Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

Il est passible de nouvelles poursuites pour atteinte au prestige de l'état Le piège se referme sur Abou Rizk Le chef de la centrale opposante et Yasser Nehmé seront entendus ce matin par le procureur Bitar (photos)

L’implacable machine judiciaire — qui s’est mise en branle vendredi — resserre son étau autour du chef de la centrale syndicale opposante. Arrêté pour usurpation de titre et de pouvoir, Elias Abou Rizk a de fortes chances d’être poursuivi aujourd’hui — ainsi que M. Yasser Nehmé d’ailleurs — par le procureur de Beyrouth Abdallah Bitar «pour atteinte au prestige et au crédit de l’Etat», sur base de l’article 297 du Code pénal.
L’acharnement de la justice à vouloir maintenir M. Abou Rizk en prison, pour deux accusations plutôt qu’une, faisant fi de toute l’indignation suscitée par son arrestation, soulève de nombreuses questions dans les milieux syndicaux et populaires, tout comme paraît assez curieuse l’initiative du procureur général près la cour de Cassation, M. Adnane Addoum, de s’entretenir, hier, pendant une heure, avec M. Abou Rizk, sans qu’aucun procès-verbal de la réunion n’ait été établi. A l’issue de l’entretien, M. Addoum a déclaré que M. Abou Rizk était trop fatigué pour être interrogé officiellement. De fait, le chef de la centrale syndicale — qui souffre d’une tension de 18/12 — est retourné à l’hôpital Ghossein, à la fin de l’entretien. Il a été, par la suite, transporté à l’Hôpital orthodoxe, pour y subir des examens plus sophistiqués.
S’agissait-il réellement d’un entretien préliminaire à l’interrogatoire du procureur de Beyrouth, ce matin? Ou, comme l’a déclaré un avocat, s’agissait-il plutôt d’une tentative de convaincre M. Abou Rizk de renoncer à ses positions, en contrepartie d’une éventuelle remise en liberté? Interrogé sur ce point, M. Addoum a naturellement nié avoir procédé à un tel marchandage, qui, a-t-il dit, «n’est pas dans mes habitudes et est en contradiction avec mes convictions». Dans ce cas, comment faut-il interpréter cette initiative qui ne s’inscrit pas dans la procédure judiciaire habituelle? M. Addoum répond catégoriquement: «Lorsqu’une personne fait état de menaces physiques exercées contre elle, il est du droit du procureur général près la cour de Cassation d’essayer d’obtenir des éclaircissements. Mais c’est le procureur dont la responsabilité territoriale est engagée (dans ce cas, il s’agit du procureur de Beyrouth) qui doit mener l’interrogatoire».
Et ce matin, l’interrogatoire de MM. Abou Rizk et Nehmé — en qualité de témoins — portera sur les deux fax envoyés les 17 et 24 avril dernier par les deux hommes et adressés à l’Organisation Internationale du Travail, dans lesquels la CGTL non reconnue par l’Etat accuse implicitement le gouvernement d’avoir tenté de falsifier les élections syndicales par l’achat de voix et par des mesures d’intimidation. Il y est aussi écrit que M. Abou Rizk aurait reçu des menaces de liquidation physique. Hier, devant M. Addoum, Abou Rizk n’aurait pas porté d’accusations précises, refusant de citer des noms et déclarant avoir reçu des menaces anonymes. S’il répète cela devant le procureur Bitar aujourd’hui, celui-ci pourrait engager des poursuites contre lui pour atteinte «au prestige et au crédit de l’Etat» à l’étranger, conformément aux dispositions de l’article 297 du Code pénal.
Par contre, s’il donne des précisions, le Parquet devrait en principe interroger les personnes incriminées et ouvrir une enquête à ce sujet. Si les personnes mises en cause bénéficient d’une immunité parlementaire, le Parquet devrait envoyer une note au Parlement demandant la formation d’une commission d’enquête parlementaire...

