Rechercher
Rechercher

Actualités - CHRONOLOGIE

Après la remise en liberté, samedi, d'Abou Rizk Une nouvelle phase de tractations commence pour l'avenir de la CGTL Sur le plan judiciaire, le juge Mirza entendra quatre témoins ce matin (photo)

«Elias Abou Rizk est-il réellement sorti?», demandait samedi sans trop oser y croire un syndicaliste à Yasser Nehmé. «Non, ce sont les gendarmes qui sont partis», a répondu celui-ci dans une boutade qui en dit long sur son état d’esprit. Samedi, dans la suite 505 au cinquième étage de l’hôpital Saint-Georges, il y avait non seulement la joie d’un homme retrouvant la liberté après 9 jours en état d’arrestation, mais aussi l’immense sentiment de victoire de dizaines de syndicalistes, qui, depuis le vendredi 30 mai, partageaient leur temps entre le Palais de justice et le hall de l’hôpital où était détenu leur chef.
Pour tous ceux qui, depuis plus d’une semaine, croyaient l’horizon bouché et la situation des libertés dans ce pays désespérée, la nouvelle de la libération sous caution du responsable syndical est tombée comme un cadeau, une de ces bonnes nouvelles comme on n’en a plus souvent depuis quelque temps.
Il est vrai qu’elle était dans l’air depuis vendredi, lorsque l’envoyé spécial de l’OIT à Beyrouth, M. Walid Hamdane, a entamé ses contacts avec les autorités concernées, mais nul ne pensait que l’affaire connaîtrait un dénouement aussi rapide. D’autant que les procédures judiciaires étaient censées prendre un peu de temps. Mais, apparemment, lorsque la décision est prise, tout devient facile, qu’il s’agisse de la libération de Yasser Nehmé, mercredi à 23h30, ou de celle d’Elias Abou Rizk, samedi vers 13h...
Selon des sources syndicales — et en dépit des allégations officielles — l’affaire Abou Rizk aurait été évoquée entre le chef de l’Etat et le président du Conseil, mercredi soir, en marge du Conseil des ministres. Ils auraient ainsi tenté de trouver une issue honorable à une situation qui aurait pu provoquer un phénomène de boule de neige. C’est ainsi qu’est intervenue la libération de Nehmé, officiellement pour raison de santé et pour que l’homme n’ait pas une crise cardiaque au cours de sa nuit aux arrêts du Palais de justice. Ce fut pourtant le début d’une détente. D’ailleurs, le président du syndicat des rédacteurs, M. Melhem Karam, a tenté à ce moment-là une médiation entre les deux centrales syndicales, mais celle d’Abou Rizk a totalement refusé de négocier tant que son chef était en prison.

Les pressions
internationales

Toutefois, la situation s’est précipitée à partir de vendredi, avec le nombre de fax envoyés de Genève au palais de Baabda et réclamant la libération immédiate du responsable syndical. Le président du 85e congrès de l’OIT, M. Michael Hansen, a même envoyé un message personnel très ferme au chef de l’Etat, alors qu’en parallèle, les pressions se multipliaient sur la délégation officielle libanaise (comprenant entre autres le président de la centrale loyaliste) présente à Genève. Les sources syndicales précisent aussi que le chef de cette délégation, l’ambassadeur Amine Khazen, serait à plusieurs reprises entré en contact avec le ministre des Affaires étrangères et le chef de l’Etat pour leur donner une idée précise de la situation à Genève. Il devenait donc urgent de clore ce dossier — du moins dans sa partie relative à la détention d’Abou Rizk — le plus rapidement possible. D’autant que la situation sur le terrain au Liban devenait de plus en plus tendue. Poussés à bout, les syndicalistes, appuyés par de nombreux ordres professionnels, ainsi que par les pôles de l’opposition, comptaient se mettre en grève.
Samedi matin, le ministre Boueiz aurait rencontré l’avocat de Zoghbi, Me Camille Fenianos, afin de lui demander de ne pas s’opposer à la nouvelle demande de remise en liberté présentée la veille par l’avocat d’Abou Rizk, Me Naji Boustany. L’homme de loi entre alors en contact avec son client qui donne son accord et il se rend ensuite au Palais de justice, sans le texte de l’opposition à la demande qu’il avait déjà préparé. Le premier juge d’instruction de Beyrouth en charge du dossier, M. Saïd Mirza, l’attend et l’avocat lui communique la position de son client qui, par souci de la santé de son adversaire et de l’unité des rangs syndicaux, ne s’oppose plus à la demande de remise en liberté tout comme il renonce à faire appel de la décision du juge, au cas où ce dernier accepterait la demande. Juridiquement, la question est donc réglée et il ne reste plus au juge qu’à fixer le montant de la caution (400.000 LL) et à informer l’avocat d’Abou Rizk de sa décision.

