Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Ecoutes téléphoniques : les députés restent sur leur faim Formation d'une sous-commission parlementaire pour vérifier les données recueillies hier Place de l'Etoile

La cinquantaine de députés qui ont assisté hier à la réunion de la commission parlementaire quadripartite sur les écoutes téléphoniques sont restés sur leur faim: les explications fournies par les représentants des différents services de sécurité et des deux compagnies de téléphone mobile ne leur ont pas appris plus qu’ils n’en savent au sujet de la surveillance téléphonique. Une sous-commission présidée par le chef du Législatif, M. Nabih Berry, et formée des présidents et des rapporteurs des quatre commissions parlementaires devra vérifier les indications recueillies hier et portant principalement sur deux points: est-ce que les lignes cellulaires sont surveillées? Pour le compte de qui l’écoute téléphonique est pratiquée?
La formation de cette commission, qui n’a surpris personne — puisque déjà la veille, mardi, il en était question —, s’est imposée à cause du caractère général des réponses obtenues aux questions posées pour la plupart par M. Berry au nom des députés présents: Non, les lignes cellulaires ne sont pas mises sur écoute. La Sûreté générale est l’autorité en charge des écoutes mais elle coordonne avec les divers services de sécurité. La surveillance téléphonique n’est pratiquée que dans des cas très précis, en rapport avec la sécurité, et sur autorisation du parquet. Il y a un seul centre d’écoute. Les conversations des hommes politiques ne sont pas écoutées, à moins que des questions de sécurité n’imposent cette surveillance. Oui, des rapports de synthèse sont adressés aux autorités concernées...

Une réunion
d’évaluation

La sous-commission doit tenir mercredi prochain une réunion pour évaluer les résultats de la séance d’hier à la lumière des documents que les différents services de sécurité doivent lui remettre dans les prochaines 72 heures, à la demande du chef de l’Assemblée. Ces documents doivent permettre aux députés de vérifier l’exactitude des indications fournies par les diverses parties questionnées et de cerner davantage le problème des écoutes en attendant qu’il soit codifié.
Mais est-ce que cette démarche sera-t-elle suffisante pour apporter des réponses précises aux questions que d’aucuns se posent et notamment aux interrogations des députés et du chef du Législatif qui restent persuadés que les lignes téléphoniques des hommes politiques sont mises sur écoute? Selon des sources parlementaires, la sous-commission doit soumettre son rapport à l’assemblée générale parlementaire laquelle pourra former une commission d’enquête si elle juge nécessaire un complément d’investigations. Conformément au règlement intérieur de la Chambre, une commission parlementaire d’enquête a tous les pouvoirs d’un juge d’instruction sauf, bien, sûr, celui de délivrer des mandats d’arrêt. Dans certains milieux parlementaires, on s’attend à ce que la sous-commission entende de nouveau les responsables des services de sécurité et des compagnies de téléphone cellulaire, mais chacun à part. Ces informations ont toutefois été démenties de sources officielles au Parlement.

L’écoute des lignes
cellulaires

M. Berry a affirmé hier encore sa conviction selon laquelle l’un des deux réseaux cellulaires est mis sur écoute pour le compte de certains responsables politiques. Reste à vérifier si les craintes du président de la Chambre sont fondées. Les responsables des deux sociétés de téléphone portable ont catégoriquement nié l’existence d’un système d’écoute sur leurs réseaux respectifs. Ils ont souligné la complexité d’un tel dispositif tout en reconnaissant que sur le plan technique, l’écoute des communications cellulaires est possible, mais nécessite un logiciel extrêmement coûteux. Ils auraient aussi rappelé qu’à la demande du chef du gouvernement, leurs centraux ont été inspectés.
Il s’agit là d’un des points que la sous-commission parlementaire doit vérifier, en raison des informations contradictoires à ce sujet, rappellent les mêmes sources. Selon celles-ci, M. Hariri aurait effectivement ordonné une inspection des centraux des sociétés de téléphone cellulaire, au lendemain de la question adressée par le président Sélim Hoss au gouvernement et relative à l’écoute téléphonique. Mais il serait revenu sur sa décision 24 heures plus tard et donné l’ordre de suspendre l’inspection qui aurait été opérée dans les centraux d’une seule compagnie.

