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Actualités - REPORTAGE

La surveillance téléphonique, une méthode sécuritaire ou une affaire politique ? Chut, on écoute...

C’est aujourd’hui que la commission parlementaire ad hoc doit se réunir sous l’égide du chef du Législatif, M. Nabih Berry, pour plancher sur l’affaire des écoutes téléphoniques. Le procureur de la République, M. Adnane Addoum, des délégués des différents services de sécurité ainsi que des responsables des deux compagnies de téléphone cellulaire assisteront à la réunion qui se tiendra à huis clos. Le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, pourrait également y prendre part en sa qualité de député et surtout en tant qu’une des victimes de cette surveillance téléphonique...
«Je fais partie de ceux qu’on écoute», avait-il lancé lors de la réunion parlementaire des 28 et 29 mai consacrée aux questions et aux interpellations adressées par un groupe de députés à l’Exécutif. M. Berry avait renchéri en affirmant détenir aussi des informations sur une mise sur écoute de lignes cellulaires, confirmant ainsi les craintes exprimées par de nombreux députés sur une surveillance des communications des hommes politiques. En évoquant la mise sur écoute de ses lignes téléphoniques, le chef du gouvernement n’avait pas émis une hypothèse, selon ses proches. Il y a quelque temps, précise-t-on de mêmes sources, il avait eu la mauvaise surprise d’entendre répéter dans une assemblée des propos qu’il avait tenus lors d’une conversation téléphonique. Et l’indiscrétion ne provenait pas de son interlocuteur.
Toujours est-il que les interventions des deux pôles du Pouvoir n’ont pas manqué de soulever de nombreuses interrogations et de faire l’objet de diverses interprétations. Dans certains cercles politiques, on n’a pas hésité à situer la prise de position du chef du gouvernement dans le cadre du conflit qui l’oppose aux Services des renseignements de l’armée. M. Hariri rappelle-t-on, avait accusé il y a quelques temps les SR d’«effriter les institutions de l’Etat». Dans ces cercles, on rappelle que c’est le gouvernement qui avait le premier abordé le problème des écoutes à la faveur d’un rapport du ministère de la Justice, établi à la veille des Législatives et dans lequel il recommande la mise en place de garde — tous pour les écoutes téléphoniques. De mêmes sources, on va encore plus loin en estimant que M. Hariri cherche à rattacher à la présidence du Conseil et donc à placer sous son contrôle direct le système de l’écoute téléphonique (On sait que l’écoute est normalement entreprise par les services de sécurité après autorisation préalable du Parquet). Et pour démontrer qu’il s’agit là d’un des objectifs escomptés à travers la polémique autour d’écoutes, ces mêmes sources se réfèrent à la mouture du projet de loi en voie d’élaboration par le ministère de la Justice, pour codifier la surveillance téléphonique. Elles relèvent que l’un des articles du texte de loi prévoit expressément le rattachement des écoutes à la présidence du Conseil.

Une tentative de codifier

Dans les milieux proches du chef du gouvernement, on dément toutefois ces informations, soulignant que le principal but du texte est d’organiser les écoutes de manière à éviter d’éventuels abus. De mêmes sources, on précise que le projet de loi distingue entre les écoutes effectuées pour des raisons judiciaires et les écoutes autorisées pour des raisons de sécurité. Dans le premier cas, la surveillance doit être entreprise sur autorisation du procureur général et du premier juge d’instruction. Dans le deuxième, elle sera effectuée sur proposition des ministres de l’Intérieur ou de la Défense, qui doivent toutefois en exposer les motifs. La requête des deux ministres doit cependant obtenir le feu vert du chef du gouvernement pour être exécutoire, selon les mêmes sources. Qu’elle soit négative ou positive, la réponse du chef du gouvernement doit toujours être justifiée, ajoute-t-on. On précise aussi que le texte en voie de préparation s’inspire des lois françaises sur la surveillance téléphonique. Notons au passage que le projet de loi sera examiné vendredi par la commission de modernisation des lois.
D’autres sources politiques, confirment l’existence d’un conflit entre les instances politiques concernées au sujet de l’autorité qui doit contrôler les écoutes. Le chef du Législatif serait l’un des plus farouches opposants à tout projet de rattachement de ce système de surveillance à la présidence du Conseil. Selon les sources politiques susmentionnées, M. Berry «craint que la surveillance téléphonique ne dépasse le cadre policier et ne s’étende davantage vers le monde politique». A l’instar de plusieurs parlementaires, le chef du Législatif soupçonne la mise sur écoute des lignes téléphoniques de responsables politiques, dont de nombreux députés. Il est aussi convaincu que «M. Hariri n’ignore pas que le réseau cellulaire est mis sur écoute».
Mais de sources autorisées auprès des compagnies cellulaires, on indique qu’au lendemain de la question adressée par le président Sélim Hoss au sujet de l’écoute téléphonique, le chef du gouvernement avait ordonné une enquête dans les centraux cellulaires. Les données à ce sujet sont toutefois contradictoires. Alors que les sources susmentionnées soulignent que des experts militaires ont effectué une tournée auprès de tous les centraux du système GSM, sans trouver le moindre équipement d’écoute, d’autres, politiques, indiquent que le lendemain le chef du gouvernement était revenu sur sa décision et avait donné l’ordre de suspendre l’enquête en attendant la réunion de la commission parlementaire.

