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Actualités - INTERVIEWS

Appelant à une restructuration de la P.J. Cortbaoui : soustraire le pouvoir judiciaire à l'influence de l'exécutif et du législatif (photos)

Si les textes de lois ne sont pas respectés et les jugements ne sont pas exécutés, à quoi sert-il de créer de nouveaux tribunaux ou d’étendre les prérogatives de ceux qui existent déjà? Une réflexion pertinente du bâtonnier de l’Ordre des avocats de Beyrouth, Me Chakib Cortbaoui, qui n’est apparemment pas satisfait de la situation qui prévaut dans le pays. Il y a des atteintes au prestige de la justice dans le pays? Certes, dit-il. Mais tout n’est pas perdu pour autant.
Les communiqués du Conseil de l’Ordre des avocats ont été particulièrement fréquents et virulents au cours de la présidence de l’actuel bâtonnier dont le mandat vient à expiration en novembre prochain. Chaque fois qu’il l’a estimé nécessaire, le Conseil de l’Ordre a dénoncé clairement les comportements de certains responsables, ministres et députés, qui politisent les jugements et créent une ambiance générale de défiance à l’égard du corps judiciaire.
«Nul n’est en droit de politiser le jugement d’un tribunal. Les autorités feront mieux de tirer les conclusions pour améliorer leurs actes. On admettra volontiers des commentaires scientifiques des verdicts mais pas de critiques gratuites ou d’attaques personnelles à l’encontre des juges ou de leur rôle», dit-il.
Pour illustrer son point de vue, Me Cortbaoui souligne que l’Ordre des avocats de Beyrouth a publié dans la revue «Al Adel» un commentaire juridique du jugement du Conseil constitutionnel invalidant la loi électorale. Ce commentaire ne rejoint pas en plusieurs points le verdict du Conseil constitutionnel. Me Cortaboui estime que la théorie des circonstances exceptionnelles n’aurait pas du être avancée par le Conseil constitutionnel. Le pouvoir politique ayant saisi cette opportunité pour contourner et vider le jugement de son contenu. Selon lui, le Conseil constitutionnel aurait mieux fait de ne pas donner d’avis.
— «En recommandant aux autorités d’abandonner l’idée de la grande circonscription au profit de la petite pour assurer une réelle participation du peuple à la vie politique, certains vous accusent sans détours d’exploiter votre titre pour faire de la politique?»
Me Cortbaoui réfute avec véhémence cette allégation. «Dans tous ses communiqués, l’Ordre des avocats soulève exclusivement des points juridiques ou se rapportant au droit de l’homme. Il n’y a jamais eu de prises de positions politiques en faveur d’une partie au détriment d’une autre. Dans ce cas précis, il s’est prononcé sur un texte légal, celui de la loi électorale. De par sa profession, l’avocat a le devoir de défendre les droits du citoyen. Par conséquent, l’Ordre des avocats plaide pour l’édification et la préservation d’un Etat de droit et d’un Etat des institutions. Il défend, de par sa structure, les pratiques démocratiques dans le pays».
— «Ainsi, vous avez attribué au Conseil de l’Ordre un rôle national, celui de la défense des constantes nationales»?
Me Cortbaoui répond: «Depuis sa création, l’Ordre des avocats joue un rôle de premier ordre au niveau national. Je n’ai pas le mérite de l’avoir créé. Je l’ai peut-être simplement mis en évidence à un moment où une réelle vie politique faisait défaut dans le pays».

Pas de décision
politique

Le plus important reste à savoir dans quelle mesure, le Conseil de l’Ordre des avocats peut influencer les décisions politiques? La réponse tombe comme un couperet: «Mais y a-t-il vraiment une décision politique dans le pays?»
S’il avoue par ailleurs l’existence d’interventions répétées de la caste dirigeante auprès du corps de la magistrature, il affirme que nombreux sont les juges auprès desquels aucune intervention n’est possible. «Il suffit d’oublier ses petits intérêts pour devenir imperméable aux interventions».
Pour lui, un peu partout dans le monde, les politiciens tentent d’interférer dans les affaires de la justice. «Heureusement au Liban, la plupart des jugements sont exécutés contrairement à la conviction de la population persuadée que maints obstacles entravent un fonctionnement sain des organismes de la justice. Si tous les jugements émis n’étaient pas exécutés, on ne serait plus dans un Etat», dit-il et d’ajouter «qu’on ne peut pas s’aventurer à généraliser à ce niveau».

Violations flagrantes

Mais que dire du sort qui a été réservé à l’arrêt du Conseil d’Etat abolissant la censure préalable sur les émissions diffusées par satellite et du comportement du gouvernement qui est revenu à la charge une nouvelle fois après que le projet de loi portant sur une prorogation de huit mois du mandat de la Chambre ait été annulé par le Conseil constitutionnel?
Selon le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Beyrouth ces deux cas constituent des atteintes flagrantes à l’ordre judiciaire inconcevable que le gouvernement se rebelle contre les décisions des instances judiciaires sous le couvert d’une notion «de raison d’Etat» très flexible à son goût.

