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Actualités - CONFERENCES DE PRESSE

Au cours d'une conférence de presse à Beyrouth "Les droits de l'homme sont en danger au Liban", affirme Amnesty International

Pour la première fois depuis la fin officielle de la guerre libanaise, Amnesty International — qui, comme elle se présente elle-même, traque l’injustice où qu’elle se cache — a publié hier un rapport complet sur la situation des droits de l’homme au Liban de 1990 à nos jours.
Si le constat est assez lourd, voire désolant — d’autant que, comme le souligne le représentant de l’organisation internationale Abdel Salam Sid Ahmed, les exactions sont commises par les autorités légales —, il est tout de même rare qu’un rapport aussi accablant soit publié dans le pays même qu’il fustige. Mais le plus important demeure le fait que selon Amnesty International, la situation des droits de l’homme est en détérioration constante au Liban.
C’est au syndicat de la presse, en présence de M. Mohamed Baalbacki, que les deux représentants d’Amnesty International, M. Abdel Salam Sid Ahmed et Mme Karima Bannoun, ont dévoilé aux représentants de la plupart des médias — sauf Télé-Liban — la teneur de leur rapport sur le Liban. Le président du syndicat a tenu à présenter lui-même les deux orateurs. M. Baalbacki a ainsi rappelé qu’il avait une expérience heureuse avec cette organisation. Car, lorsqu’il avait été emprisonné et condamné à la peine de mort, en 1962, les autorités de l’époque avaient reçu un blâme réquisitoire de la part d’une organisation encore pratiquement inconnue qui dénonçait violemment les procès politiques et la peine de mort. «Certes, ce n’est pas cela qui a modifié l’attitude des autorités, mais le commuiqué a eu un qqrand impact au sein de l’opinion publique», a déclaré M. Baalbacki qui a résumé ainsi l’importance et la portée de l’action d’Amnesty International.
M. Abdel Salam Sid Ahmed — originaire du Soudan et délégué d’Amnesty International pour le Moyen-Orient — a ensuite pris la parole pour expliquer la mission de l’organisation qu’il représente. «C’est d’abord une grande joie pour moi de divulguer ce rapport à la presse à partir de Beyrouth», a-t-il dit.Il a aussi précisé que ce rapport est consacré aux exactions commises par les autorités libanaises, la situation dans la partie occupée du pays (le Sud et la Békaa-Ouest) ayant déjà fait l’objet de plusieurs rapports et notes transmis à la presse. M. Sid Ahmed a défini la mission d’Amnesty International: dénoncer et réclamer l’arrêt des tortures, exiger le déroulement de procès équitables, tenter de retrouver les personnes disparues et œuvrer en vue de l’abolition de la peine de mort.
Mais c’est à Mme Karima Bannoun, américaine d’origine algérienne et conseillère juridique de l’organisation, qu’est revenue la mission de présenter le rapport.
Comme les personnes présentes en avaient déjà obtenu des copies, c’est dans un silence quasi religieux que Mme Bannoun a entamé son résumé du rapport.
«La situation des droits de l’homme au Liban menace de se détériorer, d’autant que les droits élémentaires des citoyens sont bafoués au nom de la sécurité et de la consolidation de l’autorité de l’Etat...».
Mme Karima Bannoun a ensuite expliqué que la fin de la guerre en 1990 était porteuse d’espoirs, mais le gouvernement n’a pas réussi concrétiser ces promesses. «Les autorités continuent à arrêter arbitrairement des personnes pour avoir exprimé pacifiquement leur opinion. Depuis 1990, des centaines de personnes ont été arrêtées pour des raisons politiques par la police, l’armée, les divers services et même par les Syriens.Des groupes politiques ont été pris pour cibles, sans que ne soient respectés leurs droits élémentaires...».
Mme Bannoun a cité ensuite un extrait du témoignage d’un milicien des FL dissoutes arrêté en 1994 puis relâché: «J’ai été arrêté, torturé puis relâché, sans raison et sans la moindre procédure légale. Et au moment de ma relaxation, on m’a sommé de ne pas me mêler de politique, de ne pas adhérer à des clubs ou de ne pas participer à des activités sociales...».
Un autre milicien emprisonné de 1995 à 1996 a raconté à Amnesty International que pendant deux mois et 17 jours, il a été soumis à une torture psychologique et physique.
Bref, selon le rapport d’Amnesty, il y aurait de tout au Liban: des arrestations arbitraires, des tortures, des procès peu équitables puisque les aveux sont extorqués sous la torture, des disparitions, notamment en Syrie, et des condamnations à la peine de mort. Toujours selon Amnesty, ce sont surtout les membres des FL dissoutes, ainsi que les partisans du général Aoun et des groupes relevant d’organisations hostiles à la Syrie, qui sont pris pour cibles par les autorités.Le rapport d’Amnesty précise aussi que la plupart des détenus torturés se trouvaient au ministère de la Défense à Yarzé et parfois dans des prisons non reconnues légalement.

