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Actualités - REPORTAGE

L'affaire Ayoubi-Sawan La défense plaide la folie de l'accusé et la partie civile réclame la peine de mort

L’affaire Ayoubi-Sawan aurait pu n’être qu’un simple crime de droit commun, horrible certes, — comme ils le sont tous —, et rapidement oublié, comme ils le sont tous aussi. Non pas qu’il soit courant qu’un jeune homme tue un père et son fils, avec la complicité de son cousin-garde du corps, pour s’emparer de leur voiture, mais le quotidien est plein de tragédies, parfois plus atroces encore.
Pourtant, le procès de ce double crime, était devenu au fil des audiences, un feuilleton passionnant. D’abord à cause de la personnalité — même du coupable présumé, Yehya Ayoubi, fils unique d’un brigadier des FSI, qui a assisté au suicide de sa mère alors qu’il avait 12 ans. Ensuite à cause de la stratégie de la défense — assurée par d’éminents avocats dont Mmes Mounif Hamdane et Hussein Haïdar pour Yehya Ayoubi et Mahmoud Mkhayech pour son cousin, Mohamed — basée sur l’irresponsabilité — au moins partielle — de l’inculpé Yehya pour cause de maladie mentale. Et enfin, à cause des arguments de la partie civile représentée par Me Badawi Abou Dib.
Une fois de plus, ce pénaliste d’une éloquence rare, a su montrer à une assistance généralement favorable aux coupables, que quelques que soient les circonstances qui ont pu pousser un individu à en tuer deux autres pour une voiture, il ne peut pas et ne doit pas rester sans châtiment car les fantômes des victimes innocentes continueront à hanter les consciences. Un à un, Me Abou Dib a démonté les arguments de la défense, définissant les maladies mentales et surtout les cas d’irresponsabilité s’adressant parfois directement à l’inculpé, pour lui faire prendre conscience de l’horreur de son acte. Et le jeune homme, à mesure que l’avocat avançait dans sa plaidoirie, perdait pied, ne savait plus quelle contenance prendre et se tournait, affolé, vers son père, le brigadier Ayoubi, aussi imperturbable qu’à l’accoutumée.
L’homme a certes utilisé tous les moyens en son pouvoir pour sauver la tête de son fils, améliorant ses conditions de détention, assistant à toutes les audiences d’un procès qui a traîné en longueur et lui assurant une puissante défense. Tout cela sera-t-il suffisant pour lui éviter la peine de mort, suivant les dispositions de la loi de mars 1994, qui annule les circonstances atténuantes? En écoutant hier Me Badawi Abou Dib, l’assistance n’était plus sûre de rien. Et même si la défense, par la voix de Mmes Hussein Haïdar, Mounif Hamdane et Me Mahmoud Mkhayech a voulu apitoyer la cour, présidée par le juge Labib Zouein, sur le cas de Yehya, celle-ci aura bien du mal à prendre sa décision. Le verdict sera rendu le 14 juillet.
L’audience s’ouvre sur un élément étonnant: le parquet a changé de représentant. A la place de M. Jamal Hélou — qui avait longuement interrogé les inculpés, allant même jusqu’à faire des recherches approfondies, sur les cas de démence, de schizophrénie et de troubles mentaux — se tient l’avocat général Nadim Abdel Samad. Le changement est de taille, car il est rare qu’il y ait changement de procureur en cours de procès, et notamment à l’audience du réquisitoire. Ce qui ouvre la voie à toutes les interrogations et, en matière judiciaire, elles sont nombreuses ces temps-ci.
Après les formalités d’usage, le président Zouein, entouré de ses deux assesseurs donne la parole à Me Abou Dib, qui entame une de ces plaidoiries passionnantes dont il a le secret. Au début, Yehya, particulièrement bronzé pour un détenu, le toise avec arrogance, souriant parfois d’un air entendu à certaines phrases un peu lyriques. Mais petit à petit, il commence à se sentir inquiet. Il écoute attentivement, regarde son père et sa tante maternelle — élégante en tailleur-pantalon blanc et turban noir —, se cache la tête entre les mains, demande l’autorisation de boire, s’assied, souffle puis demande l’autorisation de se rendre aux toilettes en prenant avec lui son paquet de cigarettes.

