Rechercher
Rechercher

Actualités - ANALYSE

Municipales : les scrupules du pouvoir

sOn apprend tous les jours: si le pouvoir s’est résigné à reporter les municipales c’est parce qu’elles auraient suscité un déséquilibre politique encore aggravé, aux dépens de la composante chrétienne du pays... C’est ce qu’indique le président du Conseil en personne. Interrogé en effet sur les raisons du report des élections de municipalités et de «makhatirs», M. Rafic Hariri a dit en substance:
— «Il y avait eu au départ une erreur d’appréciation... On n’avait pas assez tenu compte du fait que les chrétiens se sont massivement déplacés de la montagne, de la Békaa et même de Beyrouth pour gagner le Kesrouan. Or, au stade actuel des capacités techniques, on ne peut faire voter les électeurs là où ils se trouvent installés. On estime ainsi que si le scrutin avait été maintenu, pour les quelque 800 municipalités recensées dans le pays, il n’y aurait pas eu plus de 25% remportées par des élus chrétiens, les 75% devant donc être le lot des mahométans. Un tel déséquilibre aurait eu de fâcheuses retombées et aurait pu provoquer de multiples ébranlements au niveau national. Dès lors, ajoute M. Hariri, j’ai pris sur moi de faire reporter les élections municipales. Je pense en effet qu’elles doivent impérativement se dérouler à l’ombre d’une nouvelle législation permettant à tout électeur de voter là où il se trouve installé, pour que les résultats soient équilibrés et que l’on serve ainsi les objectifs de l’entente nationale».
Pour aller dans ce sens précis, et après avoir pris note des remarques des députés, le ministre de l’Intérieur M. Michel Murr propose dans son projet de loi que le gouvernement «puisse désigner, par décrets pris sur recommandation des ministres de l’Intérieur et des Affaires municipales, le tiers des édiles pour les agglomérations mentionnées dans le tableau annexe numéro un ainsi que pour les municipalités dont les populations sont déplacées, pour les villages bordant l’enclave occupée mentionnés dans le tableau annexe numéro deux et pour les municipalités de confessions panachées mentionnées dans le tableau annexe numéro trois». Cette désignation interviendrait quinze jours après la proclamation des résultats des élections pour les deux autres tiers des membres du conseil municipal.
Toujours est-il que, multipliant les précautions à cause de l’importance de la question, le pouvoir a décidé de faire contre-examiner le projet de loi, aux fins d’éventuelles retouches, par une commission ministérielle spéciale présidée par le chef du gouvernement en personne avant sa transmission à la Chambre.

Réticences

A dire vrai, beaucoup de ministres, et encore plus de députés, soulignent qu’on a trop élargi le champ des désignations, du moment que sur les 800 municipalités un très grand nombre correspond forcément à l’une des trois catégories prévues: déplacés, frontaliers ou panachés. Sur le plan pratique, font valoir ces officiels, l’exception deviendrait la règle et la démocratie s’en trouverait altérée. D’autant, ajoutent les opposants, qu’il est faux de prétendre que la désignation peut servir l’entente nationale. «Au début, on avait dit que les nominations serviraient à améliorer le niveau de compétence des conseils municipaux en y incluant des élites... Cela n’a pas marché, car une telle attitude est fondamentalement anticonstitutionnelle aussi bien qu’antidémocratique. Alors on nous parle maintenant d’un «impératif national supérieur», en l’occurrence l’entente nationale. Passe encore s’il s’agissait de législatives mais nous ne voyons pas du tout ce que l’«entente nationale» vient faire en matière de gestion municipale. Dans les villages, on se connaît et on se détermine par rapport à des affaires ou des intérêts héréditaires de familles ou de clans. La désignation, acte de contrainte autoritaire, peut y être très mal accueillie. Ou se révéler tout à fait absurde: à quoi cela servirait-il, par exemple, de désigner conseiller municipal au titre de l’équilibre confessionnel un déplacé qui ne se rendrait jamais dans son village d’origine... Et puis les dirigeants et tous ceux qui se rattachent au pouvoir nous ont appris qu’eux-mêmes ne pratiquent l’entente ni avec les tiers ni même entre eux. Alors, quand ils en viendraient aux désignations, ils se disputeraient de nouveau à leur propos et il vaut mieux donc qu’il s’évitent ces crises...»
A ces réticences, un responsable répond en rappelant que «le recours aux désignations n’est pas obligatoire pour le gouvernement et ne sera adopté, dans notre optique, que dans les cas limités où les parties concernées n’auront pas pu se mettre d’accord pour une formule respectant les intérêts des agglomérations ainsi que les équilibres généraux».
Mais cet argument fait sourire les opposants qui prévoient que «lorsqu’on dispose d’un pouvoir, on en use. Donc le pouvoir va désigner à tour de bras partout où la loi l’y autorisera. Cela non pas pour servir l’entente, mais pour servir ses propres intérêts. Car avec un tiers des édiles en main, il pourra contrôler beaucoup de municipalités et compenser ainsi les éventuelles pertes d’influence qu’il aurait subies dans les régions à travers les législatives. La vraie solution consisterait dans l’adoption de la carte électorale magnétique individuelle. Et si cela n’est pas réalisable dans les délais, puisque les municipales devraient intervenir au printemps de l’an prochain, on pourrait pour une seule fois fixer, dans les localités à problème, la proportion confessionnelle des conseillers municipaux», concluent ces sources.

E. K.
sOn apprend tous les jours: si le pouvoir s’est résigné à reporter les municipales c’est parce qu’elles auraient suscité un déséquilibre politique encore aggravé, aux dépens de la composante chrétienne du pays... C’est ce qu’indique le président du Conseil en personne. Interrogé en effet sur les raisons du report des élections de municipalités et de...