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Actualités - REPORTAGE

La foule a réservé un accueil délirant à l'Ulema moujahed Toufayli veut étendre la révolte des affamés à tout le Liban (photos)

Qui a peur de cheikh Sobhi Toufayli? Apparemment, le pouvoir libanais qui avait mobilisé près de 10.000 soldats et agents des FSI afin de contenir «la révolte des affamés». Mais le «cheikh-courage», comme l’appellent ses partisans, a tenu son pari: il a réuni, place du sérail à Baalbeck, entre 5.000 et 7.000 personnes (selon les estimations de diverses sources) en dépit des divers obstacles dressés sur la route et il a annoncé la désobéissance civile dans la Békaa... tout en affirmant que la prochaine étape sera la marche sur Beyrouth.
Désormais, comme il l’a d’ailleurs dit lui-même, il y aura «un avant et un après 4 juillet». Et la Seconde République — qui avait déployé toute sa force — dont la nouvelle unité antiémeute qui n’était d’ailleurs pas présente à Baalbeck — pour empêcher les sit-in décrétés par le chef de la centrale syndicale opposante Elias Abou Rizk l’an dernier, a dû s’incliner devant la détermination du «cheikh des affamés», allant même jusqu’à donner des ordres tard dans la nuit de jeudi à vendredi pour ne pas entraver l’arrivée de ses partisans, en dépit des déclarations «fermes» du ministre de l’Intérieur, quelques heures plus tôt, à l’issue de la réunion du Conseil central de sécurité.
Certes, le déclenchement de la «révolte des affamés», qui a duré en tout et pour tout une heure et demie, ressemblait bien plus à un meeting oratoire qu’à une nouvelle révolution. Mais, selon cheikh Toufayli, le mouvement a quand même atteint ses objectifs et «l’uléma moujahed», comme il s’appelle désormais, a affirmé à «L’Orient-Le Jour» qu’«il n’est pas question de revenir en arrière» (VOIR PAGE 5).

Les contacts de
dernière heure

Et si, après cette mémorable journée, les habitants de la région de Baalbeck-Hermel continuent à avoir faim, ils ont désormais l’impression d’influer sur le cours des événements, alors que cheikh Toufayli s’est imposé comme un leader incontournable, aussi bien pour le pouvoir que pour les dirigeants du Hezbollah...
Une aube rafraîchissante se lève sur Baalbeck et sa banlieue Douris — où réside cheikh Toufayli — mais les rues sont déjà pleines de monde. Dans l’entourage du cheikh, nul n’a fermé l’œil de la nuit. C’est qu’il fallait rester vigilant et surveiller les agissements de l’impressionnante force de sécurité envoyée sur les lieux pour contenir la «révolte des affamés». D’ailleurs, la situation a failli déraper à la suite des déclarations du ministre de l’Intérieur, en début de soirée, lorsqu’il avait affirmé que les forces de sécurité ont reçu l’ordre d’appliquer les décisions du Conseil des ministres (interdisant les rassemblements et les manifestations) et que les représentants des médias devaient obtenir des permis spéciaux du ministère de l’Information pour pouvoir couvrir le meeting à Baalbeck.
Informé de ces décisions, cheikh Toufayli a choisi de réagir en haussant le ton et en se faisant carrément menaçant. Ce qui a d’ailleurs poussé le commandant de la gendarmerie par intérim, le brigadier Mohamed Mrad, à se rendre personnellement à Douris, tard dans la nuit, pour essayer de trouver un compromis avec le cheikh. Il a alors été convenu que les forces de l’ordre n’essayeraient pas d’entraver l’arrivée des partisans du cheikh, se contentant de veiller sur la sécurité des présents. Mais, en dépit de cet accord, conclu in extremis, les membres «du comité organisateur de la révolte des affamés», tout de noir vêtus et portant des badges roses (certains avaient aussi des revolvers à la ceinture), sont restés sur le qui-vive... Tôt le matin, ils se sont d’ailleurs postés à l’entrée de la ville de Baalbeck, guidant les arrivants et veillant au moindre détail.

