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Actualités - INTERVIEWS

De passage au Liban après une longue absence , elle se confie à l'Orient Le Jour Leïla Khaled, ses détournements d'avion, son errance et son long combat pour la Palestine (photo)

Dans l’un des multiples cafés de la prestigieuse rue Kaslik, une femme regarde la mer pensivement, une cigarette aux lèvres. Elle n’a rien des belles élégantes qui hantent les lieux, et on peut croire qu’elle s’est trompée d’endroit. Mais non, Leila Khaled a bien choisi de se trouver là, au milieu de cette foule animée, elle qui est longtemps restée dans la clandestinité(elle a fait l’objet de plusieurs mandats d’arrêt internationaux et a été emprisonnée à Londres), et de voir un peu comment vivent ceux qui n’ont pas, comme elle, décidé de consacrer leur vie au militantisme.
Dans sa tenue toute simple, avec ses chaussures un peu fatiguées, on croirait de prime abord que la passionaria palestinienne, devenue une légende au début des années 70 en détournant des avions, faisant ainsi trembler les Israéliens, s’est assagie. Mais dès qu’on entend sa voix, profonde, lourde de tant d’expériences et sans doute de souffrances,mais surtout dès qu’on voit ses yeux, longs, perçants, toujours en mouvement et pleins de passion, on comprend qu’il n’en est rien.
Certes,après les actions d’éclat des années 70, elle est plus ou moins rentrée dans le rang, d’autant que le FPLP avait alors décidé de renoncer aux détournements d’avion. Mais elle n’a jamais abandonné le militantisme et après avoir longtemps porté les armes, elle s’occupe aujourd’hui de la condition de la femme, avec la même fougue qu’elle mettait jadis à détourner des avions.
C’est dans un restaurant sombre de Raouché-qui a sans doute connu des jours meilleurs-,à une heure où les salles se vident, que Leila Khaled accorde cet entretien. A plusieurs reprises au cours de cette longue interview elle a les yeux brillants de larmes contenues, pour les compagnons disparus, pour le « maître» Wadih Haddad (le cerveau des opérations à l’étranger du FPLP) et pour le retour à cette terre tant aimée, sur laquelle flotte le drapeau de l’occupant.Et si elle n’aime pas beaucoup parler des détournements d’avions («J’ai fait d’autres choses dans ma vie», déclare-t-elle d’un air quelque peu excédé), elle nous livre quand même des détails inédits et raconte surtout sa vision de la cause et sa détermination à poursuivre la lutte, coûte que coûte, même s’il lui arrive de penser qu’elle ne verra peut-être plus jamais cette terre de Palestine tant aimée.
Résidant actuellement en Jordanie, où se trouvent son mari et ses deux enfants, Badr et Bachar, Leïla est de passage au Liban, pour une réunion familiale,puisque ses frères et soeurs dispersés ont fait le trajet pour la voir.Et cette femme aux lourds passé et présent de militante, qui continue à assumer de nombreuses responsabilités au sein du FPLP (Front populaire pour la libération de la Palestine) et du Conseil National Palestinien, a des délicatesses touchantes pour ses six soeurs et ses trois frères (elle a donné son rein à l’un d’eux, l’an dernier). En fait, ils étaient 12 enfants, mais une de ses sœurs est morte avec son mari devant ses yeux et deux de ses frères sont décédés.
Qu’a-t-elle pensé en visitant Kaslik, cette région qui lui a été longtemps interdite, bien qu’elle possède la nationalité libanaise? «Ce n’est pas la première fois que je m’y rends. Je ne considère pas le Liban comme des régions, mais comme une patrie. Même si, pendant un certain temps, elle s’est divisée en plusieurs régions, chacune relevant d’une confession. Aujourd’hui, je vais à Jounieh comme je me rends à Tyr».
N’a-t-elle pas à un moment donné cru à ce partage en régions et en confessions? «J’ai été élevée dans une maison de nationalistes arabes et j’ai vite adhéré à ce mouvement qui rejette les frontières établies par les accords Sykes-Picot dans la région. J’ai commencé ma vie de militante au FPLP -qui est le prolongement du mouvement des nationalistes arabes sur la scène palestinienne.C’est pourquoi je ne peux accepter les divisions régionales ou confessionnelles».
Pour elle, le peuple palestinien est redevable au peuple libanais pour deux choses:d’abord parce qu’il l’a accueillie lors de l’exode de 1948 et ensuite parce qu’il s’est montré solidaire avec lui dans sa lutte contre l’ennemi israélien.
«Personnellement, je me considère d’abord comme une arabe luttant pour la liberté et celle-ci ne peut être divisée, qu’il s’agisse du Liban, de la Palestine ou d’un autre pays arabe. C’est dans ce sens que je considère que les Palestiniens étaient, au Liban, en position de défense».

