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Actualités - ANALYSE

Des qualités qui se font rares : l'intégrité, le sens de l'état et de l'intérêt public ...

La disparition de Pierre Eddé met en relief la pénurie croissante, dans l’actuelle République, de valeurs qui ont pour noms intégrité, raison, sens de l’Etat, de l’intérêt public, de l’éthique politique...

A de rares exceptions près, la caste en place n’est que corruption, magouilles, détournements de fonds et elle pousse l’impudence jusqu’à s’en vanter ou presque, en tout cas jusqu’à reconnaître volontiers ses noirceurs, sûre de son impunité.
Pierre Eddé, fils d’un foyer politique éminent, plaçait très haut la dignité nationale autant qu’humaine et se souciait jusqu’à l’obsession des intérêts du pays, notamment en matière de finances publiques.
A une époque où, dans la loi et dans la lettre, n’existait pas encore l’expression «délit d’initié», Pierre Eddé avait montré qu’il ne se laissait pas abuser quand la morale était en jeu. Ainsi un jour alors qu’il était ministre des Finances, un ami nanti lui demande si l’Etat a l’intention de récupérer la concession de l’électricité et celle des transports en commun. Il comprend tout de suite que cette connaissance veut, en cas de réponse positive, se procurer des actions au rabais pour les revendre ensuite au prix fort. Mais le démarcheur en reste pour ses frais et n’en saura pas plus. Le lendemain même Pierre Eddé, pour couper court aux spéculations boursicotières, rend publique la reprise par l’Etat des concessions d’électricité et de transports en commun. A l’ami en question qui lui reprochait ensuite, avec quelque culot, de ne pas l’avoir mis dans la confidence, il a répondu en substance: «Imaginez ce que les gens auraient pensé si, grâce à mes indications, vous aviez pu acheter un gros paquet d’actions pour réaliser de juteux bénéfices, aux dépens du Trésor. Ils auraient été en droit d’estimer qu’il y avait eu une combine dans laquelle le ministre des Finances avait trempé. Vous-même accepteriez-vous qu’on m’accable d’une telle accusation... Et quel droit garderais-je ensuite de dénoncer les abus; de réclamer des comptes aux corrupteurs comme aux corrompus et de les sanctionner...».

Conditions

Au début du règne du président Amine Gemayel l’on entendait dire que Pierre Eddé se verrait confier soit le portefeuille des Finances soit le gouvernorat de la Banque centrale. Quand on lui posait la question, il indiquait que le chef de l’Etat lui avait demandé une étude sur les possibilités de faire financer par le secteur bancaire un plan global d’habitat. Cette étude une fois terminée avait été adressée au président de la République par le truchement d’un haut fonctionnaire et on en était resté là, concluait Pierre Eddé... Et si on insistait en lui demandant s’il accepterait un portefeuille qui serait proposé par un Gemayel, il répondait, qu’il était toujours prêt à servir le pays indépendamment de sa position politique par rapport au régime mais qu’il tenait avant tout à faire partie d’un gouvernement dont les décisions seraient effectivement appliquées dans tout le Liban et pas dans une région seulement. Il précisait qu’il lui semblait inadmissible, par exemple, d’imposer une taxe à certains Libanais alors que d’autres en seraient exemptés, que des contribuables soient soumis à la loi et d’autres placés au-dessus de la loi... Il en concluait qu’il ne pourrait entrer au gouvernement que lorsque le règne des mini-Etats dans l’Etat prendrait fin et que la loi serait appliquée sans discrimination à tous.
De même, son frère, Raymond, n’a jamais accepté de devenir président de la République à n’importe quel prix. Non seulement il n’était pas question pour lui de se soumettre comme d’autres à des conditions (voir à un test d’aptitude!) mais encore des conditions c’est lui qui en a toujours posées. Sans quoi il ne fait aucun doute qu’il y a longtemps qu’il aurait été élu à la tête de l’Etat. Mais Raymond Eddé, on le sait, ne peut pas admettre d’être un président aux ordres, un simple exécutant sans autonomie de décision. C’est bien là l’esprit de cette famille politique, où l’intégrité, l’honnêteté et la dignité nationale gardent tout leur sens...
Le contraste avec les réalités du moment est donc frappant. Aujourd’hui, le jeu démocratique est tout à fait faussé. Même l’opposition est téléguidée et par un étrange effet, les personnalités même des joueurs en perdent tout éclat. Il n’y a plus de dirigeants, de ministres, de députés voir d’ambassadeurs ou de hauts fonctionnaires qui dégagent ce prestige que le sens du service d’Etat donne encore plus que la prestance. A bien y regarder, on constate que le niveau a baissé, même sur le plan professionnel et quant à la morale, n’en parlons pas, c’est l’âge d’or des pourris, l’honnête homme devenant une denrée très rare. Dès lors, le verbe perd aussi de sa force et alors qu’une déclaration suffisait jadis pour faire chuter un gouvernement, aujourd’hui aucune attaque, aucune campagne même menée de son propre intérieur, ne peuvent l’ébranler, puisqu’il est protégé comme on dit. Dans le temps, la politique était souvent source d’appauvrissement et des leaders avaient dû vendre leurs biens pour pouvoir en faire. Aujourd’hui, la politique est source d’enrichissement et cause d’injustices...
Et c’est peut-être là l’un des prix que le pays doit payer pour la guerre qui l’a déchiré.

E.K.
La disparition de Pierre Eddé met en relief la pénurie croissante, dans l’actuelle République, de valeurs qui ont pour noms intégrité, raison, sens de l’Etat, de l’intérêt public, de l’éthique politique...A de rares exceptions près, la caste en place n’est que corruption, magouilles, détournements de fonds et elle pousse l’impudence jusqu’à s’en vanter ou...