Un cercueil,
celui du pouvoir

Dès 7 heures, les gens commencent à affluer. Il y a ceux qui viennent de la capitale et qui sont heureux d’avoir pu passer sans trop de problèmes les nombreux barrages des FSI et de l’armée dressés tout le long de la route de Dahr el-Baïdar à Baalbeck et ceux qui viennent des villages de la Békaa et du Hermel, arrivés généralement en famille.
A l’entrée de la ville, tout le monde doit descendre de voiture et faire le reste du chemin à pied, longeant des boutiques fermées. Dans la place, une tribune en bois est dressée devant le sérail, dont la façade est recouverte d’un tissu noir sur lequel est dessiné un cercueil, celui du «pouvoir criminel libanais» avec une couronne portant la mention: «Une pensée pour son âme maudite». A la droite de la tribune, une pancarte indique «le bureau d’information de la révolte des affamés» où les journalistes doivent obtenir des permis spéciaux. C’est dire que la «révolte» est particulièrement bien organisée.
Les délégations des divers villages arrivent, accueillies par des ovations, et, peu à peu, la place se remplit, alors que les agents des FSI se font très discrets. Un groupe du quartier de Maallaka (Zahlé) est longuement applaudi et, à partir de la tribune, des cris s’élèvent: «Bienvenue aux fils de Mariam» (la Vierge Marie). Une autre du village (chrétien) de Kaa reçoit le même accueil. Il y a toutefois peu de chrétiens dans la foule — dont une seule personnalité connue, l’ancien député Séoud Roufayel — et les rares femmes non voilées à la tribune (des journalistes) manquent de causer un scandale, certains cheikhs refusant d’être placés à côté de ces «mécréantes». Il faut l’intervention du beau-frère de cheikh Toufayli, l’ancien député membre du Hezbollah cheikh Khodr Tleiss, pour qu’elles ne soient pas chassées de la tribune. Mais à la fin de la cérémonie, les cheikhs ne pourront s’empêcher de leur lancer des «couvrez-vous» outrés.

Le Hezbollah absent

Une délégation de la «section de mobilisation des opprimés au sein du Hezbollah» est aussi longuement applaudie. Ce seront d’ailleurs les seuls membres de ce parti officiellement présents à ce meeting. Pourtant, jusqu’à la fin, cheikh Sobhi Toufayli et ses proches espéraient une participation des responsables de sayed Fadlallah, actuellement en froid avec le Hezbollah...
Dans la foule de plus en plus dense, des jeunes gens portant des casquettes avec l’inscription «Révolte des affamés» lancent des slogans du genre: «Qu’Allah maudisse les familles Hariri et Siniora», mais à partir de la tribune, on essaie de les faire taire.
A mesure que l’arrivée de cheikh Toufayli devient imminente, les slogans ne sont plus que des hommages à sa personne et des serments de fidélité. Un vieil homme brandit une faucille pour scander chaque slogan et, soudain, comme un seul homme, la foule se tourne vers la droite, hurlant dans un véritable délire: «Le voilà!». Cheikh Sobhi Toufayli descend d’une «Mercedes» noire, escortée d’une Range Rover et d’une BMW. A ses côtés quelques ulémas et ...le député Zaher Khatib, toujours prêt à défendre les déshérités, les malheureux et les opprimés.
Le cheikh monte à la tribune, aussitôt suivi par des dizaines de jeunes, qui grimpent sur des piliers, bondissent de partout et... alourdissent dangereusement l’édifice en bois.
En apercevant cheikh Toufayli, la foule est prise d’hystérie. Un équilibriste se précipite sur les tuiles en pente d’un immeuble avoisinant et gesticule pour attirer l’attention du chef de la révolte, manquant se rompre le cou.
Plus bas, des gens essaient en vain de le calmer. En face de lui, des jeunes installés eux aussi sur les toits des immeubles arrosent la foule d’eau alors que d’autres, postés aux pieds de la tribune, brandissent des bâtons à l’extrémité desquels sont accrochés des pains.
Dès que cheikh Toufayli prend la parole, la foule écoute religieusement, scandant de temps en temps quelques slogans.
D’ailleurs, lorsqu’il commence à haranguer la foule, cheikh Toufayli est complètement transformé: sa voix se fait tantôt fanatique et tantôt douce, enveloppante, entraînante, profonde et souvent grave. Même sans comprendre ce qu’il dit, on ne peut que se laisser imprégner d’une atmosphère particulière.
Après avoir énoncé les «crimes commis par le pouvoir», il s’adresse directement à la foule: «Est-ce un gouvernant ou un tortionnaire, un responsable ou un pirate, un gardien ou un voleur, un honnête homme ou un traître, un allié ou un ennemi?». Et la foule répond d’une seule voix: «Un ennemi», avec une telle violence que l’on en a la chair de poule.

