Sud, et ce n’est pas un hasard si ces deux écrivains ont choisi aujourd’hui de vivre en exil, volontaire, à Londres. Mais tels n’étaient pas les souhaits des jurés dont les ancêtres avaient accordé le premier Nobel de littérature de l’histoire, au début du siècle, à Sully Prudhomme. Relativité de la gloire...

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Il est triste, le Che. On croit même voir briller des larmes dans ses yeux, plus noirs que de raison. C’est vrai qu’il a de quoi pleurer, cet absolutiste de l’absolu, en cette année de commémoration d’une mort voulue, même si elle fut criminelle. Il ne pleure pas sa mort, non, il pleure la récupération mondiale d’une image qui ne lui ressemble plus. La mainmise de l’édition internationale, qui a produit, en 1997, plus de dix ouvrages de première main sur sa vie. La course effrénée des médias («Spécial le Che», «La vraie personnalité de Che Guevara», «Le dernier des romantiques», etc., etc ). L’enthousiasme d’une jeunesse dont on se demande si elle le prend pour un Elvis Presley latin sur fond de maquis, ou un saint-martyr, trente ans après sa disparition. Transformé en mythe, exhaussé en légende, Che Guevara pleure sur les T- shirts et la pacotille dont se parent ses compagnons posthumes. Comme Evita Péron, sa compatriote, comme tous ces grands passionnés — si différents fussent-ils l’un de l’autre — qui ont embrassé le monde par le cœur, encore plus que par l’intelligence, et qui font l’objet d’une vénération de longue durée. Comme Diana? On croit entendre ici les foudres de son fils, Libanais pour quelques jours. Et pourtant quelle différence d’impact entre son frère et la princesse, pour ce qui est de la diffusion planétaire d’un mythe? Le Che, comme Evita, comme Diana (et comme Rudolf Valentino), est devenu l’icône d’une «humanité du spectacle», qui va puiser dans les hypermarchés de l’histoire contemporaine des personnages qui restaurent une pureté perdue par ses hommes.
Par le rêve, à travers les reliques, par le manichéisme de leur vision. Allez, le Che, vous manquez de tenue. Ne pleurez plus. Ce serait indigne de vous. Amusez-vous de votre postérité: après tout, elle est faite d’amour. Et l’amour, dans d’autres temps, d’autres lieux, vous en étiez le hérault. Il s’appelait, simplement, révolution. Un des multiples noms de Dieu sur terre. Quelque visage qu’il prenne. Celui de votre fils, par exemple.

Amal NACCACHE

(1) Voilà quatre fois que le prix lui passe sous le nez. Trois fois de trop. C’est louche...
(2) «My autobiography», peut-être pas encore traduite en France.


Je n’ai rien contre le prix Nobel de littérature de l’année, Dario Fo en l’occurrence, moi qui donnerais tous les Nobel de la terre à Raymond Devos. Mais j’aurais préféré choisir, dans la liste des nobélisables donnée par la presse la veille du grand «suspense», Adonis, bien sûr (1), V.S. Naipaul ou Doris Lessing. Naipaul pour la justesse de son regard sur la...