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Actualités - ANALYSE

L'économie, arbitre politique partout sauf au Liban...

Le Liban n’est pas le seul pays, tant s’en faut, à subir une crise socio-économique. Nombre de nations dites évoluées traversent actuellement une mauvaise passe et l’on voit çà ou là des gouvernements tomber, le pouvoir changer de mains à cause de telles difficultés. Ce ne sont donc plus, en général, les différends sur des questions de politique étrangère ou intérieure qui font la différence, mais bien les options économiques qui forment l’ossature des programmes des partis en compétition. Il s’agit partout de proposer des solutions pour le chômage, l’équilibre budgétaire, les prestations sociales, l’environnement, le niveau de vie.
C’est ainsi qu’on a vu en France comme en Angleterre les socialistes l’emporter: John Major comme Alain Juppé s’étaient usés dans leur lutte pour une croissance qui tardait à redémarrer et ils ont été tous deux vaincus par la déception populaire bien plus que par l’élan, tout à fait relatif, que pouvaient inspirer leurs adversaires respectifs.
Dans les démocraties, comme on a pu l’observer en Europe où il faut s’adapter au projet de monnaie unique, quand se posent des questions de nouveaux choix cruciaux à faire, on n’hésite pas à organiser des législatives anticipées, parce que c’est le peuple souverain qui doit décider par son vote de la ligne à suivre. Surtout quand l’heure du choix se double d’une crise dont le système en place doit répondre, que la responsabilité lui en soit imputable ou non. Autrement dit, coupable ou pas, il est toujours responsable et doit rendre compte à l’opinion qui juge alors s’il faut maintenir ou remplacer le parti au pouvoir. C’est un droit si naturel, si sacré que le régime même n’hésite pas le cas échéant à prendre les devants pour en permettre l’exercice, comme on l’a vu avec la dissolution de la Chambre décrétée en France par le président Chirac. De plus, parallèlement, toutes les «bêtises», les bavures, les méfaits de corruption, les fraudes fiscales et autres joyeusetés républicaines sont jugées, soit en justice soit par l’opinion qui les sanctionne politiquement, à travers les urnes.

Contrainte

Un schéma global qu’il serait utopique de vouloir appliquer au Liban, pays des arrangements, des compromis, des compromissions et des dossiers étouffés. Ce n’est pas ici qu’on verrait s’organiser, pour redresser la barre, des élections législatives anticipées. Indépendamment de toute considération de vraie politique, l’astuce imaginée à Taëf ôte pratiquement à l’Exécutif — que cela soit le Conseil des ministres ou le chef de l’Etat — le droit de dissoudre l’Assemblée nationale. Il faut en effet, si on veut le faire, réunir des conditions quasi impossibles: que les députés refusent de voter le budget ou de se réunir, pour torpiller l’Etat, pendant plus d’un an, et c’est tout!
Inversement, et en dehors des textes, les députés ont la stricte interdiction — sur ordre des décideurs — de renvoyer le gouvernement en votant la défiance. Le Cabinet lui-même n’est pas autorisé à démissionner si l’envie lui en prend, sans le feu vert des mêmes décideurs. Le prétexte officiellement et immanquablement invoqué est que les «circonstances régionales» ne permettent pas de changement ministériel.
Or, toujours dans le domaine pratique, on assiste au spectacle d’un gouvernement obligé de rester alors qu’il s’avoue impuissant à lutter contre le gaspillage, les magouilles, la corruption généralisée qui ruinent un Trésor déjà gravement affaibli par un lourd endettement public. Beaucoup de gens couvrent visiblement corrupteurs et corrompus, que cela soit par complicité active ou par peur d’un effondrement généralisé qui laisserait le pays sans Etat.
En temps ordinaire, il serait possible de surnager dans un tel marécage, en attendant des jours meilleurs au sens moral du terme. Mais quand le déficit atteint les 60%, que l’inflation et le chômage galopent tandis que la main-d’œuvre étrangère expédie au dehors, bon an mal an, plus de 400 millions de dollars tandis que les enquêteurs dénombrent un million de Libanais vivant au dessous du seuil de pauvreté, plus personne ne peut fermer les yeux ou rester les bras croisés. Or les mesures que le pouvoir compte prendre ne peuvent objectivement qu’aggraver la crise.

Le modèle
Guizot

Croyant peut-être que le Libanais, comme jadis le Français de Guizot, cache un trésor dans son bas de laine, le gouvernement veut se financer en pressurant à mort le contribuable moyen en faisant flamber les impôts et les taxes indirects ainsi que les quittances pour les services publics (eau, électricité, téléphone, voierie). Le fisc frappe sans aucun esprit de justice et, pire encore, il pénalise les forces de production sans toucher au gros capital investi dans les bons du Trésor, les domaines de spéculation boursière comme le foncier bénéficiant même de prodigieuses exemptions, au titre de «l’encouragement à l’investissement»(!), alors que l’industrie, le tourisme et l’agriculture gémissent sous les charges...
Des spécialistes, hommes d’affaires ou économistes, se demandent ainsi si «dans les conditions difficiles que traverse le pays, il est raisonnable de vouloir emprunter un milliard de dollars comme le pouvoir se propose de le faire. Ou encore de vouloir augmenter de 5.000 livres les 20 litres d’essence, ce qui ne peut que provoquer une flambée générale des prix. Le gouvernement prétend qu’il souhaite soutenir les régions déshéritées et ramener chez eux les déplacés. Intention louable sans aucun doute, mais le pays n’a pas pour le moment les moyens d’assumer cette surcharge... surtout qu’on se pose des questions, que tous les précédents justifient, sur la destination finale véritable de ces crédits».
Abondant dans ce sens, l’ancien ministre Georges Frem, tout en se déclarant pour les projets de développement et pour des prélèvements nouveaux, mais bien étudiés sur certains produits qui n’accableraient pas les revenus modestes, estime qu’il faut avant tout une nouvelle politique fiscale, plus équitable socialement. Il précise qu’avant toute perception, il faut prendre soin d’établir le compte de ce qu’une mesure fiscale doit rapporter, pour contrer les innombrables entreprises ou les propriétaires fonciers qui utilisent la double comptabilité ou des estimations tronquées afin de frauder le fisc. L’ancien ministre ajoute qu’il faut également veiller à ce que tout le monde sans exception s’acquitte de ses charges...
On peut toujours rêver, cela n’est pas interdit. En réalité aucune des réformes proposées n’a de chance de voir le jour tant que le système global reste le même...

E.K.
Le Liban n’est pas le seul pays, tant s’en faut, à subir une crise socio-économique. Nombre de nations dites évoluées traversent actuellement une mauvaise passe et l’on voit çà ou là des gouvernements tomber, le pouvoir changer de mains à cause de telles difficultés. Ce ne sont donc plus, en général, les différends sur des questions de politique étrangère ou...