Un pas dans
la bonne direction

Après l’avoir chauffée à bloc, cheikh Toufayli lève sa main ornée d’une bague pour calmer la foule.
Alors qu’il y a deux jours, il avait rejeté les 150 milliards de LL consacrés par le Conseil des ministres au développement de la région, les qualifiant de tentative de corruption, il déclare devant les milliers de personnes massées devant le sérail de Baalbeck: «Si cette somme est dépensée pour les projets de Yammouné, de l’Oronte et de Ouyoun Orghoche, ce sera un premier pas dans la bonne direction, mais gare aux tergiversations».
Il reprend ensuite son ton lyrique pour affirmer à la foule que cette victoire est la sienne et qu’elle ne doit rien à personne, pas même à lui. «La décision vous appartient et lorsque vous descendez sur le terrain, tous les autres disparaissent. Soyez forts et courageux».
Soudain, la nouvelle du blocage par les forces de sécurité d’une centaine de bus et de voitures à Dahr el-Baïdar modifie l’atmosphère. Cheikh Toufayli s’écrie: «Cela est contraire à l’accord conclu et met en danger la paix civile». La foule gronde comme un fauve et les agents des FSI se font tout petits.
Cheikh Toufayli annonce ensuite le début de la désobéissance civile dans la Békaa, demandant aux citoyens de cesser de payer les impôts et les taxes et de réduire au minimum leurs rapports avec l’Etat. «Nous commencerons dans la Békaa et bientôt ce mouvement s’étendra à toutes les régions. La prochaine étape sera la marche sur Beyrouth. Plus nous avancerons et plus ils reculeront. Et s’ils ne le font pas, bientôt, nous demanderons aux fonctionnaires de ne plus se rendre à leur travail et nous viderons leurs ministères. Nous marcherons sur Beyrouth et leurs châteaux de cartes s’effondreront».
Poings levés, les milliers de jeunes gens répètent: «Nous marcherons sur Beyrouth et nous mettrons les gouvernants dans des cercueils. Nous marcherons sur Beyrouth même si nous devons en mourir».
Ils lancent ensuite des slogans de dévotion au cheikh, mais il se fâche, leur disant qu’il déteste le culte de la personnalité et qu’il est là pour les servir. Il annonce la formation d’un comité regroupant toutes les forces de la région pour le suivi de l’affaire et déclare qu’il veut dialoguer avec tout le monde, dans toutes les régions pour assurer le succès du mouvement.
Il énonce ensuite quelques principes politiques tels que l’appui à la résistance et la condamnation des Etats-Unis avec lesquels il voudrait que l’Etat rompe ses relations. Mais on sent bien que ce n’est pas là l’ojectif réel de ce meeting.
Cheikh Toufayli quitte la tribune, mais ses partisans ne partent pas encore. Ils veulent avant prêter serment d’allégeance à sa personne. Soudain, des milliers de jeunes, de vieux et même d’enfants lèvent la main droite et répètent en chœur le serment de la fidélité.
Ils s’en vont ensuite le cœur léger, heureux parce qu’ils ont le sentiment de faire l’Histoire et de tenir leur destin entre leurs mains. Interrogés, ils déclarent en général qu’ils ne payaient déjà pas beaucoup d’impôts, mais depuis le feu vert du cheikh, ils se sentent plus forts, plus déterminés. La plupart affirment qu’ils sont prêts à mourir car ils n’ont pas grand-chose à perdre et ils se sentent si ignorés par la capitale... Mais de quoi demain sera-t-il fait? «Il sera ce que nous voulons qu’il soit, c’est le cheikh qui l’a dit», répondent-ils, confiants. Car, à leurs yeux, le cheikh, bien sûr, ne se trompe pas.
Scarlett HADDAD
Qui a peur de cheikh Sobhi Toufayli? Apparemment, le pouvoir libanais qui avait mobilisé près de 10.000 soldats et agents des FSI afin de contenir «la révolte des affamés». Mais le «cheikh-courage», comme l’appellent ses partisans, a tenu son pari: il a réuni, place du sérail à Baalbeck, entre 5.000 et 7.000 personnes (selon les estimations de diverses sources) en dépit...