Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

Tribune Le temps de toujours

«Il est impossible de comprendre ce qu’est le changement sans inventer le temps, de même que l’on ne peut pas inventer le temps sans avoir quelque notion du changement», nous dit Jorge Wagensberg. Voilà pourquoi, la première chose à avoir été déterminée par les hommes est le temps: celui des cadrans solaires et des horloges, qui décrit des épisodes simples. Un temps sans passé ni futur: c’est le «temps mécanique».
Par contre, tout être vivant possède son propre métabolisme. Il possède, par conséquent, un temps qui lui est propre: celui de l’âge, de la vie cellulaire, des calendriers, un temps qui progressivement s’accélère du passé vers l’avenir (voilà pourquoi, les jours de notre enfance nous semblent plus longs que ceux de notre vieillesse). Ce temps biologique et psychologique, par lequel nous pouvons nous rendre compte que nous avons une histoire, est appelé le «temps de toujours», un temps qui gère l’histoire des hommes et des communautés.
Au bon vieux temps de ma jeunesse — un temps où il y avait plus de jours par semaine et plus d’heures par nuit — je vivais avec espérance, le «temps de toujours» de ma communauté. Je suivais son cheminement. J’entendais sa musique. J’y entendais surtout des chants de solistes, avec des chefs dirigeant des ensembles rarement harmonieux, terminant toujours des partitions inachevées. Par lassitude, les musiciens s’éparpillaient ou les ténors disparaissaient. J’en concluais qu’à la musique maronite manquait une vérité fondamentale: une partition unique jouée par tous les musiciens.
Après notre guerre et celle des autres, nos morts et ceux des autres, le «temps de toujours» des maronites se répète de façon irréversible: le cadre est le même, les musiciens occupent les mêmes places qu’autre fois, la cacophonie persiste ainsi que la lassitude et les intérêts. A chaque échéance, les orchestres se mettent en place, avec de multiples chefs, qui jouent leur propre musique: musique de percussion, sans trame et sans âme... avec les mêmes résultats. L’exhortation apostolique, avons-nous espéré, nous a amené une partition juste et harmonieuse, mais nous continuons à la jouer chacun à sa façon, avec des murs dans nos oreilles et l’opaque transparence de nos lunettes.
«Le temps de toujours» des maronites? Cette parabole d’hier nous l’explique:
«On raconte qu’un soir, il y a quelque temps, le chef des maronites vit pénétrer dans sa maison à Bkerké, un vieillard d’une grande dignité qui lui fit force compliments et lui tint ce langage: «Dieu, mon Maître, ému par le courage de tes ouailles, t’offre cette boîte magique qui contient une exhortation, moyen pour les aider dans leur dur labeur. Si les malheurs s’abattent sur eux, si les étrangers les envahissent, il te suffira de l’ouvrir pour que tu sois obéi. Mais pour que le charme opère, il faut que tous tes croyants se mettent d’accord sur son contenu et parlent par ta bouche». Et le mage disparut. Le chef des maronites fit annoncer la bonne nouvelle devant 300.000 personnes et exposa la boîte dans une châsse magnifique. On peut l’y admirer encore fermée».
Le «temps de toujours» des maronites égrène lentement ses heures. Nos musiciens continuent, chacun, à jouer sa propre partition, et ne peuvent tirer de leurs instruments qu’anathèmes et gémissements. Il est peut-être temps que le chef des maronites mette tout le monde d’accord et ouvre la boîte à sa façon pour que, comme disait Jaurès, «nos espoirs ne restent pas des souvenirs, et nos anticipations des réminiscences...».
«Il est impossible de comprendre ce qu’est le changement sans inventer le temps, de même que l’on ne peut pas inventer le temps sans avoir quelque notion du changement», nous dit Jorge Wagensberg. Voilà pourquoi, la première chose à avoir été déterminée par les hommes est le temps: celui des cadrans solaires et des horloges, qui décrit des épisodes simples. Un temps...