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Actualités - OPINION

Carnet de route Beyrouth ya Beyrouth


«Il est des jardins qui n’ont plus de pays et qui sont seuls avec l’eau...»
Je ne sais pourquoi ces vers de Schéhadé me reviennent à l’oreille chaque fois que je pense à ma ville natale. N’ayant pas eu le privilège d’être «de Jezzine», «de Tebnine», «de Ghosta» ou «de Baakline», en somme d’un bon village bien de chez nous, je ne suis que de Beyrouth, cette ville-capitale détruite par une guerre en rase campagne accompagnée de guerres de mouvements et agrémentée par des bombardements d’obus autochtones ou étrangers. Cette ville qui a vu Ariel Sharon se désaltérer dans un hôtel d’Achrafié, et les chevaux de ses faubourgs assassinés comme leur population dans un aveuglement où la rage et la haine se le disputaient. Cette ville aujourd’hui creusée de tranchées au nom d’une reconstruction à la mesure de la culture régnante: Hong Kong ou La Défense, le béton roi et quelques fenêtres en ogives pour montrer qu’on n’oublie pas son histoire. Mais, me dira-t-on, le centre de Vienne reconstruit selon les normes scrupuleuses de la copie conforme, et les remparts de Saint-Malo reconstitués tels qu’ils étaient à la naissance de Chateaubriand, ne sentent-ils pas le carton-pâte? On me demande encore une prise de position? Mais je me fiche et de Vienne et de Saint-Malo, je suis orpheline d’une ville qui m’a vu naître et grandir, qui ne ressemble plus à rien et où je ne me reconnais plus. Non je n’ai pas la fibre passéiste, mais ce qui est en voie de configuration-défiguration pue l’argent par tous ses pores, l’argent de toutes sortes, et, il n’est pas difficile de le constater, un mauvais-goût qui flirte avec l’ultramodernité... En un mot, ce ne sera pas la pyramide de Pei (neuf pour neuf, autant faire dans le génie) mais un corps étranger, issu de la «mégalomanie m’as-tu vu». De ses entrepreneurs. Bon Exit Beyrouth. Répétons, à l’unisson avec le poète, «Le visage d’une ville change plus vite hélas que le cœur d’un mortel». Reste à savoir où aller. Où? A Beyrouth évidemment, parce que la partition du pays saute aux yeux ailleurs et qu’il y a peut-être quelque chance pour que la capitale demeure ville ouverte. Partition? Sacrilège? Mais prenez votre voiture et parcourez les montagnes: la purification ethnique s’y est faite spontanément, les Libanais se sont auto-purifiés. Il ne semble pas qu’ils veuillent se re-mélanger. Tant pis, ou tant mieux, ou tant pis. Beyrouth restera aux Beyrouthins, ne serait-ce que parce que sa position géographique est infiniment pratique pour y commencer et en faire le lieu de toutes les combines, c’est-à-dire de l’économie régionale.
Après tout, c’est ici qu’il y a eu le moins de massacres. Aujourd’hui que les massacreurs n’ont plus envie de massacrer ni les massacrés d’affronter les massacreurs (un malheur est si vite arrivé!), pleurons sur l’urbanisme de Beyrouth, mais restons accrochés à la ville. C’est encore ici que l’on causera du futur statut de Zahlé, et autres enclaves. Qu’on aura, peut-être, son mot à dire?
«Beyrouth ya Beyrouth» (1), on pourra toujours se le faire projeter par temps de nostalgie pour revoir «Hajj Daoud» et la Place des Canons. On sera vieux.

Amal NACCACHE

(1) Premier long-métrage de Maroun Baghdadi, tué par une panne de courant au cœur de sa ville où il venait faire des repérages.
«Il est des jardins qui n’ont plus de pays et qui sont seuls avec l’eau...»Je ne sais pourquoi ces vers de Schéhadé me reviennent à l’oreille chaque fois que je pense à ma ville natale. N’ayant pas eu le privilège d’être «de Jezzine», «de Tebnine», «de Ghosta» ou «de Baakline», en somme d’un bon village bien de chez nous, je ne suis que de Beyrouth, cette...