Procédure longue
et complexe

La procédure est donc longue et complexe et visiblement M. Abou Rizk n’est pas près de sortir de sa prison... Son avocat, Me Naji Boustany, a présenté hier au premier juge d’instruction, M. Saïd Mirza, une demande de remise en liberté accompagnée d’une étude juridique détaillée dans laquelle il explique pourquoi la plainte de M. Zoghbi devrait être irrecevable. Mais le juge doit d’abord la communiquer à la partie plaignante avant de prendre sa décision. Cette dernière dispose d’un délai de 24 heures pour y répondre. Ce délai expire aujourd’hui à 13 heures. Une fois la décision du juge prise, les deux parties ont la possibilité de faire appel et au meilleur des cas, c’est-à-dire si le juge accepte la demande de remise en liberté et si la partie plaignante n’interjette pas appel, M. Abou Rizk ne sortirait pas avant demain mercredi. Cela si on veut être optimiste mais au train où vont les choses, rien n’indique que l’homme qui, en quelques jours, est devenu le héros d’une large frange de la population, retrouvera sa liberté d’action dans un proche avenir.

D’autant, estiment les plus pragmatiques, que le congrès des Travailleurs qui se tient à Genève se prolongera jusqu’au 19 juin et que d’ici-là, il ne faut pas que M. Abou Rizk puisse s’y rendre. Même si son rival, M. Ghanim Zoghbi, s’y trouve déjà, en tant que membre de la délégation gouvernementale présidée par le conseiller du ministre du Travail, M. Samir Aoun, alors qu’Abou Rizk, lui, devait s’y rendre comme chef de la délégation des Travailleurs libanais. De toute façon, au cours des deux prochains jours, la commission chargée de choisir les représentants des travailleurs de chaque pays membre de l’OIT devra décider qui, à ses yeux, représente ceux du Liban.

«Je tiens bon»

Mais revenons au Palais de justice.
Le rendez vous avec le procureur général près la cour de Cassation est prévu pour 11h. Mais dès 9h, journalistes, photographes et représentants syndicaux prennent d’assaut le quatrième étage du Palais de justice où se trouve le bureau de M. Addoum. Comme ils ignorent par où arrivera M. Abou Rizk, ils font le guet devant tous les ascenseurs de l’étage, provoquant l’intérêt des avocats présents au Palais de justice. Ceux-ci, oubliant les affaires qu’ils ont à traiter, se mettent à discuter du «cas Abou Rizk» et, à entendre les échos de leurs conversations, les autorités judiciaires ont bien peu de défenseurs. Ce n’est sans doute pas par hasard que le conseil de l’ordre des avocats a publié un communiqué réclamant la remise en liberté immédiate du célèbre détenu...
A partir de 10h30, les FSI en poste au Palais de justice se mettent en état d’alerte, mais c’est sans sirènes hurlantes qu’Abou Rizk arrive sur place, à bord d’une jeep, solidement entouré par les agents mais les mains libres. Devant l’ascenseur qui le mènera au quatrième étage, il est véritablement assailli par la foule de partisans. Chacun veut l’embrasser, le toucher ou simplement le saluer pour lui témoigner sa solidarité. Le vice-président du syndicat des employés de Télé-Liban, M. Fouad Kharsa — qui ne rate pas une occasion de montrer son appui à son président — les larmes aux yeux, joue des coudes pour atteindre Abou Rizk. Une fois à ses côtés, il est trop ému pour lui parler et c’est l’autre, avec un moral du tonnerre, qui s’écrie: «Courage. Je vais bien. J’espère pouvoir aller à l’Hôpital orthodoxe, mais ne vous en faites pas, je tiens bon».
Complètement débordés, les agents de la sécurité essaient d’éloigner les journalistes. S’il s’agissait d’un terroriste d’envergure internationale, les mesures de sécurité auraient été sans doute moins strictes. C’est que pour les autorités politiques, Abou Rizk est plus dangereux qu’un criminel: n’a-t-il pas réussi à réconcilier les inconciliables autour d’une même plate-forme de revendications sociales?
Au quatrième étage, Abou Rizk est introduit au bureau du directeur administratif du Parquet. M. Nabil Féghali le salue poliment, lui offre un café et une conversation aimable sur les méfaits de la cigarette s’engage entre les deux hommes. L’attente se prolonge car M. Addoum est en réunion avec le juge Mirza et le procureur de Beyrouth Abdallah Bitar. A 11h50, Abou Rizk est introduit chez le procureur Addoum qui l’interroge en présence de M. Bitar. L’entretien dure près d’une heure et selon M. Addoum, Abou Rizk aurait déclaré être trop fatigué pour subir un interrogatoire en bonne et due forme. (Il souffre d’une tension élevée qui influe sur son rythme cardiaque et il doit prendre six médicaments chaque jour). Le procureur lui aurait offert une tisane tout en lui posant des questions, de façon officieuse. Selon des sources judiciaires, Abou Rizk aurait affirmé au procureur général près la cour de Cassation ne pas connaître l’identité des parties qui lui auraient adressé des menaces, celles-ci étant restées imprécises.
Peu avant 13 heures, les journalistes sont une nouvelle fois chassés du quatrième étage, afin qu’ils ne puissent pas apercevoir Abou Rizk sortant de chez le procureur. Le chef de la centrale syndicale opposante est aussitôt emmené à l’hôpital Ghossein, pendant que son avocat, Me Boustany, prépare les papiers dans lesquels il demande son transfert à l’Hôpital orthodoxe pour y subir des examens médicaux plus approfondis. Ces papiers seront ultérieurement soumis à M. Addoum qui devra consulter des médecins avant de les approuver. De fait, Abou Rizk sera transféré tard en soirée à l’Hôpital orthodoxe. De même, Me Boustany a demandé au procureur Addoum d’autoriser les proches de Abou Rizk, notamment ses deux frères et ses enfants, à lui rendre visite à l’hôpital.