«La folie, une
maladie à la mode»

C’est que Me Abou Dib est loin d’être tendre avec lui. Tout en rappelant son passé de mauvais garçon — qui depuis longtemps, selon l’avocat, utilisait l’influence et la position respectée de son père pour s’emparer des biens d’autrui, menacer, punir et détruire, suivant ses envies — l’avocat de la partie civile dissèque son attitude depuis le début de l’enquête. Selon Me Abou Dib, Yehya Ayoubi commence par nier les faits qui lui sont imputés, puis devant les aveux complets de son complice et cousin, Mohamed Ayoubi, il reconnaît avoir tué Ibrahim Sawan et son fils Samir, mais en invoquant la légitime défense.
L’avocat démontre ensuite comment celle-ci est totalement exclue, car comment deux hommes désarmés — comme l’étaient les victimes — pourraient-ils attaquer deux autres portant trois revolvers? D’autant que les deux inculpés avaient fait miroiter aux deux victimes la possibilité de leur remettre un terrain en échange de la Range Rover. Or, en véritables campagnards, et Abou Dib insiste sur ce point, les deux victimes aiment la terre...
Enfin, voyant que cet argument non plus ne convainquait pas, Yehya a enfin invoqué la folie, insistant longuement sur ces troubles mentaux héréditaires et acquis. Aggravés par sa consommation massive de drogues diverses et d’alcool. Et là aussi, Me Abou Dib se lance dans de longues explications sur les cas de folie entraînant l’irresponsabilité, en se basant sur d’impressionnants documents, dont un manuel de psychiatrie. D’abord, Me Abou Dib, démontre qu’un dément n’a pas de complices. Ensuite, il explique que son acte ne peut être prémédité, puisqu’il est censé se dérouler alors que le malade est pris d’un accès de folie. Or, tout en rappelant les circonstances du drame et en se basant sur les déclarations des inculpés et sur les dépositions des témoins, il montre avec quel soin l’acte a été prémédité, qu’il s’agisse du plan établi qui consiste à attirer les deux hommes dans un terrain vague, éloigné, sous prétexte de le leur proposer en échange de la voiture convoitée ou des gants utilisés pour fouiller les dépouilles, une fois le forfait accompli.
Me Abou Dib montre aussi qu’un fou n’a pas d’autre mobile que sa folie. Or, dans ce cas précis, Yehya a tué pour se procurer la voiture, car il n’a pas voulu en payer le prix. Et selon lui, toute hallucination et tout trouble mental ne sont pas forcément folie et n’entraînent pas forcément l’irresponsabilité. Se basant sur des définitions de la folie trouvées par de célèbres spécialistes, Me Abou Dib précise qu’on ne peut parler de folie lorsqu’un seul des facteurs existe. Il les faut tous pour que l’on puisse parler de cette maladie mentale.
Il conclut sa plaidoirie en reprenant les propos tenus par le procureur de la République française lors du procès de l’assassin du président de la République Paul Doumer (en 1931) «la folie, c’est la maladie à la mode, dans les cours de justice. Il n’y a plus de coupables, il n’y a que des malades, il n’y a que des fous, des demi-fous, des fractions de fou... Supprimons l’échafaud, les bagnes, les prisons, construisons à grands frais des asiles d’aliénés...» Abou Dib réclame donc la peine de mort contre les deux inculpés et des indemnités de 600.000.000 de L.L. pour les héritiers des victimes.
En quelques mots, l’avocat général appuie les thèses développées par Me Abou Dib et requiert lui aussi la peine de mort pour les deux inculpés.
C’est ensuite le tour de la défense, qui commence par remettre une note écrite au président de la cour. Me Abou Dib s’insurge, déclarant que c’est contraire au principe de transparence du procès. Puis Me Hussein Haïdar prend la parole. Tout en commençant par exprimer sa sympathie aux victimes, il plaide en faveur d’une irresponsabilité partielle de son client. Répondant indirectement à Me Abou Dib, il précise que son client n’a pas invoqué la folie en dernier recours, après l’échec des autres stratégies, mais «parce que le fou est toujours le dernier à reconnaître sa maladie; c’est donc après avoir entendu ses proches qu’il en a parlé».
Me Haïdar, aussi bien que Me Hamdane d’ailleurs, s’étendent longuement sur le passé trouble du jeune Yehya, sur le terrible traumatisme qu’a été pour lui, le suicide de sa mère et sur son hérédité car en fait le frère de cette dernière s’est aussi donné la mort. Enfin, se basant sur les traitements médicaux suivis par leur client bien avant le crime, ainsi que sur de nombreux rapports médicaux antérieurs et postérieurs au drame, ils cherchent à démontrer que le jeune homme est réellement fou. Me Hamdane va même jusqu’à dire que Yehya a un comportement infantile. «Il a un âge mental de 10 ans et sa convoitise obsessionnelle de la voiture est celle d’un enfant qui veut un jouet», déclare l’avocat.
Tous deux réclament donc pour leur client l’adoption de circonstances atténuantes, pour cause de folie. De son côté, Me Mahmoud Mkhayech plaide en faveur de Mohamed Ayoubi, précisant que la participation de son client au crime relève du délit, son rôle étant totalement secondaire.
La cour rendra son verdict le 14 juillet.

S.H.
L’affaire Ayoubi-Sawan aurait pu n’être qu’un simple crime de droit commun, horrible certes, — comme ils le sont tous —, et rapidement oublié, comme ils le sont tous aussi. Non pas qu’il soit courant qu’un jeune homme tue un père et son fils, avec la complicité de son cousin-garde du corps, pour s’emparer de leur voiture, mais le quotidien est plein de tragédies,...