Il s’agit de l’arrivée inopinée, autant que secrète, de la soudaine célèbre «Prince of Wales urban design task force» invitée par M. Hariri, grand reconstructeur devant l’Eternel, pour superviser «l’intégration des vieux quartiers... au projet (centre-ville) mis en œuvre par la société Solidere». On a sans doute lu le texte de la protestation de M. Assem Salam, président de l’Ordre des architectes et ingénieurs, dans la presse de mardi, qui accusait principalement le chef du gouvernement de n’avoir averti de son initiative ni les ministères concernés, ni aucune administration publique. Nous voici donc avec des hôtes britanniques sur les bras, ce qui n’est pas l’essentiel à moins d’être xénophobe, mais des hôtes chargés d’une mission qui, selon Salam, dépasse «les faibles compétences et capacités techniques» des intéressés, tout coiffés qu’ils soient du prince Charles.
Que M. Hariri invite qui lui plaît, à titre privé au Liban, pour planter son gazon, sans demander l’avis de personne sur le choix du trèfle rouge ou blanc proposé par l’horticulteur, ce serait son droit le plus absolu, l’intérêt public n’étant même pas concerné par la plantation exclusive de trèfles à quatre feuilles dans le jardin d’un chef de gouvernement, comme dans ceux de n’importe quels citoyens de la République. Mais la «task force» en question (qui, rassurons-nous, n’a rien de militaire en l’occurrence) est chargée d’une mission hautement politique, au sens large du terme: étudier le tissu vivant du Beyrouth «périphérique» (dont cinq quartiers-clés) sur demande d’une société privée — Solidere —, dans un style autocratique. Tant que nous accordons à notre société la faveur de dépendre encore d’un gouvernement, cette décision consacre en effet «une méthode d’action consistant à marginaliser les organes de contrôle et de supervision de l’Etat». (Qu’en pense M. Michel Eddé qui, à l’époque où il était ministre de la Culture avait, avec la direction de l’urbanisme, tâté de ce problème?). Il fut un temps, un court temps de grâce faut-il ajouter, où la seule question de l’expropriation des maisons closes de l’ancien centre-ville, mobilisait, dans les années soixante, la République et ses offices autonomes, et jusqu’à des sociologues (Simon Khalaf est le seul nom dont je me souvienne) pour s’entretenir avec les tenancières et leurs pensionnaires des questions de leur relogement et de leurs soucis professionnels. Vous me direz que les bordels étaient toujours là dix ans après, c’est vrai, mais même si ces initiatives para-humanistes relevaient d’une certaine naïveté des exécutifs chargés de refaire la ville de Beyrouth, il y avait derrière une sympathique volonté de faire les choses à la fois proprement et «properly», sans remuer jusqu’à la couronne britannique. Non, pas passéistes ces propos, simplement pour mémoire et pour rappeler à l’hôte personnel des Anglais l’existence de citoyens, gradés, professionnels, ou simples Libanais auxquels la hiérarchie doit des comptes. Publics.
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Aiguille dans une meule de foin que cette histoire? Peut-être, mais la meule est sur le point d’exploser, du Liban-Sud à la Békaa et à la capitale où se trouve le siège de la République. L’Etat paraît déterminé à sévir à hue et à dia, y compris en donnant les FSI contre les chômeurs de l’audiovisuel. Le moment est venu où le pouvoir s’est acculé lui-même, à force de malgoverno, à la répression. Peut-être parviendra-t-il ainsi à affirmer par là son autorité? Quant au prestige de l’Etat qu’un ministre estime aujourd’hui bafoué, il ne se rétablira pas, lui, par décret. Il fait partie de ces choses qui se méritent, et qu’il vaut mieux ne pas perdre. Comme la popularité sans laquelle on ne peut gouverner. Indéfiniment.
Amal NACCACHE
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