Des erreurs

Que pense-t-elle des propos de Farouk Kaddoumi, interrogé sur les erreurs commises par les Palestiniens au Liban? «Que celui qui n’a jamais péché, nous jette la première pierre», avait-il déclaré.
«Je dis simplement: celui qui agit commet toujours des erreurs.La résistance palestinienne a commis des erreurs au Liban et nous devons en tirer les leçons qui s’imposent».
Comment le faites-vous? «Il n’y a pas vous et nous. Nous sommes ensemble dans la même tranchée. Nous devons affronter un ennemi commun qui essaie de nous diviser. Je suis convaincue que les Israéliens, le mouvement sioniste et les Américains qui l’appuient veulent asservir tous les peuples du monde.C’est pourquoi ils cherchent à ce que nous nous battions entre nous».
Ils servent leurs intérêts, mais pourquoi les Arabes jouent-ils le jeu?
«Le complot trouve malheureusement toujours des agents pour l’exécuter», dit-elle.
Où situe-t-elle dans ce schéma les pays du Golfe? «Tous ceux qui se tiennent aux côtés du camp américano-sioniste, se placent forcément du côté ennemi».
Après toutes les années écoulées et leur lot d’échecs, n’est-il pas temps de revoir ses convictions?
«Pour moi, l’ennemi est toujours le même et il continue à essayer de nous détruire. Si nous sommes tous convaincus de son identité, nous devons trouver les moyens de l’affronter.Il est temps de dépasser notre défaite commune et d’oublier les vieilles rancœurs».
Selon elle, les Palestiniens sont-ils tous d’accord sur l’identité de leur ennemi et sur les moyens de l’affronter?
«Non.Ceux qui ont signé l’accord d’Oslo ne croient plus qu’Israël est l’ennemi. Ils pensent qu’il faut prendre aux Israéliens ce qu’ils peuvent nous donner.Nous autres, nous considérons que l’ennemi est toujours le même et qu’il ne faut rien accepter de lui».
«Sa stratégie pour le siècle à venir est de contrôler toute la région arabe».
Les Arabes peuvent-ils affronter un projet aussi grand?
«Dans leur projet, les Israéliens ne tiennent pas compte de l’existence de peuples dont la détermination est si forte qu’elle peut vaincre les armes les plus sophistiquées. Rappelez-vous comment les Israéliens ont quitté Beyrouth, et les Américains le Vietnam ou la Somalie... Rappelez-vous aussi le débarquement de l’unité d’élite israélienne, le bataillon Golani à Ansariyé. Souvenez-vous enfin de l’intifada palestinienne...Les petits peuples, sans moyens, peuvent accumuler les petits points qui les mèneront à la victoire».
Cela fait déjà 50 ans, combien de temps faudra-t-il encore attendre pour en arriver là?
«Nous ne travaillons pas pour l’avenir immédiat. Si le projet sioniste s’étend sur 500 ans, nous pouvons le réduire jusqu’à 200..».

