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Actualités - INTERVIEWS

L'après 4 juillet Hussein Husseini à l'Orient le Jour : les problèmes doivent être résolus dans le cadre des institutions (photos)

Député de la Békaa, ancien président de la Chambre à une période difficile pour le pays et membre fondateur du «mouvement des déshérités», M. Hussein Husseini souffre aujourd’hui, à la fois pour les habitants de sa région et pour les institutions qu’il a si longtemps défendues et qu’il voudrait protéger. S’il craint les débordements de l’action menée par cheikh Sobhi Toufayli — qu’il appelle d’ailleurs «le cri des affamés» — ses reproches — particulièrement virulents — sont adressés au gouvernement et à son chef. Selon lui, sa politique d’improvisation et d’ignorance des problèmes des citoyens aboutira «à une élimination pure et simple du Liban». La solution? Une mobilisation massive de l’opinion publique qui exercerait une grande pression sur les responsables, aboutissant au départ du gouvernement. «Mais il ne faut surtout pas croire que les problèmes peuvent être résolus en dehors des institutions. Les Libanais ont déjà payé cher la transposition de l’action dans la rue...».
Q.: En tant que député de la Békaa, pensez-vous que quelque chose a changé après la révolte des affamés?
R. Personnellement, je l’appellerai «le cri des affamés» et il est normal que les souffrances s’accompagnent de cris de révolte. Il faut donc traiter les causes de ces souffrances et non analyser les résultats de ce cri, tout à fait légitime, par ailleurs. Ce cri exprime en fait une réalité générale dans tout le pays, due à la situation économique et sociale.
Q.: Pourquoi les députés ont-ils attendu le cri émis par cheikh Sobhi Toufayli pour protester contre cette situation?
R.: Il ne s’agit pas d’une course entre les députés et les autres. Je vous rappelle d’ailleurs que je suis l’un des fondateurs du «mouvement des déshérités» à la fin des années 60. J’ai vécu le passage d’une étape à une autre et les tentatives chéhabistes sincères pour tenter d’enrayer la menace socio-économique en tirant la sonnette d’alarme sur un développement anarchique de la capitale aux dépens de la campagne. Il y a eu à cette époque des études faites par l’abbé Jean Lebret qui montraient que les richesses sont aux mains de 4% de la population. Ces tentatives se sont heurtées à des obstacles politiques et à des événements tels que la tentative de coup d’Etat du PSNS. Ce qui a retardé les efforts du président Chéhab pour édifier un Etat. En somme, on nous a donné une patrie, mais nous n’en avons pas fait un Etat et nous n’avons pas doté cet Etat d’institutions.
Q.: Vous avez longtemps occupé des postes importants au sein du pouvoir. N’êtes-vous pas en partie responsable de cette situation?
R.: Certainement. Mais je tiens à préciser que je n’ai jamais fait partie du pouvoir. J’ai commencé mon action au sein de l’opposition et c’est pourquoi j’ai participé à la fondation du «mouvement des déshérités». J’ai été élu député en tant que membre de l’opposition et être député ne signifie pas que l’on devienne membre du pouvoir. J’ai été ensuite élu président de la Chambre le 16 octobre 1984. A l’époque, tout s’était effondré, dont le taux de la livre. Il nous fallait parer au plus pressé. Mais, en dépit de la neutralisation du gouvernement, le Parlement a adopté une politique économique et c’est sans doute cela qui a permis de sauver ce qui pouvait l’être. Nous avons bloqué l’or et les autres richesses de l’Etat et nous avons levé les subventions sur le carburant, la farine etc. et ces économies ont été utilisées pour les soins hospitaliers et certains besoins sociaux élémentaires. Nous avons affronté le vide, dû à l’effondrement du pouvoir, du gouvernement et de leurs institutions et nous avons œuvré pour l’élection d’un nouveau président de la République, qui serait en mesure de mener le processus d’entente nationale qui nous a permis d’élire un nouveau président, de procéder à des amendements constitutionnels etc.. D’ailleurs, le préambule du document — et de la Constitution — évoque le développement équilibré comme élément essentiel de l’unité de l’Etat et de la stabilité du régime. De plus, de 1985 à 1991, l’Etat n’avait pas de budget.
Q.: Vous avez certes joué un rôle national important. Mais certains vous reprochent justement de vous être consacré aux grandes questions, en oubliant un peu les problèmes des habitants de la Békaa.
R.: Pas du tout.