Flot de visiteurs

Au Palais de justice — qui connaît rarement une telle activité les samedis — les syndicalistes sont surexcités. Dès qu’ils apprennent la nouvelle, ils se précipitent comme un seul homme à l’hôpital orthodoxe, pour annoncer la grande nouvelle et participer à la liesse.
La petite chambre 505 et son salon attenant sont pleins de monde. En tee shirt bleu, Abou Rizk, les traits fatigués, est noyé sous le flot des visiteurs et sous les projecteurs des caméras. La voix un peu enrouée par l’émotion, il qualifie sa libération de victoire «pour tous les honnêtes gens» et il remercie ses compagnons, les instances internationales, ainsi que les médecins et la justice «pour l’indépendance de laquelle, dit-il, nous devons tous œuvrer».
Petit à petit, la petite chambre se vide. Il ne reste plus auprès du syndicaliste que ses deux filles et son fils ainsi que quelques vieux compagnons de lutte, qui veulent lui raconter, chacun à sa manière, ce qui s’est passé au cours de ces huit jours qui ont paru pour tous une éternité. L’un d’eux lui déclare ainsi qu’au cours d’une réunion du bureau exécutif de la centrale qu’il préside, qui s’est tenue vendredi, tous les participants étaient déterminés à aller de l’avant. «Ils étaient aussi forts et sûrs d’eux que vous», lui lance-t-il avec admiration.
Abou Rizk veut tout savoir, car dans son lieu de détention, il se sentait coupé de tout et de tous. «Les agents des FSI étaient constamment dans ma chambre. Il y en avait 7 en permanence avec moi. Ils m’accompagnaient même dans les salles d’examen et ils m’interdisaient d’écouter la radio ou de regarder la télévision». Abou Rizk affirme qu’il n’a jamais remis en question sa décision et même dans les pires moments (notamment ceux qu’il a passés dans la prison du Palais de justice qu’il qualifie d’étable), il n’a jamais été tenté de changer de position. «J’étais simplement un peu inquiet pour mes compagnons et je voyais venir le moment où les 12 membres du bureau exécutif (de sa centrale) se retrouveraient en prison et je me demandais ce qui adviendrait alors de la rue».
Le responsable syndical raconte ensuite comment il s’est inquiété pour son compagnon, le secrétaire général de la CGTL opposante, M. Yasser Nehmé, lorsqu’il a appris qu’il était placé en garde à vue. «Je me demandais, dit-il, comment il réussirait à survivre à une telle nuit. Mes proches m’avaient amené un matelas (car il n’y en a pas dans cette prison) et on m’a dit qu’on allait utiliser le même matelas pour Yasser... Le lendemain matin, je suis arrivé au Palais de justice croyant le voir arrêté, mais je l’aperçois, parlant librement dans l’antichambre du juge et je comprends qu’il y a un changement d’atmosphère...».
M. Abou Rizk n’en dira pas plus sur la justice et les interrogatoires qu’il a subis, puisqu’en principe l’enquête est secrète et, de toute façon, les procédures judiciaires se poursuivent.
En effet, ce matin, le juge Mirza entendra quatre témoins (deux partisans d’Abou Rizk et deux partisans de Zoghbi) dans le cadre de son enquête sur la plainte pour usurpation de titre et de pouvoir présentée par le président de la centrale loyaliste contre M. Abou Rizk et il en a convoqué deux autres pour mardi. Le juge n’a pas encore fixé de date pour l’interrogatoire de Abou Rizk et Nehmé dans l’affaire d’atteinte au prestige de l’Etat. Mais il pourrait prendre une décision à ce sujet à tout moment.

