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Actualités - REPORTAGE

Le scrutin partiel de Jbeil Retour à la vieille rivalité destour-bloc national Le boycottage fait désormais partie du passé (photos)

Pour expliquer la ruée des électeurs de Jbeil sur les urnes l’été dernier, on avait invoqué le nombre élevé de candidats qui s’affrontaient. A l’époque, 24 maronites et 16 chiites se disputaient les faveurs de 63.000 inscrits sur les listes électorales. Mais les analystes devront trouver des arguments plus convaincants pour disséquer ce phénomène qui s’est reproduit lors des partielles d’hier au cours desquelles quatre candidats (Emile Naufal, Nazem Khoury, Michel Khoury et Kamal Cordahi) convoitaient un seul siège maronite.
Les bureaux de vote de Jbeil étaient hier aussi animés, sinon plus, que l’été dernier. Du littoral au «jurd», en passant par le «Wassat» (la région centrale), les habitants en âge de voter ont accompli en grand nombre leur devoir électoral. A un point tel que candidats et responsables officiels (en l’occurrence le mohafez du Mont-Liban, Mohammed Souheil Yammout) n’ont pas manqué d’exprimer leur étonnement.
Dans les principaux centres de vote de la ville de Jbeil (14 bureaux pour 7100 inscrits), les électeurs attendent patiemment leur tour dans de longues files. Mêmes les quelques dizaines d’Arméniens inscrits à Jbeil se sentent concernés par cette échéance. A l’école publique Mariam Houssami où sont regroupés plusieurs bureaux de vote pour femmes, l’affluence est importante dès les premières heures de la matinée. Même spectacle à l’école publique secondaire quelques mètres plus haut, où sont installés les bureaux des hommes. L’image n’est pas très différente à Amchit, à Tartej (le village natal d’Emile Naufal), à Kartaba (fief du député Nouhad Souaïd qui soutient Nazem Khoury), où plus loin encore dans le jurd de Akoura et de Laklouk. Pourtant, le «Amid» du Bloc national, Raymond Eddé, le courant du général Michel Aoun et le Parti national libéral de Dory Chamoun avaient appelé au boycottage du scrutin, estimant que la situation politique qui a dicté cette option en 1992 et en 1996 n’avait pas évolué en 1997. Que se passe-t-il donc à Jbeil? Assiste-t-on à un remodelage du paysage politique dans cette région? Ce caza, qui s’était distingué il y a cinq ans par le plus faible taux de participation au Liban avec 6,5% de votants, réagit-il à une frustration qui l’avait complètement marginalisé?

Reconversions

Les questions se bousculent et les réponses ne sont pas toujours pertinentes. De la journée électorale d’hier, on peut cependant retenir plusieurs remarques assez significatives: le boycottage de la vie politique est un choix que les habitants de Jbeil ont abandonné dans leur grande majorité. Des jeunes gens qui étaient des fervents partisans du boycottage lors des deux derniers scrutins se sont joints aux machines électorales des différents candidats. L’histoire de Hanna est l’exemple type de ces nombreuses reconversions. «Il y a cinq ans, je n’envisageais pas de participer à une élection dans ce pays tant que les choses ne changeraient pas, explique cet homme de 30 ans à la voix enrouée. Mais, avec le temps, je me suis posé beaucoup de questions. Je me suis rendu compte que mon devoir était de provoquer, avec d’autres, ce changement. J’attendrai une éternité si je crois qu’on va me l’apporter sur un plateau d’argent». Aujourd’hui, Hanna est le coordinateur de la machine électorale d’Emile Naufal dans une dizaine de villages. C’est le cas de Fadi, de Merched et de Jihad qui ont rejoint la «machine» de Nazem Khoury. La principale conclusion à tirer de cette réalité est que les électeurs chrétiens à Jbeil ont repris leur rôle décisif dans le choix des députés, un rôle qu’ils avaient momentanément cédé en 1992 (et dans une moindre mesure en 1996) aux 11.000 électeurs chiites du caza.
Les principales forces chiites (Amal, Hezbollah et le député Mahmoud Awwad) soutiennent Nazem Khoury. Toutefois à Almat (village natal de Awwad), les électeurs sont divisés même si une grande partie d’entre eux affirment leur intention de respecter les consignes de vote. L’affluence est moins forte que dans les localités chrétiennes. On n’assiste pas devant les bureaux à la même effervescence et au même enthousiasme.