Hariri a une vision
opposée à l’entente
nationale

Q.: Pourquoi alors avoir laissé la scène vide face à cheikh Sobhi Toufayli?
R.: Là n’est pas la question. Nous accueillons avec plaisir tous ceux qui expriment les inquiétudes des citoyens et font entendre leur voix. Le problème est que, depuis 5 ans, à peine sortis de la guerre, nous avons été condamnés à avoir des gouvernements présidés par M. Rafic Hariri et dotés d’une vision diamétralement opposée au principe d’entente nationale. Preuve en est la négligence flagrante des régions, le gaspillage pour des projets non prioritaires et la concentration des grandes dépenses dans la capitale. La crise s’est aggravée et la dette publique a augmenté alors que la Constitution est constamment bafouée. L’homme croit qu’il est la Constitution, la loi, les institutions et qu’il peut tout. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons un gouvernement primaire qui ne se base nullement sur la moindre planification. Si le président Hariri traverse une rue encombrée de voitures, il décide d’y faire construire un pont, mais malheur aux rues qu’il n’emprunte pas… Tout fonctionne ainsi. Même les sociétés qu’il a fondées fonctionnent sur sa personne, pas sur des institutions. Le cœur du problème est là. Car, lorsque les institutions deviennent incapables de résoudre les problèmes des gens, le problème se transpose dans la rue. Les Libanais ont fait cette expérience et le peuple a payé cher ce phénomène. Mais aujourd’hui, le sabotage permanent des institutions pourrait entraîner de nouveaux développements dans la rue.
Q.: Appuyez-vous l’appel à la désobéissance civile lancé par cheikh Toufayli et que direz-vous à vos électeurs à ce sujet?
R.: Il faut que les services soient assurés dans la région et une fois cela réalisé, il faudra payer le prix de ces services.
Q.: N’avez-vous pas l’impression que cheikh Toufayli a marginalisé les députés de la région, devenant un leader incontournable dans la Bekaa?
R.: La question n’est pas devenir un leader ou non. Personnellement, je n’ai aucune ambition personnelle. Je cherche seulement à être à la hauteur de la confiance des gens. Il faut seulement répondre aux besoins des citoyens et lorsque ce sera fait, je ne crois pas qu’ils refuseront de payer les taxes et impôts.
Q.: Mais ils refusent de payer parce que c’est trop cher, non parce que les services ne sont pas assurés.
R.: Ce n’est pas toujours vrai. Dans toute la Békaa, il n’y a pas un réseau téléphonique convenable. On cherche surtout à y promouvoir les téléphones cellulaires — qui sont au-dessus des moyens des habitants de la région. Le réseau normal est concentré entre Jounieh et Saïda. Et c’est voulu, d’autant que nous avons reçu des aides de la France et de l’Italie pour édifier un réseau téléphonique moderne. Mais on veut privilégier les portables. Ce n’est donc pas un hasard si les premières estimations parlaient de 30.000 lignes cellulaires alors que dans un très court délai, nous en sommes déjà à 250.000 lignes... Ce n’est qu’un exemple. Si donc le téléphone est assuré, les citoyens paieront leurs factures car la ligne sera coupée. Il en est de même pour l’électricité. Quant aux factures d’électricité, elles sont trop élevées partout au Liban. Tous les Libanais se plaignent. Sans compter le fait qu’il devrait y avoir des tarifs spéciaux pour les secteurs productifs tels que l’agriculture ou l’industrie.
Nous payons un milliard de dollars pour agrandir l’aéroport de Beyrouth afin qu’il puisse accueillir 6 millions de passagers alors que nous n’avons pas l’infrastructure nécessaire pour accueillir 600.000 touristes... N’est-ce pas du gaspillage? Pourquoi? Parce qu’on veut donner le contrat à telle ou telle autre société. La mentalité des Etats bananiers s’est transposée au Liban et le cri des affamés n’est pas limité à la Békaa.