Un central parallèle

De sources politiques informées, on précise que la mise sur écoute des lignes cellulaires se fait à partir d’un central parallèle, qui aurait été toutefois démantelé depuis que l’affaire des surveillances téléphoniques a éclaté. Selon les mêmes sources, il est pratiquement difficile «pour ne pas dire impossible» de s’assurer à l’heure actuelle de la présence de ce central. A moins d’une indiscrétion quelconque.
Dans les milieux parlementaires, on souligne qu’une bonne partie de la réunion a porté sur «l’écoute cellulaire», mais sans rien donner. Pas plus que n’ont donné d’ailleurs les délibérations autour de l’écoute sur le réseau ordinaire et d’un rôle (question abordée par des députés de l’opposition) qu’«Ogero», une société privée en charge des réparations téléphoniques, aurait joué sur ce plan, facilitant la mise sur écoute de certaines lignes. Au point que des députés de l’opposition, furieux par les résultats de la séance, ont, sans détours, accusé les autorités politiques, «avec à leur tête le gouvernement, d’avoir empêché les (responsables des) services de sécurité convoqués de dépasser le cadre des généralités dans leurs indications sur les écoutes». Ces députés se réservent le droit, ont-ils dit, de demander des comptes au gouvernement à ce sujet, accusant l’Exécutif de contrôler les écoutes «à des fins politiques et économiques». «J’en suis convaincu, l’espionnage économique existe dans le pays et personne n’ignore pour le compte de qui il est pratiqué», lance notre interlocuteur, furibond.
Le député en question indique également qu’il a été question d’espionnage politique et économique durant la réunion. Il sera toutefois le seul à en parler.

Codifier l’écoute

D’autres parlementaires interrogés ont indiqué que l’un des buts de la réunion est de jeter les bases d’une réglementation stricte du système des écoutes, sans entrer dans les détails des délibérations à l’hémicycle. Pour eux, la codification de la surveillance téléphonique ne supprimera pas totalement l’écoute sauvage. «Elle l’atténuera et c’est déjà beaucoup», disent-ils, tout en notant qu’ils auraient voulu en savoir davantage sur les écoutes politiques et les rapports envoyés aux chefs de l’Etat, du Parlement, du gouvernement, ainsi qu’aux ministres de l’Intérieur et de la Défense et au commandant de l’armée. Selon certaines sources, M. Berry aurait démenti les informations selon lesquelles il recevrait régulièrement des rapports sur les écoutes. Le chef du Législatif aurait seulement reconnu avoir reçu quelques rapports relatifs à des questions de sécurité et aurait insisté hier, dans ses questions, sur la surveillance téléphonique politique, catégoriquement démentie par les délégués des services de sécurité.
En principe, les délibérations de la commission sont secrètes: les commissions parlementaires de la Défense et de l’Intérieur, des Postes et des Télécommunications, de l’Administration et de la Justice et des droits de l’homme et du règlement intérieur de la Chambre ont tenu leur réunion à huis clos en présence du procureur de la République, M. Adnane Addoum, des directeurs généraux du ministère des P. et T., de la Sûreté générale, de la Sécurité de l’Etat et des services de renseignements de l’armée, du chef de la gendarmerie et des responsables des deux sociétés cellulaires «Cellis» et «Libancell».

Un enjeu politique

Des sources politiques informées ont réaffirmé hier à «L’Orient-Le Jour» que l’enjeu véritable de l’affaire des écoutes est politique et sont allés jusqu’à parler d’un bras de fer entre les trois pôles du pouvoir à ce sujet: c’est à qui parviendra à placer sous son contrôle le dispositif des surveillances téléphoniques qui restent éparses en dépit des assertions selon lesquelles il n’y aurait qu’un seul centre d’écoute. Selon les mêmes sources, des rapports détaillés sont adressés au chef de l’Etat par la Sûreté générale qui est considérée comme étant la quote-part de la présidence de la République au niveau des différents services sécuritaires, ainsi qu’au chef du gouvernement dont relève le service de sécurité de l’Etat. M. Berry, notent-elles, avait à maintes reprises manifesté son mécontentement devant ce partage des services et affirmé redouter une surveillance sauvage.
Durant la réunion, il aurait aussi insisté sur le point de savoir lequel des trois services de sécurité centralise les renseignements obtenus. La réponse aurait été la Sûreté générale. Seule? La réponse officielle est oui. Mais en pratique?

Tilda ABOU RIZK
La cinquantaine de députés qui ont assisté hier à la réunion de la commission parlementaire quadripartite sur les écoutes téléphoniques sont restés sur leur faim: les explications fournies par les représentants des différents services de sécurité et des deux compagnies de téléphone mobile ne leur ont pas appris plus qu’ils n’en savent au sujet de la surveillance...