Mes fils sont libres

En tant que mère de deux jeunes garçons, de quel droit leur donne-t-elle en héritage cette lutte à l’issue incertaine?N’a-t-elle pas le devoir de leur laisser la liberté de choisir leur voie?
«Mes fils sont libres de choisir leur voie, mais je dois leur dire qu’ils sont Palestiniens et que leur terre est occupée et qu’il faut lutter pour la libérer».
En se mariant et en élevant ses enfants, ne s’est-elle pas embourgeoisée? «Notre lutte a produit beaucoup de mères militantes anonymes. J’ai la chance -ou la malchance- d’avoir commencé mon action sous les feux des projecteurs. Aujourd’hui, je travaille plus discrètement, mais je suis toujours aussi militante».
Que préfère-t-elle, l’action spectaculaire ou la lutte plus discrète? «C’est très dur de travailler pour améliorer la condition des femmes palestiniennes. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine et je m’y emploie».
Comment explique-t-elle le fait qu’aujourd’hui, la lutte armée est monopolisée par les islamistes (Hezbollah, Hamas ou Jihad islamique)?
«Au FPLP, nous n’avons pas renoncé à la lutte armée».
Pourquoi un frein y est-il mis?
«Les circonstances imposent parfois certaines situations. Notre capacité militaire est aujourd’hui plus faible qu’avant. Car, depuis qu’au sein du CNP, nous avons déclaré notre opposition au processus de négociation, on a commencé à nous encercler.Nous aussi nous le sommes autant que le reste du monde arabe, hostile au processus ou suceptible de l’entraver. La Syrie n’est-elle pas aussi encerclée? ...
Nous sommes poursuivis. Nous n’avons pas pu retourner en Palestine, en dépit de la résolution 194 des Nations-Unies. Mais nous ne pouvons rester les bras croisés face à cette défaite que constituent les accords séparés..».
Si aujourd’hui, son fils souhaite s’enrôler dans les rangs du Hamas, ne considérerait-elle pas cela comme un reniement de tout ce pour quoi elle a lutté? Ne serait ce pas là, la véritable défaite,
«Le Hamas est un élément du peuple palestinien».
Arafat aussi?
«Oui, mais lui, il a renoncé à la lutte. En ce qui me concerne, tous ceux qui affirment vouloir faire de la résistance sont de mon bord.Le problème n’est pas idéologique. Il est dans le projet qui veut nous éliminer tous.Après avoir libéré la Palestine, nous nous assoierons autour d’une même table et nous discuterons du régime que nous voulons instaurer».
Leïla Khaled a quitté le Liban en 1982, avec les autres Palestiniens. Mais ses parents étant libanais (elle aussi d’ailleurs), ils sont restés sur place. En 1984, sa mère étant en train d’agoniser, elle a voulu la revoir et elle est retournée à Beyrouth. Mais sa mère est morte à Tyr, alors sous occupation israélienne et elle n’a pu la revoir.Il lui arrive maintenant, au cours de ses rares visites au Liban, d’aller se recueillir sur sa tombe.
Que pense-t-elle aujourd’hui de Georges Habache?
«Il est notre chef», dit-elle simplement, sans la moindre hésitation.
Après toutes ces années, n’a-t-elle jamais remis en cause ses convictions ? «Non, toutes les défaites subies ne me font pas changer d’avis. Je reste convaincue que nous finirons par vaincre et que le Liban sera libéré».
Le Liban sans doute, mais la Palestine?
«La Palestine aussi. Evidemment, il faudra sans doute attendre pour cela plusieurs générations. L’essentiel est de tracer la voie et de corriger les erreurs pour ceux qui reprendront le flambeau».