La politique de
la sourde oreille

Q.: Que se passera-t-il, selon vous, après le 4 juillet?
R.: Des développements graves. Cette politique de la sourde oreille et de l’élimination de tout ce qui dérange — comme la CGTL — ne peut qu’aboutir à l’élimination du Liban. Certes, le peuple n’acceptera pas cela et déjà la crédibilité du gouvernement est sérieusement compromise. Au début, lorsque je critiquais le président Hariri, on me disait: donnez-lui un délai. Aujourd’hui, plus personne au Liban ne dit cela. Les citoyens n’ont plus confiance en lui.
Q.: Malgré cela, les projets qu’il présente sont adoptés au Parlement. L’opposition a un plafond...
R.: C’est vrai. Mais lorsque, l’action de l’opposition s’accompagne d’un appui de l’opinion publique, elle devient plus forte. Preuve en est que nous avons pu obtenir la modification de certains articles du budget, notamment au sujet du droit du gouvernement d’émettre des bons du Trésor au-delà des besoins de ce même Trésor (art 6), car ces sommes étaient utilisées pour combler le déficit budgétaire aux dépens des citoyens. Alors que le gouvernement faisait croire aux gens que la stabilité de la livre était due à la crédibilité du président du Conseil... Malgré cela, le taux officiel de la livre est une pure fiction, puisque les produits de consommation sont vendus bien plus cher par rapport au dollar.
Q.: Ne pensez-vous pas qu’au-delà du budget officiel, il y a un budget occulte sur lequel vous n’avez aucun contrôle?
R.: Certainement. Nous avons d’ailleurs adressé des questions au gouvernement à ce sujet. Surtout au sujet du Conseil du Sud, de la Caisse des déplacés, du CDR et du Haut comité de secours, ce dernier ayant enregistré des records en matière de gaspillage. Mais le gouvernement ne nous a pas encore répondu.
Q.: Même s’il le fait, qu’est-ce que cela changera? N’avez-vous pas le sentiment que votre action est bien en deçà des agissements du gouvernement?
R.: Il faut que l’opinion publique se mobilise et devienne un véritable moyen de pression. Mais ce qui compte, c’est que les solutions soient trouvées dans le cadre des institutions. Nous sommes à la veille d’un grand désordre. Il ne faut pas que certains croient que les problèmes peuvent être résolus en dehors du système.
Q.: Comment pourraient-ils l’être dans le cadre du système puisque, par exemple, il est interdit de faire chuter le gouvernement?
R.: Lorsque l’opinion publique sera assez forte, le gouvernement démissionnera.
Q.: Comment, puisqu’il est interdit à un député de voter une motion de censure?
R.: D’après mon expérience, le Parlement est le reflet de l’opinion publique. Les députés ont massivement voté en faveur d’une loi demandant au gouvernement de respecter la Constitution et les lois en vigueur, alors qu’ils n’étaient plus que 69 (sur 79 présents) pour accorder leur confiance au gouvernement. Or, 69 sur 128, c’est à peine plus que la moitié, même si les médias — contrôlés de plus en plus par le gouvernement — ne l’ont pas présenté ainsi. Nous devons œuvrer en vue de renforcer l’opinion publique. Je dois vous avouer que je n’ai pas grand espoir que le gouvernement modifie spontanément sa politique.
Q.: Comment l’opinion publique pourrait-elle influencer les députés puisqu’une grande partie d’entre eux a été élue grâce au pouvoir et non par les électeurs?
R.: Même si c’est le cas, les députés ne peuvent rester indifférents à la pression populaire. De toute façon, nous n’avons pas d’autre choix que de rester dans le cadre des institutions. C’est d’ailleurs pourquoi les députés de la Békaa ont tenu plusieurs réunions. Nous avons établi un programme et nous essayerons de le faire adopter.
Q.: Pourquoi ces réunions ont-elle été tenues en réaction à l’action de cheikh Toufayli?
R.: Auparavant, ces réunions ne regroupaient pas tous les députés de la Békaa. Aujourd’hui, tout le monde y participe et même s’il s’agit d’une réaction à cheikh Toufayli, ce n’est pas une honte. Il aurait été anormal d’entendre le cri des gens et de ne pas réagir.
Q.: Que pensez-vous de ceux qui disent que le pouvoir appuie l’action de cheikh Toufayli parce qu’elle affaiblit le Hezbollah?
R.: Je n’ai pas d’opinion à ce sujet. Je sais seulement qu’il y a de graves problèmes sociaux dans la région et qu’il faut à tout prix mettre un terme à cette situation désastreuse. Lundi, avant le début de la séance parlementaire plénière, les députés de la Békaa ont d’ailleurs tenu une réunion pour examiner la situation dans leur région.