Les négociations véritables

C’est dire que l’affaire Abou Rizk est loin d’être réglée, mais c’est maintenant que les négociations véritables peuvent commencer. Des sources syndicales estiment que les instances internationales continueront à faire pression sur Zoghbi afin qu’il retire sa plainte, mais selon ses proches, ce dernier souhaiterait qu’en contrepartie, les fédérations alliées à M. Abou Rizk retirent à leur tour le recours en invalidation des élections du 24 avril présenté devant le tribunal civil de première instance.
Les mêmes sources pensent d’ailleurs que tout ce qui s’est passé au cours de cette semaine historique dans les annales syndicales libanaises est lié à la décision du tribunal de première instance. Selon ces sources, la centrale loyaliste et le pouvoir qui l’appuie voulaient affaiblir la formation opposante, afin d’annuler les effets de la plainte et de pousser le tribunal de première instance à confirmer l’élection de la centrale présidée par Zoghbi. Mais c’était compter sans la détermination de M. Abou Rizk et de ses partisans et sans l’appui international dont ils bénéficient. Résultat, ils sortent plus puissants de l’affaire et semblent avoir confirmé aux yeux du monde leur légitimité, puisque c’est la centrale de Zoghbi qui s’est retrouvée en difficulté à Genève. D’ailleurs, Yasser Nehmé l’a déclaré samedi: «Toute négociation devra se faire sur base des 22 fédérations membres de la CGTL (c’est-à-dire sans les 5 récemment autorisées par le ministère du Travail), quitte à étudier ultérieurement leur adhésion à la centrale. Elle devra aussi se faire sur la base de la non-intervention du ministère du Travail dans les affaires syndicales...».

Hoss, Khatib et Wakim

Hier, à Genève, les participants au congrès ont réaffirmé la nécessité de préserver l’indépendance des centrales syndicales par rapport au pouvoir politique. Et c’est forte de ces positions que la centrale d’Abou Rizk pose ses conditions. Aujourd’hui, elle participera à une réunion de solidarité à Saïda, où tout a commencé avec les élections falsifiées du 13 avril. Quant à M. Abou Rizk lui-même, il devra subir ce matin un examen au scanner qui déterminera le traitement médical qu’il doit suivre. Dès qu’il sera fixé sur ce point, il a promis de tenir une conférence de presse dans laquelle il fera le point sur la situation syndicale.
Mais depuis l’annonce de sa remise en liberté, sa chambre n’a pas désempli, alors que son téléphone ne cessait de sonner. Il a ainsi parlé avec le secrétaire général de la Fédération Internationale des Travailleurs Arabes, M. Hassan Jammam, dont le soutien lui a été précieux, mais aussi avec le député Nassib Lahoud — qui a été l’un des premiers à le féliciter et avec le numéro 2 du Hezbollah, cheikh Naïm Kassem. Du côté des visiteurs, il y a d’abord eu le Dr Sélim Hoss qui a tenu à se rendre personnellement à l’hôpital, ainsi que les députés Zaher Khatib et Najah Wakim, puis le directeur de la «Voix du Liban», cheikh Simon Khazen, et le nouveau secrétaire général du parti Kataëb, M. Antoine Chader, ainsi que les employés de Télé-Liban — qui n’ont pas quitté sa chambre un seul instant — et bien d’autres personnalités.
Abou Rizk craint-il les poursuites engagées contre lui? «Comment le pourrait-il, face à cet immense soutien? répond Yasser Nehmé. Il y aura pour le défendre, en plus de Me Boustany — qui a déjà fait ses preuves — un collectif de 200 avocats, ceux des syndicats internationaux s’étant déjà proposés pour cela...»
Mais il se pourrait bien que le procès n’ait pas lieu...

Scarlett HADDAD
«Elias Abou Rizk est-il réellement sorti?», demandait samedi sans trop oser y croire un syndicaliste à Yasser Nehmé. «Non, ce sont les gendarmes qui sont partis», a répondu celui-ci dans une boutade qui en dit long sur son état d’esprit. Samedi, dans la suite 505 au cinquième étage de l’hôpital Saint-Georges, il y avait non seulement la joie d’un homme retrouvant la...