Autonomie de
la justice

Abordant le volet «des moyens techniques» susceptibles de consacrer une réelle autonomie du pouvoir judiciaire, Me Cortbaoui souligne la nécessité d’une modernisation de la législation régissant le fonctionnement de la magistrature. Il préconise que les affaires internes de la justice soient soustraites à l’emprise des pouvoirs exécutif et législatif de telle sorte que les organismes de la justice seront les seuls compétents à trancher les modalités de leur fonctionnement tant au niveau de la structure qu’au niveau financier. Selon Me Cortbaoui, les juges ont besoin de jouir d’une totale autonomie administrative. Ils ne sont pas censés rester soumis à la volonté du pouvoir exécutif concernant leur permutation ou leur éventuel limogeage. Par ailleurs, il propose que sept des dix membres du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) soient élus par le corps judiciaire pour un seul mandat non renouvelable et admet que les membres permanents formés du président du CSM, du procureur général près la Cour de cassation et du président de l’inspection judiciaire demeurent désignés par décret pour une seule et assez longue période. Au sujet de l’immunité du juge sous le rapport de l’autosuffisance financière, Me Cortbaoui se félicite de certaines réalisations accomplies à ce niveau par l’actuel ministre de la Justice, M. Bahige Tabbarah. La désaffection pour la profession de juge est cependant encore nette et il fait remarquer qu’il reste beaucoup à faire pour que de «bons avocats» soient attirés par cette fonction.
Me Cortaboui préconise que les traitements des juges soient alimentés par les ressources propres du ministère de la Justice. «Les recours devant les tribunaux sont coûteux au Liban», dit-il.
Selon lui, le Liban est parmi les très rares pays où l’apport financier du ministère de la Justice au Trésor public est important.

Lenteur dans
la procédure

En réponse à une question, il reconnaît que les avocats souffrent dans l’exercice de leur métier de plusieurs problèmes dont la lenteur de la procédure et la désorganisation au niveau des administrations publiques. Leurs problèmes ont des incidences négatives sur leurs clients tout aussi bien que sur les magistrats eux mêmes. Il convient de la nécessité d’une réforme de la procédure en soulignant toutefois qu’il y a certains délais à respecter en vue de la sauvegarde du droit à la défense des justiciables.
Me Cortbaoui évoque par ailleurs le manque dans le cadre de la magistrature. Près de deux cents postes vacants restent à pourvoir à ce niveau, malgré les nominations qui ont eu lieu ces dernières années parmi les avocats.
Au sujet de la situation dans les administrations publiques, il applaudit à l’initiative du chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, qui a publié deux circulaires à l’adresse des fonctionnaires leur enjoignant de faciliter la tâche des avocats. Mais les deux circulaires sont restées beaucoup de fois lettre morte.

La police
judiciaire

Concernant le comportement de la police judiciaire, Me Cortbaoui estime «indispensable» la refonte du système sur base duquel la police judiciaire fonctionne. «Le processus de changement sera lent et de longue haleine».
Il réfute catégoriquement le principe selon lequel les larges prérogatives accordées à la police judiciaire permettent aux services de sécurité de découvrir plus rapidement la vérité.
Au sujet des arrestations préventives, il préconise «une législation claire qui définirait restrictivement les domaines et les moyens d’action de la police judiciaire».
Prié de donner son avis sur le danger que constitue un tribunal militaire ayant une juridiction sur les civils, Me Cortbaoui estime qu’il faut faire la part des choses dans l’esprit des citoyens et ne pas confondre le tribunal miliaire et l’institution militaire. «Je ne suis pas contre l’armée mais je suis contre une juridiction militaire dotée de prérogatives étendues». Cette juridiction ne devrait connaître que des crimes qui touchent à l’institution militaire (désertion, désobéissance…).
Et les crimes relatifs à la sûreté de l’Etat?
«Hormis les crimes de collaboration avec l’ennemi, les contentieux devraient être du ressort des tribunaux civils», dit-il.
A la question de savoir s’il partage l’avis d’un groupe parlementaire au sujet de l’amendement des prérogatives du Parquet qui pourrait ne plus respecter les instructions du ministre de la Justice en matière de poursuites à condition de fonder son refus sur des raisons valables, Me Cortbaoui déclare que ce projet devrait être minutieusement examiné. Et d’ajouter que «si la question posée concerne les rafles effectuées l’hiver dernier dans les rangs de l’opposition, je suis persuadé que ce n’est pas le ministre de la Justice qui a abusé de ses prérogatives et ordonné les poursuites».

L’autosaisine

Est-il pour un rôle accru du Conseil constitutionnel qui donnerait des avis sur l’interprétation des dispositions ambiguës de la Constitution?
«Non, le Conseil constitutionnel est un tribunal qui donne des jugements exécutoires et non pas des avis», souligne-t-il.
Pourquoi ne pas habiliter le Conseil constitutionnel à s’autosaisir des actes du gouvernement ce qui éviterait au pays des blocages provisoires de la vie politique?
Pas de réponse mais une interrogation de sa part: Y aurait-il une vie politique au Liban?
Une interrogation qui en dit long sur la conjoncture dans le pays.

Propos recueillis par
Liliane MOKBEL
Si les textes de lois ne sont pas respectés et les jugements ne sont pas exécutés, à quoi sert-il de créer de nouveaux tribunaux ou d’étendre les prérogatives de ceux qui existent déjà? Une réflexion pertinente du bâtonnier de l’Ordre des avocats de Beyrouth, Me Chakib Cortbaoui, qui n’est apparemment pas satisfait de la situation qui prévaut dans le pays. Il y a des...