La politique est une prise de position

Q.: On a le sentiment que l’action du Groupe national parlementaire — dont vous êtes membre — reste assez tiède: un communiqué et le dossier est clos.
R.: Je ne suis pas d’accord. De plus, la politique est une prise de position. D’autant que le député ne possède pas le pouvoir exécutif. L’importance de notre groupe, c’est qu’il n’est pas limité à une région ou à une confession. Il a une vocation nationale. Enfin, il a une action dynamique puisqu’il élabore de nombreuses propositions de loi. La dernière en date concerne l’indépendance de la justice et est, à mon avis, l’un des projets les plus complets.
Q.: En réclamant constamment l’indépendance de la justice, n’êtes-vous pas en train de participer à la campagne de dénigrement de ce troisième pouvoir?
R.: Pas du tout. Nous avons un corps judiciaire, des tribunaux et des juges — de la plupart desquels nous sommes fiers — mais nous n’avons pas un pouvoir judiciaire et il n’est pas indépendant. La justice au Liban est éparpillée: le Conseil constitutionnel, la justice administrative, la justice financière, la justice militaire etc.. Enfin, elle dépend du pouvoir exécutif. C’est pourquoi nous avons songé à fournir des garanties d’indépendance car, dans notre proposition, les magistrats sont élus par les membres du Conseil supérieur de la magistrature, qui les mute et les punit si c’est nécessaire. C’est seulement ainsi que sera respecté le principe de la séparation des pouvoirs consacré par la Constitution.
Q.: Votre proposition ne résout pas les problèmes actuels dus au manque de magistrats.

R.: Si, puisqu’elle renforce l’Institut national des études juridiques en lui donnant les moyens nécessaires pour remplir sa fonction et former des magistrats qualifiés.
Q.: Aujourd’hui, la plupart des plaintes concernent l’action du Parquet et de la police judiciaire. Qu’avez-vous prévu à ce sujet?

R.: Dans notre proposition, les juges sont choisis par le CSM et non plus par le ministre de la Justice. De plus, les membres du parquet ont le droit de rejeter une demande du ministre de la Justice d’engager des poursuites contre quelqu’un à condition de justifier cette décision. C’est un grand pas en direction de l’indépendance de la justice et de la libération du parquet de la mainmise du ministre, qui, dans la loi actuelle, est le chef hiérarchique du parquet.
Q.: Quelles sont les chances de cette proposition de devenir une loi?
R.: Grandes, j’espère. D’autant qu’elle ne fait qu’appliquer les principes de la Constitution et ceux du document d’entente nationale. La rejeter serait une atteinte à la Constitution. Or, la légalité de la nation est définie par cette Constitution qui est le contrat de participation qui lie les citoyens. Et la justice est la seule garante des dispositions de la Constitution, la seule en mesure de veiller au respect des droits de l’homme, le seul recours en cas de litige.
Q.: On vous voit de plus en plus auprès des responsables. Y a-t-il un rapprochement en vue?
R.: Je les rencontre lorsque les circonstances sociales ou légales l’imposent. Mais je suis prêt à toute coopération qui servirait les intérêts du Liban, J’ai ainsi participé à l’accueil de l’émir Abdallah, parce que je souhaite rendre hommage à l’homme et à son pays pour l’aide qu’ils ont apportée au Liban. Si j’ai participé au déjeuner de Aïn Tiné et au dîner au centre-ville, je l’ai fait en l’honneur de l’hôte séoudien, mais je continue à estimer, d’une part, qu’il n’est pas normal que le président de la Chambre ait une demeure officielle et, d’autre part, que les terrains du centre-ville aient été arrachés à leurs propriétaires. Je dois d’ailleurs me faire pardonner ce crime, en donnant de la nourriture à 60 personnes, selon mes croyances.
Q.: Comment expliquez-vous le fait que l’émir Abdallah ait été l’hôte du président Hariri?
R.: L’émir n’en est pas responsable. C’est une tentative pour s’approprier les aspects positifs de cette visite. Je ne crois pas qu’elle ait réussi car je connais l’émir Abdallah et je sais comment il voit les choses.

Propos recueillis par
Scarlett HADDAD
Député de la Békaa, ancien président de la Chambre à une période difficile pour le pays et membre fondateur du «mouvement des déshérités», M. Hussein Husseini souffre aujourd’hui, à la fois pour les habitants de sa région et pour les institutions qu’il a si longtemps défendues et qu’il voudrait protéger. S’il craint les débordements de l’action menée par...