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Actualités - CHRONOLOGIE

Contrôle des émissions par Satellite "Si nous faisons partie des médias loyalistes, nous n'aurions en aucun problème", affirme Pierre Daher Le gouvernement accord un sursis à la LBCI en attendant de plancher le mercredi 9 juillet sur le dossier

La LBCI a gagné sa deuxième bataille dans la guerre qu’elle mène pour l’abrogation du décret imposant le contrôle et l’autorisation préalables aux nouvelles et aux programmes politiques retransmis par satellite: le 16 avril dernier, le Conseil d’Etat, saisi vingt-jours plus tôt par la chaîne en question, avait rendu son jugement ordonnant la suppression de ce contrôle et jeudi, la LBCI dont la liaison satellite avait été interrompue deux jours plus tôt par l’Etat parce qu’elle avait décidé de se conformer au verdict du tribunal administratif, a pu de nouveau diffuser son bulletin destiné au monde arabe. Mais ce qu’elle a obtenu est en définitive un sursis. En effet, la partie est loin d’être gagnée, parce que l’Etat n’a pas encore prononcé son dernier mot dans cette affaire, bien que, normalement, il n’a qu’à se plier devant le verdict du Conseil d’Etat. Mais c’est là une autre affaire sur laquelle nous pouvons nous étendre longuement. Toujours est-il que le mercredi 9 juillet, le problème du contrôle préalable et le jugement du Conseil d’Etat seront examinés en Conseil des ministres. Rien ne dit encore que le gouvernement renoncera au contrôle préalable qu’il impose aux programmes politiques diffusés par satellite et il y a même fort à parier qu’en accordant un sursis à la LBCI, l’Exécutif ne fait qu’essayer de gagner du temps pour trouver la formule qui lui permettra de confirmer ce contrôle et de contourner ainsi le jugement du Conseil d’Etat. L’intention d’atermoyer a transparu mercredi, dans les propos tenus par le ministre de l’Information, dans le cadre d’une interview à la «Future Television». M. el-Sabeh a indiqué que le décret 20/97 relatif au contrôle avait été pris en Conseil des ministres et qu’il lui était par conséquent impossible de se conformer au verdict du Conseil d’Etat sans en référer au préalable au gouvernement.
La LBCI a réagi hier aux propos du ministre. Une source responsable de cette chaîne de télévision a souligné dans un communiqué qu’elle considère que le Conseil des ministres et le ministre de l’Information constituent une même entité, indissociable, puisqu’il s’agit de l’autorité exécutive. «Partant, tout verdict pris par une autorité juridique compétente telle que le Conseil d’Etat, ordonnant la suspension d’exécution d’une décision administrative est contraignant et doit donc être respecté par l’autorité exécutive qu’elle soit représentée par le Conseil des ministres ou le ministre concerné. D’autant que le Conseil d’Etat a répondu dans son verdict à ce point précis soulevé par le gouvernement», selon la même source.
Le Conseil d’Etat, rappelle-t-on de même sources, avait indiqué que «lorsque des dommages découlent de plusieurs décisions corollaires, il est possible de présenter un recours contre chacune d’elles ayant force exécutoire et étant par conséquent préjudiciable». Il avait aussi précisé que même si l’autorité du ministre est restreinte, cela ne peut pas affecter en quoi que ce soit la légalité de la décision.

Une question politique

De tout ce qui précède, il ressort que la LBCI n’est pas près de baisser les bras. Son PDG, M. Pierre Daher, est de toute façon persuadé que le gouvernement ne pourra que se plier devant le verdict du Conseil d’Etat puisqu’il est contraignant. Si, toutefois, le gouvernement continue d’ignorer le texte, la LBCI a une autre voie de recours: elle est en droit de réclamer un dédommagement à l’Etat. L’article 93 (nouveau) du statut du Conseil d’Etat stipule ce qui suit: «Les jugements du Conseil d’Etat sont contraignants pour l’administration. Les autorités administratives doivent se conformer à leurs dispositions. Une personne morale de droit public doit exécuter dans un délai raisonnable les verdicts définitifs du Conseil d’Etat sous peine de sanctions. En cas de retard, il est possible de la contraindre, à la demande de la partie plaignante, à payer une amende dont le montant sera apprécié par le Conseil d’Etat et qui restera en vigueur jusqu’à l’exécution du jugement».
C’est là un droit auquel la LBCI n’a pas non plus l’intention de renoncer. Et dans son recours devant le Conseil, elle s’était longuement arrêtée sur les nombreux obstacles à sa mission du fait du contrôle préalable des nouvelles et des programmes politiques. De toute façon, les yeux restent braqués sur cette chaîne qui pourrait créer un précédent au cas où elle contraindrait le gouvernement à exécuter un jugement rendu par le Conseil d’Etat et resté lettre morte.
Mais si dans ce cas précis, un tel dénouement semble difficile, c’est parce que le problème posé semble plus politique qu’organisationnel. M. Daher souligne d’ailleurs que si la chaîne qu’il dirige faisait partie des médias loyalistes, «elle n’aurait eu à affronter aucun problème». Outre l’affaire des émissions par satellite, la prise de position de la LBCI dans le cadre de la polémique autour de la dénomination de la Cité sportive avait irrité le chef du gouvernement qui aurait indirectement laissé entendre qu’en échange d’un allègement des mesures de contrôle, la LBCI pourrait bien renoncer à sa campagne en faveur du maintien de l’actuelle appellation de la «Cité sportive Camille Chamoun», apprend-on de sources informées. La nouvelle n’a pas pu être toutefois confirmée. De mêmes sources, on indique aussi que le chef du gouvernement ne voit pas d’un bon œil le rapprochement entre le chef de l’Etat et le PDG de la LBCI, d’autant que cette chaîne n’hésite pas à se rallier indirectement aux positions du président Elias Hraoui et à répercuter son point de vue lorsqu’un conflit au sujet d’une question déterminée éclate entre Baabda et Koreytem.
Quoi qu’il en soit, M. Pierre Daher a eu une série de contacts avec le président du Conseil qui lui a promis mercredi soir, d’inscrire l’affaire de l’émission par satellite à l’ordre du jour du Conseil des ministres du mercredi 9 juillet. Le même soir, M. Bassem el-Sabeh défendait sur la «FutureTelevision», la décision du gouvernement en matière de contrôle de l’information politique par satellite.