Problème de conscience

A partir d’aujourd’hui, et si les pronostics pessimistes s’avèrent exacts, Me Boustany devra s’occuper d’un nouveau dossier, celui de l’atteinte au prestige de l’Etat dont se seraient rendus coupables Elias Abou Rizk et Yasser Nehmé. Si, officiellement, les deux hommes seront entendus par le procureur Bitar en tant que témoins dans cette affaire, ils pourraient bien, à la sortie de l’entretien, être passibles de poursuites judiciaires et être déférés devant le juge d’instruction. Toutefois, selon Me Boustany, comme il s’agit d’un délit mineur, passible d’une peine de six mois au moins de prison, le juge ne peut délivrer des mandats d’arrêt sur base de l’article 297 à l’encontre de Abou Rizk et Nehmé. Bien que M. Addoum n’ait voulu donner aucune indication officielle sur la suite de la procédure qu’il a entamée hier en convoquant Abou Rizk, des milieux judiciaires estiment qu’en remettant les copies des fax envoyés par Abou Rizk et Nehmé au procureur Bitar, Addoum aurait en quelque sorte donné le signe du déclenchement de nouvelles poursuites. Si la procédure demeure légale, on ne peut que s’interroger sur les raisons de l’acharnement de la justice contre ces hommes et ce qu’ils représentent. Comment croire qu’il ne s’agit que d’une question purement judiciaire? Certes, M. Addoum jure ses grands dieux qu’aucune autorité politique n’est intervenue de quelque manière que ce soit pour demander de charger Abou Rizk et éventuellement ses compagnons. Il affirme que lui et M. Bitar, ainsi que le juge Mirza, ont agi selon leur propre conscience et d’une manière totalement indépendante. Il raconte aussi que c’est lui-même qui a annoncé au ministre Tabbarah la nouvelle de l’arrestation de M. Abou Rizk et le ministre en aurait, à son tour, informé le président du Conseil. Par contre, des sources judiciaires laissent entendre que certaines parties ont tenté d’intervenir en faveur de la remise en liberté d’Abou Rizk mais que les magistrats ont fait la sourde oreille, préférant n’écouter que leur conscience.
Une conscience qui, aux yeux de beaucoup de Libanais, semble particulièrement vindicative. Au-delà de l’affaire Abou Rizk, c’est désormais toute la justice qui est «mise en examen» par l’opinion publique.

Scarlett HADDAD
L’implacable machine judiciaire — qui s’est mise en branle vendredi — resserre son étau autour du chef de la centrale syndicale opposante. Arrêté pour usurpation de titre et de pouvoir, Elias Abou Rizk a de fortes chances d’être poursuivi aujourd’hui — ainsi que M. Yasser Nehmé d’ailleurs — par le procureur de Beyrouth Abdallah Bitar «pour atteinte au prestige...