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Actualités - ANALYSE

Avec ou sans session parlementaire, les problèmes demeurent...

Le gouvernement peut pousser un ouf de soulagement: l’idée d’une session parlementaire extraordinaire étant abandonnée, il va s’épargner le harcèlement d’une opposition d’autant plus hargneuse dans ses attaques qu’elle sait parfaitement ne pas être en mesure de déboulonner le Cabinet, protégé par les décideurs. Le pouvoir va donc éviter des débats houleux sur l’augmentation des taxes douanières sur les voitures, sur la protection abusive des produits agricoles ou sur l’amnistie accordée aux narcotrafiquants...

Mais le gouvernement n’en coulera pas pour autant des vacances d’été heureuses. Car il se trouve confronté à des problèmes qui nécessitent un traitement urgent, faute de quoi la rentrée d’octobre risque d’être chaude, aussi bien sur le plan social que sur le plan politico-parlementaire.
Parmi ces sujets, dont certains ont été évoqués par le chef de l’Etat dans son discours du 1er août, on peut citer:
— L’audiovisuel: A cause de la distribution au titre des religions, on est sur le point de se retrouver avec une station de radio par rite, voire par clan au sein de chaque communauté. Et on court tout droit à l’anarchie technique comme à la désunion par l’exacerbation du confessionnalisme vu sous son angle de partage des zones d’influence, des intérêts et des parts d’un gâteau empoisonné...
Pour tenter de remédier à cet état de chose, certains proposent qu’on ne fasse pas d’amalgame entre les radios à caractère religieux et les radios à caractère politique. Autrement dit, ils suggèrent qu’on ne laisse fonctionner que les stations délivrant uniquement des messages spirituels, des versets de livres saints, des homélies, des prêches, des hymnes, des offices religieux.
D’autres estiment que la solution consisterait à traiter les mahométans comme les chrétiens, c’est-à-dire à les autoriser à avoir le même nombre de stations, ce qui les amènerait à s’unir au sein d’une même radio, sans quoi on aurait trop d’ondes, diversité qui attiserait à terme les divisions à caractère confessionnel, alors qu’il faut chercher à abolir le confessionnalisme pour arriver progressivement à la parfaite laïcité de la chose publique.

Un phénomène
dangereux

— La deuxième question est la lutte contre les appels «à la révolte» comme les appelle le ministre de l’Intérieur, plus exactement à la désobéissance civile, appels lancés comme s’il n’y avait pas un Etat capable d’imposer la souveraineté de la loi dans toutes les régions libérées. Il est clair à ce propos que les actes officiels doivent concorder avec les déclarations et cela par des poursuites judiciaires, voire par l’arrestation de toute personne quelle qu’elle soit qui lance de tels appels subversifs. Il doit être rappelé à tous, d’une manière aussi concrète qu’exemplaire, qu’on ne peut s’attaquer aux fondements de l’Etat-nation et violer la loi impunément, sous prétexte de militer pour des revendications déterminées, justifiées ou pas, toute contestation, pouvant par ailleurs s’exprimer librement à travers des moyens parfaitement légaux et des canaux représentatifs comme les députés. Sans quoi, cela serait l’anarchie, la loi de la jungle et chaque fraction ferait la révolution pour son compte. Un point de vue que le ministre de l’Intérieur M. Michel Murr va développer encore une fois en Conseil des ministres. Sur le plan théorique d’ailleurs les dirigeants se disent tous d’accord pour faire face au phénomène Toufayli avec la plus grande fermeté... Mais en pratique, du moins jusqu’à présent, il n’en va nullement ainsi, aucune mesure n’a été prise contre le mouvement du cheikh et il reste à savoir si les choses ne risquent pas de se dégrader et d’échapper au contrôle de l’autorité légale. Déjà Toufayli délivre des «permis de construire» à tour de bras! Ses gens, sans trop d’efforts du reste car la région n’a jamais acquitté les redevances, ne paient plus les quittances d’eau, de téléphone, d’électricité, la taxe mécanique, les autres taxes et impôts... Si on ferme les yeux plus longtemps, la prescription va finir par jouer et le mal s’étendre progressivement, parce que l’automobiliste, le contribuable ordinaire ne voit pas pourquoi il devrait continuer à casquer quand d’autres ne le font pas et s’en tirent sans égratignure...

