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Actualités - CHRONOLOGIE

Dirigisme économique ou protectionnisme avisé ? La nouvelle politique agricole et les surtaxes divisent le pays

La nouvelle politique agricole de M. Chaouki Fakhoury et les surtaxes douanières décidées par le Conseil des ministres sont décidément condamnées à soulever autant de questions qu’elles prétendent en régler. Accueillies favorablement dans les milieux agricoles, elles ont soulevé un tollé dans les milieux des commerçants, et beaucoup de scepticisme et de méfiance chez le simple citoyen. Qu’on le veuille ou pas, elles divisent. Faire changer à une population ses habitudes de consommation a toujours été difficile. Mais le faire dans le contexte actuel, ça l’est plus encore, en raison des appréhensions de nature politique qui se greffent aux questions purement techniques .

Mais pour peu que l’on présume de la réelle volonté des responsables de protéger le secteur agricole, qui nourrit quelque 40% de la population libanaise, la nouvelle politique agricole qui doit entrer en vigueur le 1er octobre est-elle le bon moyen de le faire? Peut-on parvenir aux mêmes buts par d’autres moyens? Le dirigisme économique qu’elle implique n’est-il pas anachronique, à l’heure du GATT et du partenariat euro-méditerrannéen? Ne risque-t-il pas de nuire à d’autres secteurs vitaux de l’économie? Les expériences analogues faites dans d’autres pays sont-elles concluantes? Peut-on parler d’«autosuffisance» dans un pays aussi petit que le Liban? Peut-on contrôler assez efficacement les frontières, pour faire réussir cette nouvelle politique? Est-ce le simple agriculteur, ou les puissantes compagnies qui vont en tirer les véritables bénéfices? Ne se dirige-t-on pas droit vers un marché en dents de scie, marqué par des pénuries chroniques? Saura-t-on moduler ce dirigisme, et le lever quand il ne sera plus nécessaire? Sommes-nous, une fois de plus, en présence d’un certain «amateurisme» politique d’autant plus fâcheux que les structures administratives nécessaires au succès de cette politique n’existent pas?
Autant de questions que le simple citoyen se pose, et auxquelles il ne peut apporter que des réponses confuses. Curieusement, les divergences à ce sujet commencent au sein même du Conseil des ministres. Les principaux ministres hostiles au projet de M. Fakhoury sont MM. Fouad Siniora (Finances), Yassine Jaber (Economie et commerce) et Hagop Demerdjian (Affaires rurales et municipales). Tous trois sont de farouches partisans de la loi du marché. Pour sa part, M. Siniora doute de la possibilité de bouleverser les fondements de l’économie libanaise, qui repose essentiellement sur les services et le tourisme, au bénéfice de l’agriculture.

«Troïka» et
«contre-Troïka»

Face à ceux que M. Hraoui a considéré comme «une nouvelle troïka», on trouve ce dernier ainsi que M. Hariri, en désaccord, pour une fois, avec M. Siniora. MM. Hraoui et Hariri se sont rencontrés, hier matin, au palais de Baabda, et ont notamment évoqué ce dossier. Notons que l’emploi du temps du président Hafez el-Assad ne lui a plus permis, hier, de recevoir comme prévu M. Hariri. Le président de l’Assemblée nationale, M. Nabih Berry, s’est également rangé du côté des partisans du projet.
Dans les milieux des importateurs de voitures et des commerçants, c’est par contre le refus le plus total, et l’on considère que la nouvelle politique agricole est «une atteinte à l’économie libérale» et «un très grave précédent» susceptible de faire fuir les capitaux. Deux réunions se sont tenues, hier, la première entre les importateurs de voitures et M. Siniora, la seconde entre les importateurs de produits alimentaires et M. Fakhoury. Toutes deux n’ont rien donné.
Une assemblée générale extraordinaire des représentants de 19 associations de commerçants de toutes les régions, s’est tenue à Beyrouth. Dans un climat d’escalade cette assemblée extraordinaire a envisagé, pour faire échec à la nouvelle politique, deux solutions: la grève générale ou une démarche auprès du Parlement, dont le but serait de faire voter une motion hostile à la nouvelle politique, un peu comme en 1970 on avait fait échec au décret 1943 de M. Elias Saba surtaxant les produits de luxe.

«Journée noire»

Un communiqué vif de ton a émané de cette assemblée
extraordinaire. Il considère en particulier que la nouvelle politique porte atteinte à l’économie libérale, et que le 10 juin est «une journée noire» dans la vie économique du pays. Une réunion de tous les organismes économiques est prévue pour les jours à venir, en vue d’une position unifiée en la matière.
D’ores et déjà, plusieurs associations sectorielles, notamment celles des importateurs de voitures ont mis en garde contre un marasme qui les contraindra à des licenciements de personnel, si les surtaxes sur les voitures sont appliquées.
Pour sa part, le ministre de l’Agriculture a nommé une commission qu’il a chargée des modalités d’application de sa nouvelle politique. Formée de hauts fonctionnaires et d’experts économiques, elle sera secondée par des sous-commissions spécialisées dans chaque type de produit agricole.

En attendant l’avis des experts, force est de reconnaître que la nouvelle politique comporte plusieurs anomalies, qui dénotent une grave ignorance de certaines données toutes simples de la vie quotidienne. Ainsi, certains produits de consommation courante, comme le lait en poudre, le beurre et les huiles pour fritures, figurent parmi les produits qui seront surtaxés. Voilà qui est étrange, quand on refuse par exemple une surtaxe sur l’essence, comme le fait M. Berry, pour ne pas alourdir le fardeau des classes petites et moyennes. Mais lait en poudre ou essence, cela ne revient-il pas au même? Est-ce les classes aisées qui paieront la facture laitière du pays? Les syndicats, où ce qui en reste, ne s’y sont pas trompés. Même déchirés par un conflit de légitimité, ces milieux ont réagi, en général, avec méfiance, aux nouvelles propositions de M. Fakhoury.
Développer l’agriculture, équilibrer la balance des paiements, économiser quelques centaines de millions de dollars dépensés sur des jeeps et des «chips», des asperges et des endives, pour fixer les paysans sur place et freiner l’exode rural, orienter des dépenses jugées improductives vers des secteurs productifs, voilà qui est louable. Encore faut-il en prendre les véritables moyens, et parmi ces moyens, le facteur psychologique ne doit pas être négligé. Le gouvernement doit être en mesure de persuader les Libanais qu’il est dans l’intérêt national, même si ce n’est pas dans l’intérêt immédiat de certains, d’accepter de s’imposer certaines restrictions. Encore faut-il qu’il y ait une certaine égalité dans l’austérité. Encore faut-il que la confiance règne.
F.N.
Fady NOUN
La nouvelle politique agricole de M. Chaouki Fakhoury et les surtaxes douanières décidées par le Conseil des ministres sont décidément condamnées à soulever autant de questions qu’elles prétendent en régler. Accueillies favorablement dans les milieux agricoles, elles ont soulevé un tollé dans les milieux des commerçants, et beaucoup de scepticisme et de méfiance chez le...