Non à l’implantation

Pense-t-elle qu’à un moment donné, les Palestiniens ont voulu faire du Liban leur patrie de rechange?
«Non, jamais.Même ceux d’Oslo souhaitent réintégrer la Palestine et c’est pourquoi ils ont accepté les miettes qu’on leur a jetées».
Est-elle sûre que certains chefs palestiniens n’ont pas été tentés de rester au Liban? «On ne peut réduire les aspirations d’un peuple à des considérations personnelles. Nous nous sommes installés au Liban après avoir été chassés de Jordanie pour y poursuivre la lutte. Nous en sommes ensuite partis, vaincus par les Israéliens».
«Nous continuons la lutte de là où nous le pouvons. Nous n’accepterons jamais le projet d’implantation».
En signant l’accord d’Oslo, le commandement ne l’a-t-il pas implicitement accepté? «Nous rejetons cet accord et nous le combattons.Certes, on nous propose aujourd’hui l’implantation».
Qui? «Les Israéliens et les Américains et certains régimes arabes trop petits pour dire non aux Etats Unis.Mais croyez-moi, les Palestiniens n’accepteront rien d’autre que la Palestine car ils ont trop souffert pour y renoncer.Et s’ils acceptent de rester dans les camps, c’est pour crier au monde leur identité véritable. Mais ils ne peuvent agir seuls et ils ont besoin de l’aide des autres arabes. Lorsque la résistance au Liban fait subir des pertes aux Israéliens, c’est une victoire pour nous».
Comment a-t-elle accepté de retourner en Palestine alors que celle-ci est encore occupée?
«C’était pour moi une nouvelle forme de lutte contre Israël.La première fois que j’ai vu la Palestine, c’était à partir de l’avion que j’avais détourné. J’aurais d’ailleurs souhaité y attrrir. Mais ce n’était pas possible. En ce qui concerne mon arrivée en 1996, nous avions décidé, au sein du FPLP, que toute personne en mesure de retourner sur sa terre devait le faire, à condition de ne pas présenter de concessions politiques, c’est-à-dire de condamner ce que les Israéliens appellent le terrorisme.
Au moment de la tenue du CNP en Palestine, nous avons décidé de saisir cette occasion. J’ai fait une première tentative, mais on ne m’a pas laissé entrer, avant de déclarer mon appui au processus de négociation et mon rejet du «terrorisme ». J’ai naturellement refusé de le faire. Mais les Israéliens s’étaient engagés à autoriser les membres du CNP à entrer, afin qu’ils puissent amender la charte de l’OLP. Ils ont donc dû revenir sur leur interdiction.Mais auparavant, ils m’ont introduit dans une chambre isolée pour un interrogatoire.C’est ainsi que j’ai été amenée à leur parler.J’ai bien expliqué ma position .J’ai notamment déclaré être contre le terrorisme qu’ils exercent contre nous et ne pas croire à la paix tant qu’ils se trouvent sur notre territoire.L’officier des renseignements qui m’interrogeait m’a demandé si j’avais de la famille en Cisjordanie et je lui ai répondu que les 950 000 Palestiniens habitant sur place sont mes proches».
Après cet entretien,prolongé en raison d’une manifestation des colons voulant interdire sa venue, devant le poste de sécurité, Leïla Khaled a été autorisée à passer .Et pour la première fois depuis la fuite éperdue avec ses parents, elle a foulé la terre de Palestine.
En traversant le pont de bois, elle a d’abord pensé à une célèbre chanson de Feyrouz.En fait, elle cherchait dans les paroles de cette chanson, la force de surmonter son émotion.Ses jambes tremblaient et, se retournant pour faire un signe à son mari et à ses enfants, venus lui dire au revoir de l’autre côté du pont, elle a eu l’impression de voir Ghassan Kanafani, Wadih Haddad et Abou Jihad. En saluant son mari et ses fils, c’est eux qu’elle a salués en un ultime hommage à ces compagnons de lutte qui eux, n’ont pas eu la chance de revoir la terre pour laquelle ils sont morts. «C’était un moment d’une intensité terrible. Je n’ai plus jamais éprouvé ce mélange de tristesse et de bonheur, oui, bonheur, malgré le drapeau israélien flottant sur le côté palestinien du pont..».
Leïla Khaled se souvient aussi de ses compatriotes massés au bout du pont, venus pour l’acclamer.Une fois sur cette terre de Palestine, sa première réaction a été de s’allonger sur le sol, afin que chaque partie de son corps puisse s’en imprégner. A-t-elle pleuré? «Je crois bien que oui», répond-elle pudiquement.
Elle est restée là bas 29 jours et elle aurait bien voulu y résider défintivement, mais les Israéliens n’ont pas accordé de permis d’entrée à son mari et à ses fils.D’ailleurs, une fois la réunion du CNP terminée, on lui a bien signifié qu’elle était indésirable dans le coin.Selon elle, les Israéliens auraient même dit: ni elle ni son mari, ni ses enfants ne pourront mettre les pieds ici».
Pourquoi est-elle installée en Jordanie, le pays arabe le moins hostile à Israël? «Parce que mon mari a le passeport jordanien. A une certaine période, les autorités jordaniennes lui avaient retiré ses papiers. Il s’était alors installé au Liban. C’est d’ailleurs là que nous nous sommes mariés en 1982».
Expulsés du Liban avec les autres Palestiniens, en 1982, ils se sont alors installés au camp «Yarmouk» en Syrie. Ils y sont restés 10 ans et ce n’est qu’en 1992 qu’ils ont repris le chemin de la Jordanie où les autorités après avoir fait beaucoup de difficultés, ont rendu le passeport de son mari...
Leïla Khaled en est aujourd’hui à son troisième mariage. Le premier a été rompu pour cause de mésentente entre les deux époux. Le second n’a pas duré longtemps, pour cause d’incompatibilités géographiques. Sa sœur et son fiancé ayant été assassinés à son domicile à Beyrouth, la veille de Noël de l’année 76, un conflit est né entre elle et son mari au sujet de l’identité des tueurs (exécutés plus tard par le FPLP) et du lieu où le couple devait résider, son mari refusant de vivre avec elle, en raison de la menace qui l’entoure.