La corruption

— Aussi grave, sinon plus, le troisième problème endémique reste celui de la corruption élevée au grade d’institution nationale, le partage fromagiste entre dirigeants vivement dénoncé par les opposants, la gabegie et le gaspillage des deniers publics. Un gaspillage où certains organismes qui échappent à tout contrôle comptable a priori du fait qu’ils sont classés «autonomes» ou privatisés se distinguent tout particulièrement. Il s’agit, on l’aura deviné, de cette bête noire de l’opposition que sont les «Conseils» et les «Caisses»: Conseil du développement et de la reconstruction (CDR, hyper-ministère sans le titre), Conseil du Sud, Caisse des déplacés, compagnies d’importation des carburants. Autant de poules aux œufs d’or qu’exploitent certains qui, pour rester tranquilles, laissent d’autres sévir sur des terrains un peu moins fertiles, dans l’Administration générale où nul ne songe dès lors à mettre un frein à la corruption. Les fonctionnaires pourris sont les clients, les protégés, les complices, les associés, de politiciens encore plus pourris. Et comme il n’y a pas moyen d’épurer la politique, il n’y a pas moyen de réformer l’Administration. Les responsables poussent l’imprudence jusqu’à justifier en quelque sorte la corruption, en soulignant qu’elle sévit un peu partout dans le monde. Une double différence de taille cependant: ailleurs, les pourris sont poursuivis sans relâche et punis quand ils sont pris; et, surtout, leurs exactions ne sont pas, comme ici, d’un volume tel qu’ils déséquilibrent toute l’économie nationale et mettent le Trésor public en danger de faillite.

L’incompétence

— Il y a ensuite, après le train de départs à la retraite de juillet, un problème de pourvoi aux postes-clés vacants dans l’Administration publique. De tout temps on s’est heurté à ce propos à des tiraillements découlant d’une lutte d’influence entre instances dirigeantes ou pôles divers. Les considérations d’appartenance confessionnelle, mais surtout d’allégeance à tel ou tel «zaïm», ont presque toujours pris le pas sur les critères de compétence, d’efficacité, d’honnêteté et de sens du service public. Aujourd’hui, il faut trouver des titulaires pour les postes suivants: direction générale du ministère de l’Education nationale; direction générale de l’Office des céréales et de la betterave sucrière (OCBS); présidence de l’Inspection centrale; commandement en chef et direction d’état-major de la gendarmerie; ambassades multiples... La question qui se pose est de savoir si, à l’occasion des nominations nouvelles, on ne va pas procéder à un vaste mouvement administratif, pour appliquer la règle restée lettre morte qui veut qu’un directeur général qui est resté plus de trois ans au même poste doit être déplacé.

La crise et les
Américains

— Bien qu’ils évitent d’en parler, par un incompréhensible excès de pudeur, les dirigeants doivent en principe se pencher, session parlementaire ou pas, sur la crise socio-économique qui fait rage dans le pays. Ne serait-ce qu’à la lumière des minces recommandations du séminaire économique tenu de connivence avec les organismes économiques, c’est-à-dire avec le capital et le patronat, le pouvoir doit en principe mettre en train des mesures, sans attendre la rentrée d’octobre. Ils doivent également réunir les syndicats, qu’ils soient représentatifs ou pas et voir si l’on peut enfin créer le Conseil économique et social prévu dans Taëf ou, à défaut, le Conseil de coordination proposé par le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Beyrouth (CCIB) M. Adnan Kassar.
— Aussi étrange que cela paraisse a priori, la levée de l’embargo U.S. pose aussi problème. Car elle englobe le trafic aérien et par voie de conséquence le retour éventuel des compagnies U.S. à l’AIB ainsi que la reprise des vols de la MEA vers les Etats-Unis. Il faut aussi suivre l’affaire de la réouverture d’un consulat U.S., pour que les Libanais puissent avoir leurs visas ici, sans avoir à gagner Damas. Il est également nécessaire, on s’en doute, d’entendre les explications de M. Rafic Hariri sur les concessions qui auraient été faites aux Américains pour qu’ils acceptent de lever l’embargo. Il faut savoir en effet si les décideurs et leurs alliés dans la région seraient d’accord pour que le Liban signe enfin ce document que les Américains lui présentent vainement depuis des années et qui s’appelle «Convention internationale sur les rapts d’otages, les séquestrations et les actes de terrorisme».
Pour le moment, le pouvoir se dit d’accord pour approuver cette signature. Mais il pourrait réviser très vite son point de vue, comme d’habitude, si «on» le lui demandait gentiment, d’autant que dans l’état de crispation où se trouve la région, les décideurs ne doivent apprécier que modérément l’argument des officiels libanais, qu’un ministre résume de la sorte: «Seuls ceux que la levée de l’embargo gêne dans leurs visées politiques ou dans leurs intérêts veulent en minimiser l’importance positive. Une importance considérable pourtant car le Liban ne doit pas rester mis en quarantaine, au ban de la société mondiale, considéré comme un pestiféré de la sécurité, isolé...» Mais comment le serait-il quand les frères se tiennent si constamment, si fidèlement à ses côtés?

E.K.
Le gouvernement peut pousser un ouf de soulagement: l’idée d’une session parlementaire extraordinaire étant abandonnée, il va s’épargner le harcèlement d’une opposition d’autant plus hargneuse dans ses attaques qu’elle sait parfaitement ne pas être en mesure de déboulonner le Cabinet, protégé par les décideurs. Le pouvoir va donc éviter des débats houleux sur...