Pour en finir avec
les contradictions

Dans les milieux officiels, on a donc fini par reconnaître l’existence des écoutes. C’est d’ailleurs le seul point sur lequel les responsables s’accordent. Le reste n’est que contradictions.
La réunion d’aujourd’hui est censée mettre les points sur les «i» et éclaircir de nombreux points restés flous. L’écoute téléphonique aide à combattre la criminalité: à prévenir ou à découvrir des crimes, avait déclaré M. Murr en substance lors de son intervention durant la séance parlementaire nocturne du 28 mai. Mais qui contrôle aujourd’hui l’écoute? Dans quels cas précis est-elle pratiquée? A qui est-elle confiée? A qui les rapports établis sont-ils présentés? Quel est le nombre des lignes surveillées? L’écoute s’étend-elle au réseau cellulaire? Les autorités concernées doivent répondre à toutes ces questions et à plusieurs autres que poseront les députés.
Au cas où les réponses seraient jugées peu convaincantes, M. Berry formera aussitôt une sous-commission d’enquête qui ira investiguer sur le terrain. Rappelons que ce sont les commissions parlementaires de la Défense et de l’Intérieur, des P. et T. et de l’Administration et de la Justice (groupant en tout 43 députés) qui forment l’organisme d’enquête.
Si dans certains milieux politiques, on insiste sur le fait que l’écoute est pratiquée seulement pour des raisons en rapport avec la sécurité, dans d’autres, on précise que la surveillance pour des mobiles politiques est très courante. «Les lignes de certains responsables sont parfois mises sur écoute parce que cette surveillance aide (un dirigeant) dans son évaluation d’un événement politique déterminé», explique-t-on laconiquement dans ces milieux.

Des renseignements
très utiles

Et si toutes les personnes interrogées se montrent très peu bavardes au sujet des écoutes «politiques», elles sont particulièrement loquaces dès qu’il s’agit d’évoquer des questions de sécurité, mais prennent quand même soin de ne pas fournir des détails. Nos interlocuteurs ne manquent pas de souligner à ce propos que les informations obtenues grâce à l’écoute entreprise dans le cadre d’une enquête sur un crime déterminé, sont «de loin» plus utiles que les renseignements obtenus par d’autres moyens plus communs. Ils n’hésitent pas également à donner quelques exemples, tels que l’affaire du scandale au ministère des Finances ou l’assassinat du chef des Ahbache, cheikh Nizar Halabi. Grâce à la surveillance de lignes téléphoniques, des réseaux internationaux de trafic de drogue ont pu être démantelés. Il est arrivé dans ce cadre qu’Interpol demande aux autorités libanaises de placer sur écoute des lignes de personnes soupçonnées de se livrer à un trafic de drogue à l’échelle internationale.
Tous prennent toutefois soin de noter que l’autorisation du Parquet en requise préalablement à toute surveillance d’une ligne téléphonique.

Un seul centre d’écoute

Comment celle-ci se pratique-t-elle? Selon des sources informées, il existe un seul centre d’écoute pour les différents services de sécurité qui traquent des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes, de détenir des informations au sujet de crimes perpétrés ou de vouloir attenter à la sécurité de l’Etat. A l’exception peut-être des lignes téléphoniques entre la bande frontalière et le reste du pays, surveillées régulièrement, le nombre de lignes mises sur écoute ne dépasse pas les 100. «Il ne s’agit pas toujours des mêmes lignes et le nombre peut même parfois tomber à 20», selon les mêmes sources. Seules les conversations jugées intéressantes sur le plan de la sécurité sont consignées, après avoir été résumées, dans des rapports qui sont ensuite présentés aux autorités politiques et militaires concernées, selon les mêmes sources qui précisent que la pratique de l’écoute est courante dans tous les pays du monde pour des raisons en rapport avec la sécurité. Mais qui contrôle cette opération?
Comment-s’assure-t-on qu’il n’y a pas de fuites ou d’abus? Les deux questions restent sans réponse.
Au fil des ans, la pratique de l’écoute s’est développée au point de reléguer apparemment au deuxième plan l’élément humain. Personne n’accepte toutefois de s’étaler sur ce sujet précis. Les personnes interrogées «supposent» que l’ordinateur joue un rôle primordial dans l’écoute, et notamment sur le réseau cellulaire en raison de la complexité du système GSM.
Une source autorisée de «Cellis» dément formellement l’existence d’un système d’écoute des lignes cellulaires de la compagnie affirmant que «la surveillance n’est pas une affaire d’opérateurs» et que «la compagnie tient à être transparente par rapport à ses clients». Elle reconnaît toutefois que l’écoute reste techniquement possible, à travers l’installation d’un logiciel spécial dans les centraux téléphoniques. L’installation de ce logiciel ultra-sophistiqué s’impose parce que le système GSM est basé sur des normes numériques (la parole se transmettant par des séries binaires) et parce que plusieurs abonnés peuvent communiquer sur une même onde.
Des explications plus précises seront obtenues aujourd’hui à la faveur de la réunion parlementaire sur laquelle l’attention du Liban officiel est braquée. Et pour cause: depuis que l’affaire des écoutes a éclaté, un vent de paranoïa souffle sur le Liban.

Tilda ABOU RIZK
C’est aujourd’hui que la commission parlementaire ad hoc doit se réunir sous l’égide du chef du Législatif, M. Nabih Berry, pour plancher sur l’affaire des écoutes téléphoniques. Le procureur de la République, M. Adnane Addoum, des délégués des différents services de sécurité ainsi que des responsables des deux compagnies de téléphone cellulaire assisteront à la...