Péripéties

Le plus important reste que M. el-Sabeh a reconnu avoir officiellement pris connaissance du verdict du Conseil d’Etat. Au PDG de la LBCI, il aurait indiqué que le jugement ne lui avait pas été communiqué. C’est M. Daher qui nous le précise, en rappelant que le Conseil d’Etat avait rendu le 16 avril son jugement qui a été aussitôt communiqué au service du contentieux au ministère de la Justice. C’est ce département qui est supposé communiquer le verdict au ministre concerné. M. Daher ajoute que le texte est resté un certain temps dans les tiroirs du ministère avant d’être communiqué à M. el-Sabeh. Selon le statut du Conseil d’Etat, l’autorité administrative bénéficie d’un délai «raisonnable» pour mettre à exécution le texte en question. Aussi, passés 68 jours après la publication du verdict, la LBCI décide de s’y conformer. Le mardi 23 juin, poursuit M. Daher, la LBCI envoie au ministre, par le truchement de son avocat, Me Naoum Farah, une note officielle lui demandant d’appliquer la décision du Conseil d’Etat. Mais le ministre, relève M. Daher, nie avoir reçu le texte du verdict. Le soir même, le bulletin destiné au monde arabe est diffusé par satellite. Mais la liaison est tout de suite interrompue à partir de la station de relais de Jouret el-Ballout.
Pour M. Daher, ce n’est pas tant la présence dans ses studios d’un «censeur» du ministère de l’Information que le principe même du contrôle préalable, avec ce que cela implique comme atteintes aux libertés, qui est inacceptable. D’ailleurs, le «censeur» n’est intervenu que trois fois pour empêcher la retransmission de nouvelles. La première fois, la censure d’un passage de l’homélie de Noël du patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir, avait suscité un tollé dans les milieux chrétiens et notamment de l’opposition. La deuxième fois, c’est une information concernant les planteurs de tabac qui menaçaient de revenir à la plantation de pavot qui a été censurée et la troisième, c’est la nouvelle du jugement rendu par le Conseil d’Etat en faveur de la LBCI qui a été empêchée d’être retransmise par satellite, nous précise M. Daher.

Atteintes aux libertés

Dans son recours devant le Conseil d’Etat, la LBCI avait mis l’accent sur les atteintes aux libertés, soulignant que le contrôle imposé constitue un obstacle devant sa liberté d’expression et d’opinion et par conséquent devant sa mission de communication des informations. Le Conseil d’Etat avait retenu ce point, qu’il a d’ailleurs développé davantage, tout en rejetant les arguments exposés par le gouvernement pour justifier ce contrôle. L’Exécutif avait expliqué que c’est pour préserver la paix civile et préserver les bonnes relations de l’Etat avec le monde arabe, que ce contrôle a été imposé. Selon certaines sources, au moment où le décret imposant de nouvelles restrictions aux médias émettant par satellite était examiné en Conseil des ministres, le chef du gouvernement aurait évoqué le motif de la situation régionale et aurait même laissé entendre que les Syriens souhaitaient ce contrôle et que les Etats arabes pourraient couper leurs aides au Liban au cas où il ne serait pas pratiqué.
Aujourd’hui, de nombreux opposants de la politique du gouvernement en matière d’information, même parmi les ministres, réalisent que ces arguments ne tiennent pas. La réunion du Conseil des ministres du mercredi 9 juillet promet d’être houleuse, parce que les ministres proches des chefs de l’Etat et du Législatif sont bien déterminés à défendre la liberté d’expression et d’opinion des médias, d’autant que le texte de la loi sur les émissions par satellite définit clairement les sujets tabous et les sanctions applicables en cas d’infractions. «La loi prévoit des sanctions en cas d’erreurs commises mais le décret 20/90 punit des erreurs non commises», souligne M. Daher à juste titre.

Tilda ABOU RIZK
La LBCI a gagné sa deuxième bataille dans la guerre qu’elle mène pour l’abrogation du décret imposant le contrôle et l’autorisation préalables aux nouvelles et aux programmes politiques retransmis par satellite: le 16 avril dernier, le Conseil d’Etat, saisi vingt-jours plus tôt par la chaîne en question, avait rendu son jugement ordonnant la suppression de ce contrôle...