J’existe en sursis

Car, et c’est là un des faits marquants de sa vie, Leïla Khaled a toujours flirté avec le danger.Elle dit d’ailleurs avec humour: «Depuis le détournement de l’avion de la compagnie El Al, j’existe en sursis et c’est un bonus que me donne la vie».
Après l’assassinat de Ghassan Kanafani, à Beyrouth, le FPLP lui a demandé de rester dans la clandestinité. «Car la presse avait lié nos deux noms, affirmant que Leïla et Ghassan s’apprêtaient à mener une opération pour libérer le Japonais Kozo Okamoto emprisonné en Israël, à la suite de l’attaque de Lod, en 1972».
Pour Leila, il ne fait aucun doute que ce sont les Israéliens qui ont tué Ghassan Kanafani, même si le Mossad utilise parfois des agents non israéliens. Le commandement du FPLP a alors estimé que le tour de Leïla ne tarderait pas. D’autant que Ezer Weizmann, alors ministre de la Défense (aujourd’hui chef de l’Etat israélien) avait déclaré: «Nous ne laisserons à cette femme aucun lieu sûr pour qu’elle puisse y dormir à Beyrouth».
Dès lors, elle est officiellement entrée dans la clandestinité, jouant sans cesse à cache cache avec les Israéliens.
Pourquoi a-t-elle choisi de commencer son combat en détournant des avions? «Je n’ai pas choisi. Au FPLP, nous suivions des sessions d’entraînement et nos supérieurs décidaient quelles missions nous seraient confiées.Lorsqu’on m’a demandé de détourner un avion, je n’arrivais pas à croire que j’avais été choisie pour une telle action. J’étais très heureuse et je ne tenais pas en place».
C’est Wadih Haddad qui lui a confié les missions et qui l’a entraînée pour ce genre d’action. «Il m’a demandé auparavant: «Es-tu prête à mourir? » Comme je répondais par l’affirmative, il a ajouté «mais en attendant que tu meures tu vivras en permanence entre les ronces». J’ai dit que cela ne m’effrayait pas. Il m’a alors proposé de détourner un avion et je me suis mise à rire, en essayant d’imaginer la scène.Dès lors, j’ai suivi un entraînement spécial pour ce genre d’action». A la veille de ma première opération, il m’a dit: si tu réussis, tu auras pour gratification, une autre encore plus dangereuse». J’avais donc hâte de sortir de prison (elle a été emprisonnée en Grande Bretagne à la suite de la première opération) pour pouvoir accomplir la seconde».
A l’époque, il y avait beaucoup de détournements d’avion, mais Leïla Khaled tenait absolument à monter à bord d’un jet de la Compagnie El Al. «Je voulais défier les Israéliens en face». Leïla a subi quelques opérations chirurgicales au visage (elle affirme avoir retrouvé aujourd’hui ses traits initiaux) et la voilà prête à l’action.
A ce stade de l’entretien, Leïla Khaled ne peut s’empêcher de parler de Wadih Haddad. «C’était un grand homme, dit-elle avec émotion. Il réussissait à nous faire croire, lorsque nous partions pour une opération, que nous allions libérer la Palestine. C’est pourquoi nous étions si heureux, si confiants. Quelle que soit l’issue de l’action, nous pensions que c’était un pas en direction de notre terre».
N’était-ce pas un leurre? «Pas du tout. Je suis toujours convaincue de l’utilité de ces actions. Et, à mon avis, la libération de la Palestine ne se fera pas à la table de négociations, mais sur le terrain».
