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Actualités - ANALYSE

Solide bouclier politique pour les fonctionnaires pourris

Un ministre dont la passion est d’observer, d’épier, de suivre à la trace ses collègues de la République des camarades et que l’on peut comparer à la fameuse «boîte noire» qui enregistre tout à bord d’un avion, se montre catégorique: il est vain de vouloir épurer l’Administration tant qu’on n’a pas vaincu l’hydre de la corruption au sein de la caste politique elle-même...
Ce spécialiste déclare: «Il est bien beau d’ouvrir des dossiers, d’ordonner des enquêtes, de chercher à savoir qui a péché et qui mérite absolution... Il est bien beau de flétrir dans de retentissantes philippiques, comme le fait le chef de l’Etat, la corruption, la gabegie et le gaspillage. Mais il faut comprendre une chose: la racine même du mal c’est cette mafia politique, qui gangrène les rouages les plus élevés du pouvoir et qui non contente de se remplir les poches protège soigneusement les fonctionnaires pourris, qu’ils soient ou non ses complices dans les affaires traitées. Un politicien mafieux protégerait même le cas échéant un fonctionnaire «appartenant» à un adversaire politique, pour qu’il n’y ait pas de précédent et que nul ne s’avise de toucher au système. Il est donc impossible d’épurer l’Administration si on ne nettoie pas d’abord les écuries d’Augias au niveau de la caste politique qui d’ailleurs, d’une manière ou d’une autre, a bien plus accès au chapitre-dépenses du budget étatique que les employés du gouvernement».
Ce ministre avoue ensuite qu’il lui paraît «utopique de rêver à une moralisation de la vie publique. La corruption règne en maître à différents échelons et on voit mal quel Eliott Ness, quelle brigade des Incorruptibles pourraient se lancer à l’assaut d’un bastion aussi compact. Qui va dénoncer qui, qui va juger qui quand tout le monde ou presque, comme le remarque un leader du Nord, est sur le même bateau, chante le même refrain... A supposer d’ailleurs qu’il se forme un groupe de pression assez puissant pour s’en prendre au nid de serpents, les pourris ne manquent pas de défense et il pourrait s’ensuivre de sérieuses crises politiques ou même sécuritaires qui mettraient gravement à mal la stabilité interne. Même si l’on en avait les moyens, ce qui n’est pas le cas répétons-le, il faudrait donc compter jusqu’à dix avant de lancer un coup de pied dans la fourmilière...»
Ce ministre rappelle ensuite, non sans un brin d’amertume que «plusieurs fois l’on a parlé de la corruption, des détournements de fonds, de la gabegie, du gaspillage à la Chambre. Ce n’est pas qu’ils en eussent spécialement envie, mais les députés étaient biens forcés d’en débattre en discutant le budget de l’Etat qui, à cause de tout cela, est en train de couler corps et biens. Bien entendu ces débats n’ont jamais rien donné, nul n’ayant envie de forer pour trouver la vérité ou, plus exactement, aucun Ali Baba ne se sentant le courage de défier les djinns puissants qui gardent la grotte des quarante voleurs».
«Il n’est donc pas étonnant, poursuit le ministre, que les multiples tentatives de réforme de l’Administration aient été vouées à l’échec car elles étaient viciées au départ par le fait qu’on ne commençait pas, comme il aurait fallu, par réformer d’abord la politique. On ne peut oublier en effet, redisons-le, que la corruption ce n’est pas seulement le discret pot-de-vin qu’un sous-fifre glisse dans son tiroir, mais aussi le clientélisme à large échelle qui fait que les cadres administratifs sont au service, sur le plan matériel ou sur celui de l’influence, d’intérêts dirigés ou soutenus par des politiciens».
«Tout comme à la Chambre, poursuit cette personnalité, c’est pour la forme seulement, par acquit de conscience (si on peut dire) que le Conseil des ministres a parfois planché sur le dossier de la corruption, des corrompus, des corrupteurs, des magouilles, des bazars et autres joyeux contrats qui permettent aux signataires de se sucrer sur le dos du Trésor libanais, donc du contribuable. Les dirigeants se retrouvaient une alternative aussi évidente que simple: ouvrir tous les dossiers — car il n’y a pas de raison qu’on traite d’une affaire et pas d’une autre —, avec les relents putrides que cela pourrait dégager et la mise en cause, forcément, de forces amies voire de membres du sérail, avec crise de pouvoir à la clé... Ou garder tous ces dossiers fermés, sous le facile et fallacieux prétexte que la réussite d’aucune enquête ne peut être techniquement (garantie)... C’est ce second choix, infiniment plus «prudent» qui a toujours prévalu. Dans le monde, rappelle ce ministre, sévissent plusieurs sortes de mafias, de cartels ou de gangs: de la drogue, des armes, du BTP, des objets d’art, de la traite des blanches, etc. Ces organisations du crime se livrent souvent entre elles à de féroces compétitions qui laissent beaucoup de morts sur le carreau. Dans certains pays, comme l’Italie mère de la mère de toutes les mafias comme de la Cosa Nostra qui sévit en Amérique, des juges et des policiers courageux ont décidé de combattre le mal et en ont parfois payé le prix de leur vie. Pour souhaitable qu’elle soit, une telle lutte est ici impossible et pourrait être même dangereuse à l’échelon national même. En effet le Liban est un petit pays surpeuplé très composite, un édifice qui se fonde sur des équilibres délicats sinon fragiles et qui de plus sort affaibli d’une longue série de guerres domestiques. Aujourd’hui la scène locale ne supporterait pas une crise de pouvoir ni un affrontement à couteaux tirés entre l’Etat, si tant est qu’il puisse se mobiliser, et la mafia de la corruption qui n’hésiterait certainement pas pour se défendre à recourir aux attentats et aux assassinats. Ceci étant, la capitulation devant le fait accompli, conclut cette bonne âme dont le réalisme peut paraître un peu choquant au regard de la morale ordinaire, ne doit pas être totale: on peut agir pour limiter les dégâts...»
Oui, mais comment? Serait-ce en interdisant les contrats de gré à gré? Les adjudications après appel d’offres, on le voit en France où les grands du BTP ont été condamnés pour triche orchestrée à des amendes de centaines de millions de dollars, peuvent être facilement arrangées et produisent même des «commissions» plus juteuses que les contrats par consentement mutuel... En réduisant le nombre pléthorique de fonctionnaires? Le pays tout entier se soulèverait...
Peut-être en commençant par changer de système. Mais cette condition personne évidemment n’y songe. Sauf bien entendu les quelques anti-taëfistes irréductibles que l’on a mis à l’écart, d’une façon ou d’une autre, et qui n’ont plus droit à la parole...
E.K.
Un ministre dont la passion est d’observer, d’épier, de suivre à la trace ses collègues de la République des camarades et que l’on peut comparer à la fameuse «boîte noire» qui enregistre tout à bord d’un avion, se montre catégorique: il est vain de vouloir épurer l’Administration tant qu’on n’a pas vaincu l’hydre de la corruption au sein de la caste politique...