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Actualités - CHRONOLOGIE

La gauche s'empare de la majorité absolue, la droite française assomée par la défaite et menacée d'éclatement Lionel Jospin à l'épreuve du pouvoir (photos)

Rarement la France aura connu pareil revirement de fortune électorale en si peu de temps: une gauche triomphante qui s’est emparée hier de l’Assemblée nationale avec une majorité absolue; une droite vaincue, assommée par la défaite et menacée d’éclatement, aujourd’hui contrainte de se replier dans le bastion de l’Elysée où Jacques Chirac a été mis sous la tutelle de la cohabitation. Conduite par un nouveau leader, Lionel Jospin, la gauche reprend donc le chemin du pouvoir, créant la surprise quatre ans après sa défaite historique. M. Jospin, 59 ans, devrait être appelé par M. Chirac à gouverner la France, dans un régime de cohabitation à durée indéterminée. C’est pour lui une sorte de revanche inespérée sur son vainqueur gaulliste de la présidentielle, en 1995. Mais aussi une épreuve difficile pour un homme qui a multiplié les promesses et qui se trouvera désormais confronté aux réalités du pouvoir.
Elu il y a deux ans, M. Chirac a, lui, subi un cinglant revers, ayant perdu son pari d’une reconduite de sa majorité jusqu’au terme de son mandat, en 2002. Il ne peut dissoudre la nouvelle assemblée, et convoquer des élections, avant un an. Il avait décidé le 21 avril d’anticiper les élections générales, dix mois avant terme, mettant en avant les grandes échéances que la France doit affronter, en particulier le passage à l’euro, début 1999.

Selon les premiers chiffres publiés hier soir par le ministère de l’Intérieur, avec 295 sièges sur 529 circonscriptions dépouillées, la gauche a d’ores et déjà dépassé la majorité absolue en sièges, qui est de 289 sur les 577 de l’Assemblée nationale.

M. Jospin, en affirmant «sa joie et sa fierté», a mis en avant trois priorités: «réorientation de la construction européenne», «exigence de justice», «profonde rénovation de la vie publique» et «politique économique et sociale au service de l’homme».
Le premier ministre gaulliste sortant, Alain Juppé, a admis la défaite de la droite en «souhaitant bonne chance à ceux qui vont à présent gouverner la France, et je souhaite bonne chance à la France».
Il a affirmé qu’il fallait «entamer la reconstruction d’une force politique», ajoutant qu’il faudrait «tirer toutes les conséquences de l’échec» de la droite UDF-RPR aux élections et qu’il continuerait à soutenir l’action du président Chirac.
Le leader du Parti communiste Robert Hue a affirmé que la question d’une présence de communistes dans le futur gouvernement «est ouverte». «Chacun prendra ses responsabilités dans le pluralisme», a-t-il dit en ajoutant que «l’important était les mesures qui seront prises».
Sur ce point, l’ancien ministre socialiste, Jack Lang, a estimé dimanche soir qu’il ne fallait pas «anticiper».

Effet boomerang

Pour Jacques Chirac en tout cas, les élections législatives anticipées se sont révélées une terrible arme boomerang qui va le contraindre désormais à partager son pouvoir avec le principal acteur de la victoire de la gauche.
La victoire de la gauche constitue pour Jacques Chirac une défaite personnelle qui risque fort d’amoindrir son prestige non seulement auprès des Français et dans son camp mais aussi à l’étranger. Elle est en effet le résultat d’une énorme erreur stratégique. M. Chirac avait fini par se laisser convaincre par son premier ministre Alain Juppé et par ses conseillers des bénéfices d’une dissolution anticipée de l’Assemblée nationale, dix mois avant l’échéance normale de mars 1998.
Elle prendrait de court la gauche mal préparée, pensaient-ils, et se traduirait par le maintien de la droite au pouvoir jusqu’à la fin du mandat présidentiel en l’an 2002, ce qui donnerait au chef de l’Etat les coudées franches pour affronter les grands défis que sont le passage à la monnaie unique, l’élargissement de l’Union européenne, et le rééquilibrage de l’OTAN.
Ce calcul s’est révélé faux. Le chef de l’Etat français qui avait su comprendre dans la campagne présidentielle de 1995 les préoccupations du pays et y répondre en fondant son programme sur la réduction de la fracture sociale, est apparu cette fois comme déconnecté de l’humeur rebelle des Français. Il ne peut s’en prendre qu’à lui-même et il risque de rester pour l’Histoire le seul président qui ait convoqué des élections quand elles n’étaient pas nécessaires et qui les a perdues.
Sévèrement sanctionnée par les Français déçus des promesses non tenues de la campagne présidentielle de 1995, et par les chiffres records du chômage qui touche près de 3,1 millions de travailleurs, la droite sort groggy de cette épreuve, et risque de connaître des moments difficiles.
M. Chirac va désormais devoir composer avec Lionel Jospin. Durant la courte et terne campagne électorale, tous les dirigeants de la droite avaient mis en garde les Français contre la «cohabitation» en soulignant qu’elle serait inévitablement conflictuelle.
Sur ce point, M. Chirac sait à quoi s’en tenir. De 1986 à 1988, il avait mené un gouvernement de droite et cohabité difficilement avec le président socialiste François Mitterrand.

Les premiers défis

Les premiers défis que devra entre-temps affronter la nouvelle équipe au pouvoir sera le chômage, qui a atteint 12,8% de la population active, et le passage à l’euro, le plus grand défi européen du tournant du siècle.
Mais une «union nationale» droite-gauche s’était dégagée en France avant le scrutin, en faveur d’une «interprétation souple» du traité de Maastricht, en particulier le critère de 3% des déficits publics par rapport au PIB. Selon un sondage Louis Harris diffusé dimanche sur la chaîne télévisée d’information continue, LCI, 46% souhaitent que le nouveau gouvernement négocie les critères budgétaires pour le passage à l’euro, «quitte à isoler la France dans l’Union européenne», 38% qu’ils les respectent tous, «quitte à mener une politique d’austérité».
Avec la victoire du camp de gauche, l’alternance politique aura joué six fois en France en seize ans, chaque majorité sortante, de gauche ou de droite, étant systématiquement battue.
La coalition de droite, formée du RPR, de l’UDF et de divers droite, avait raflé en 1993 les 4/5e des sièges de l’Assemblée nationale, dans un raz de marée conservateur.
In extremis, M. Chirac avait mis en selle Philippe Séguin, président de l’Assemblée sortante, un «gaulliste social» et «europrudent», après le hara-kiri de l’impopulaire Alain Juppé, premier ministre depuis deux ans.
Le Front national (extrême droite), qui est devenu le 3e parti de France, frôlant les 15% de suffrages exprimés, refait son entrée à l’Assemblée nationale, avec un député.
Rarement la France aura connu pareil revirement de fortune électorale en si peu de temps: une gauche triomphante qui s’est emparée hier de l’Assemblée nationale avec une majorité absolue; une droite vaincue, assommée par la défaite et menacée d’éclatement, aujourd’hui contrainte de se replier dans le bastion de l’Elysée où Jacques Chirac a été mis sous la tutelle...