Les prisonniers en Syrie

Le rapport évoque enfin les détenus libanais en Syrie, qui seraient plus de 200, dont la plupart sont emprisonnés dans des lieux secrets et sont interdits de visite. Selon le rapport, le gouvernement libanais a le devoir de rechercher ces personnes, même si de toute évidence elles ont été emmenées en Syrie avec l’aval des autorités libanaises.
Le rapport ajoute aussi qu’Amnesty a demandé des précisions sur ce sujet aux autorités libanaises et syriennes et qu’elle attend encore la réponse.
Le rapport d’une quarantaine de pages développe de nombreux points importants dont les prérogatives «grandissantes», selon lui,du tribunal militaire et le mécanisme de la Cour de justice.
Il évoque ensuite les séquelles de la guerre, notamment à travers le dossier des personnes disparues que les autorités ont décidé de clore avec la consolidation «de la paix civile». Il en arrive ainsi naturellement à parler de la loi d’amnistie adoptée le 26 août 1991, qui, bien que générale, ne couvre pas certains crimes.
Le rapport développe ensuite les points de la législation libanaise censés protéger les droits de l’homme avant de citer des exemples de leur violation. Il dénonce notamment les détentions arbitraires et préventives prolongées,effectuées souvent sans mandats, avant de présenter par ordre chronologique le relevé de la plupart de ces arrestations. Il y est notamment question des partisans du général Aoun, des membres des FL, mais aussi de deux membres du PCL, de notre confrère Pierre Atallah , du chef de la centrale syndicale indépendante, M.Elias Abou Rizk, et du militant des droits de l’homme, M.Waël Kheir.
Il est ensuite question des procès de l’attentat contre l’église de Zouk, de l’assassinat de Dany Chamoun, de sa femme et de leurs deux fils, ainsi que de la double tentative d’assassinat contre le ministre Michel Murr, devant la Cour de justice.
Il n’y a certes pas de révélations fracassantes, la plupart des éléments ayant été évoqués dans la presse libanaise, mais leur compilation est assez impressionnante.
Le rapport parle de trois cas parmi les détenus libanais en Syrie, notamment Obad Zouein, Albert Chidiac et Gaby Karam, qui, eux, ont été remis en liberté, mais il reste encore plus de 200 «disparus»...
Le rapport évoque ensuite les détenus morts en prison, officiellement de crises cardiaques, en réalité parce qu’ils n’ont pas supporté la torture, comme Mounir Mtanios (trafiquant de drogue) et Tarek Hussayniya (mort à la prison de Beiteddine)...
Un chapitre est ensuite consacré au tribunal militaire et à ses prérogatives «grandissantes». Il est ainsi question du procès de Hekmat Dib, membre de l’ordre des ingénieurs, et de 5 de ses compagnons, tous partisans du général Aoun, de celui d’Ahmed Hallak, condamné à la peine de mort pour avoir posé une bombe dans la banlieue-sud pour le compte du Mossad, ainsi que du cas de Pierre Atallah, dont le procès devrait s’ouvrir aujourd’hui.

Recommandations

A la fin de ce long rapport, l’organisation propose une série de recommandations, dont la création d’une commission d’enquête chargée de mener des investigations pour connaître le sort des personnes disparues en Syrie et ailleurs. Amnesty International suggère aussi aux autorités libanaises de respecter les dipositions de la loi au sujet des arrestations préventives, de faire cesser les tortures dans les prisons et au cours des interrogatoires, tout en décidant de ne pas tenir compte de tout aveu extorqué sous la torture. Amnesty invite aussi les autorités à respecter les droits des citoyens inculpés à se faire assister par un avocat et à avoir un procès équitable et réclame enfin vivement l’abolition de la peine de mort réactivée au Liban depuis mars 1994.
Au moment des questions, une jeune fille s’est levée pour lire une lettre adressée à l’opinion publique par le biais d’Amnesty International. La jeune fille voudrait connaître le sort des 220 personnes dont le chef de l’Etat dans une conférence de presse donnée le 24/11/96 avait reconnu l’emprisonnement en Syrie.
Une dame est alors intervenue, affirmant qu’il y a bien plus que 220 personnes, «plutôt des milliers», a-t-elle précisé. Et M.Baalbacki, voulant couper court à la polémique naissante, s’est empressé de déclarer: «Restons-en aux chiffres officiels. Le chef de l’Etat a reconnu l’existence de 220 détenus libanais en Syrie (J’étais moi-même présent à cette conférence de presse). Commençons par là...».
De son côté, Abdel Salam Sid Ahmed a remercié la jeune fille pour son intervention, précisant qu’une note a été envoyée aux autorités libanaises et syriennes au sujet de ces détenus et que l’organisation attend toujours une réponse. «S’ils sont coupables, qu’ils soient jugés et condamnés, a-t-il dit. Mais cette situation doit cesser.
M.Sid Ahmed a aussi précisé qu ’Amnesty International recoupe ses informations et mène des investigations sérieuses sur le terrain avant de décider d’établir des rapports. Il a aussi confié que des copies du rapport avaient été envoyées aux divers responsables du pays et que certains ont fait quelques remarques sur son contenu. «Nous attendons qu’ils nous donnent une réponse officielle. Je ne sais si c’est le ministre de la Défense, de la Justice ou de l’Intérieur qui la fera. Mais dans tous les cas, elle figurera dans le rapport.Nous croyons au dialogue et le fait même qu’il y ait une réponse prouve qu’il est engagé».

S.H.
Pour la première fois depuis la fin officielle de la guerre libanaise, Amnesty International — qui, comme elle se présente elle-même, traque l’injustice où qu’elle se cache — a publié hier un rapport complet sur la situation des droits de l’homme au Liban de 1990 à nos jours.Si le constat est assez lourd, voire désolant — d’autant que, comme le souligne le...