Leïla revient sur Wadih Haddad.Elle est intarissable sur le sujet. «Il m’a appris que tant que l’objectif est clair, la victoire est assurée. Il m’a aussi appris que nos adversaires n’auront aucune pitié pour nous .C’est pour cela que nous ne devons pas en avoir pour eux. Et notre lutte se poursuivra pour des générations. La meilleure preuve que son enseignement a porté ses fruits, ce sont les centaines de Palestiniens massés de l’autre côté du pont de bois pour m’acclamer. A travers moi, c’est sa ligne politique et son projet qu’ils acclamaient».
Selon elle, les détournements d’avion ont poussé le monde à prendre conscience du problème palestinien et à s’interroger sur l’identité des auteurs de ces actions.
N’ont-ils pas toutefois donné une mauvaise image des Palestiniens? «Ils ont attiré l’attention du monde sur ce problème et suscité des interrogations. La révolution palestinienne aurait dû par la suite fournir les bonnes réponses.Cela n’a pas toujours été le cas. Mais avant ces opérations,le monde nous traitait comme de simples réfugiés, nous envoyant de temps en temps des couvertures et du lait.Notre action nous a permis de nous présenter comme un peuple ayant des droits sur sa terre.Mais c’était bien sûr, une tactique provisoire. Aujourd’hui, il n’est plus question d’y recourir.Nous n’avons plus besoin de cette publicité et nous poursuivons la lutte par d’autres moyens. Mais combien aurais-je souhaité que Wadih Haddad soit encore en vie aujourd’hui, afin que nous puissions continuer ensemble notre combat».
Comment a-t-elle appris à ses enfants qu’elle a détourné des avions?
«Mon fils, Badr, était à la maternelle. Un jour, il me demande: maman est-ce vrai que tu es un bandit? J’ai entendu la maîtresse dire cela (nous nous trouvions au camp Yarmouk à Damas). Je lui ai alors tout raconté. Et maintenant, mon plus grand bonheur est lorsque mes deux fils me disent qu’ils sont fiers de moi».
A-t-elle connu Carlos? «Je l’ai vu dans nos camps d’entraînement en Jordanie.Je me suis informée sur l’identité de ce jeune homme blanc de peau et on m’a dit que c’était un vénézuélien . C’est tout, car pour moi, il faisait partie des dizaines de jeunes attirés par la justesse de la cause palestinienne..».
Leïla Khaled a visiblement mieux connu Kozo Okamoto. Et elle ne peut s’empêcher d’avoir les larmes aux yeux en pensant à celui qui croupit aujoutrd’hui dans une prison libanaise. «C’est terriblement malheureux qu’un homme qui a longtemps été emprisonné en Israël et qui y a subi toutes sortes de tortures
finisse dans une geôle arabe». Essayera-t-elle de le voir dans sa prison? «Je ne sais pas. Je verrai.C’est ma première visite au Liban depuis son emprisonnement».

Scarlett HADDAD
Dans l’un des multiples cafés de la prestigieuse rue Kaslik, une femme regarde la mer pensivement, une cigarette aux lèvres. Elle n’a rien des belles élégantes qui hantent les lieux, et on peut croire qu’elle s’est trompée d’endroit. Mais non, Leila Khaled a bien choisi de se trouver là, au milieu de cette foule animée, elle qui est longtemps restée dans la...