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Actualités - ANALYSE

La voiture privée, un phénomène social d'une ampleur sans pareil...

Pour faire passer dans l’opinion l’incroyable bond des taxes douanières sur les voitures, il faut un plaidoyer serré expliquant clairement la nécessité d’une telle mesure. Déjà que le Libanais, très individualiste, très libéral de nature, ne supporte qu’à contrecœur le principe même du fisc et les diverses formes de prélèvement que l’Etat opère en glissant la main dans sa poche-portefeuille.
Le gouvernement ne peut pas faire marcher le temps à reculons: la voiture dans le monde d’aujourd’hui est devenue une nécessité indispensable, voire vitale pour la plupart des gens. Dans les années trente ou quarante, quand les gens prenaient le tram ou le bus, elle pouvait être considérée comme objet de luxe. Plus maintenant, les transports en commun lourds (car le taxi-service marche bien) n’étant ni assez bien organisés, ni assez prisés pour circuler. Et cela malgré l’effort déployé ces dernières années aussi bien par l’Etat que par des compagnies privées qui quadrillent la ville et ses environs de lignes régulières bon marché. On voit ainsi plein de bus, grands, moyens ou petits, sillonner les rues presque à vide, sauf sur certains grands axes où la clientèle commence à se fidéliser.
Il n’empêche que la mentalité-voiture reste fortement enracinée au Liban. Elle avait commencé à fleurir dans les années Chamoun quand le pays bénéficiant des retombées de l’or noir arabe avait connu son âge d’or. Le Libanais, dont le niveau de vie s’était rapproché de celui de pays évolués, s’achetait une voiture qui alors servait généralement pour toute la famille. Par un faux paradoxe, la guerre a accentué le phénomène car si on n’avait pas sa propre voiture, il était difficile de circuler. Et, depuis, chacun s’efforce d’être autonome sur ce plan-là... Comme tout le monde n’est pas riche, le marché des véhicules d’occasion, revendus à une moyenne de 5.000 dollars, est devenu titanesque. Ce qui fait qu’il y a au Liban une voiture pour trois habitants, proportion énorme qui traduit un phénomène social de tout premier plan. Qui nourrit comme on sait une crise endémique de trafic routier, d’encombrements, de pollution et d’accidents dus au mauvais état des véhicules usagés.
Partant de là, le plan du pouvoir semble assez rationnel: en surtaxant de façon exorbitante l’importation, il espère arrêter le flot de voitures de seconde main qui seraient remplacées par des trottinettes neuves de moins de 15 millions de LL exemptées de surcharges douanières. Un autre avantage est que la vente diminuerait de moitié car pour 10.000 dollars on ne pourrait plus acheter deux voitures anciennes mais une seule nouvelle. Cependant, beaucoup font valoir que ces bidules à 10.000 dollars ne sont que des match-box, des jouets sans qualités, sans sécurité, trop petits pour servir de voiture familiale ou pour sortir de la ville et ils estiment que la marge d’exception aurait dû courir jusqu’à 20 millions de LL au moins...

Attachement

Toujours est-il que, question voiture, il y a longtemps que la logique a cédé le pas à des considérations subjectives, collectives ou individuelles auxquelles un certain show-off, une certaine vanité naïve mais aussi un certain goût du confort et de la qualité ne sont pas étrangers. Il est fréquent de voir un Libanais se procureur une «marque» d’un modèle remontant à quelques années et dépenser pour l’enjoliver, lui «mettre tout» presque autant que pour le prix d’achat. On sait ainsi qu’il existe une «bourse» des plaques minéralogiques où un numéro «joli» à trois chiffres peut valoir plus de 10.000 dollars, soit autant qu’une voiture d’occasion.
Quoi qu’il en soit, les mesures drastiques du gouvernement provoquent un tollé général. Et l’on entend beaucoup parler à cette occasion de l’Arlésienne, entendre de la classe moyenne, qui selon un ancien dirigeant «est la plaque tournante de l’économie nationale et se trouve la plus visée par la surtaxe. En effet, les cadres moyens disposent en général d’une voiture valant entre 20 et 30 millions de L.L. En la surtaxant, on va les priver de moyen de locomotion et dans beaucoup de cas, ils vont risquer de perdre leur emploi. Au mieux, ils vont se trouver avec un niveau de vie encore réduit et moins de possibilités de progresser».
Ce député affirme ensuite que, vu sous l’angle socio-économique, «l’action gouvernementale va à l’encontre de l’intérêt général du pays et des Libanais. Il aurait fallu, à son avis, se contenter d’obérer lourdement les droits douaniers sur les véhicules de première catégorie valant plus de 100.000 dollars et dont le nombre d’acquéreurs resterait le même, quel que soit le prix. Avec la réserve ainsi constituée, on aurait pu baisser les taxes sur le parc automobile neuf destiné à la population active moyenne, ce qui permettrait aux gens d’acheter une voiture nouvelle au lieu de se rabattre sur une voiture usagée».
«En tout état de cause, note cette personnalité, à si forte dose d’un seul coup la prescription ne peut pas passer. Quand on veut augmenter les impôts il vaut mieux aller progressivement, comme cela se fait en Europe. Pour faire oublier au Libanais, qui en a le sentiment très vif aujourd’hui, que le pouvoir veut faire du dirigisme et restreindre ses libertés...».
Ce à quoi un ministre qui se veut rassurant répond en affirmant que «cette grille de taxes douanières est provisoire. Elle sera appliquée pendant trois ou quatre ans seulement, le temps de nous débarrasser des vieux tacots et de réduire le nombre trop grand de véhicules en circulation au Liban. Ensuite nous reviendrons à un barème plus sage. D’ailleurs, nous y sommes obligés par les accords du Gatt...».
Mais n’est-il pas toujours trop tard quand la sauce se gâte?
E.K.
Pour faire passer dans l’opinion l’incroyable bond des taxes douanières sur les voitures, il faut un plaidoyer serré expliquant clairement la nécessité d’une telle mesure. Déjà que le Libanais, très individualiste, très libéral de nature, ne supporte qu’à contrecœur le principe même du fisc et les diverses formes de prélèvement que l’Etat opère en glissant la...