La rivalité Destour-
Bloc national

Le fait le plus frappant des partielles de Jbeil demeure le retour en force de la vieille rivalité entre le Bloc national et le courant destourien qui se sont partagé pendant de longues décennies le paysage politique de ce caza. Au lieu d’un remodelage politique, on assiste donc à Jbeil à un retour à cette ancienne équation, que même 17 ans de guerre n’ont pas réussi à bouleverser radicalement. Une chose est sûre: les milices qui ont contrôlé le terrain pendant la guerre n’ont pas laissé en héritage une force politique capable de supplanter les anciens courants. Chafic, un homme de 80 ans du village de Obeidat dans le «Wassat», veut voter Nazem Khoury. «C’est le fils de Chahid et l’allié de Sit Nouhad (Souaïd). Nous avons toujours été des destouriens», se contente-t-il de dire pour expliquer son choix.
Nazem Khoury a pu réunir autour de lui les «clés électorales» qui ont collaboré il y a un quart de siècle avec son père disparu. Mais il a un handicap. Dans sa ville natale, Amchit, il y a un autre candidat, l’ancien député Michel Khoury. Si la plupart des électeurs que nous avons rencontrés ont exprimé leur intention de procéder à un «vote utile» (comprendre Nazem Khoury), certains veulent rester fidèles à son rival Michel Khoury.
Emile Naufal s’est pour sa part posé en héritier du Bloc national. D’ailleurs, les notables de ce parti, bien qu’ayant officiellement appelé au boycottage des élections, soutiennent le député au mandat invalidé par le Conseil constitutionnel. On parle d’un mot d’ordre secret qui a circulé parmi les partisans du BN quelques jours avant la date des élections. Tartej a toujours été en tout cas un fief du Bloc national et les autres candidats n’ont même pas fait l’effort d’envoyer des scrutateurs dans ce village totalement acquis à Emile Naufal.
Dans les villages du «Wassat», Naufal jouit de l’appui de la plupart des électeurs qui voient en lui le représentant de cette région qui a de tout temps été marginalisée. En effet, les alliances électorales se faisaient d’habitude entre un candidat du littoral (Amchit ou Jbeil) et un autre du Jurd (souvent Kartaba). Le «Wassat» était considéré comme un vivier d’électeurs pour alimenter les listes principales. Avec Naufal, beaucoup de gens estiment que les choses ont changé. Georges, de Kharbé, le dit clairement. «Maintenant, on ne peut plus ignorer le «Wassat»», affirme-t-il sur un ton fier.

Sécurité et organisation

Les élections de Jbeil se sont déroulées pratiquement sans incidents et l’organisation administrative était bien meilleure que les deux derniers scrutins. Cela laisse prévoir que les responsables officiels vont pendant longtemps exploiter cette «réussite» dans leurs discours.
Pour la première fois dans l’histoire politique du Liban, les listes électorales étaient informatisées. Les erreurs classiques, comme la disparition de noms, l’apparition d’électeurs décédés depuis 20 ou 30 ans, les dates de naissances fausses, étaient moins fréquentes que d’habitude.
La sécurité était confiée à l’armée libanaise qui est restée en dehors des bureaux de vote à l’intérieur desquels des agents des FSI, le plus souvent aimables et polis, ont pris place. Quelques incidents mineurs ont cependant eu lieu, comme pour nous rappeler que notre démocratie en est encore à ses balbutiements. Dans la localité de Bejjé, trois membres de la Sûreté de l’Etat, revolver à la ceinture, ont essayé de pénétrer à l’intérieur du bureau de vote. Les soldats les ont arrêtés après avoir confisqué leurs armes. Les trois agents n’ont opposé aucune résistance et l’incident a été réglé calmement.
Les élections de Jbeil sont maintenant terminées, mais il reste à en tirer les leçons politiques. Et cela est peut-être encore plus important que le résultat de la consultation, car à travers le comportement des électeurs de ce caza, c’est l’évolution de toute la communauté chrétienne que l’on peut analyser. Certaines parties concernées par les développements au Liban ont sûrement commencé à le faire.

Paul KHALIFEH
Pour expliquer la ruée des électeurs de Jbeil sur les urnes l’été dernier, on avait invoqué le nombre élevé de candidats qui s’affrontaient. A l’époque, 24 maronites et 16 chiites se disputaient les faveurs de 63.000 inscrits sur les listes électorales. Mais les analystes devront trouver des arguments plus convaincants pour disséquer ce phénomène qui s’est reproduit...