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Actualités - ANALYSE

Des relations inévitablement conflictuelles


Du point de vue de la philosophie politique, il semble que les rapports entre les pouvoirs publics et le Conseil constitutionnel ne peuvent être que conflictuels. Les faits l’ont prouvé. L’invalidation des mandats de quatre députés a débouché sur une forme de procès général des Législatives de 96, et même de la façon arbitraire dont le pouvoir est exercé depuis quelques années.
Les attendus de certains des rapports approuvés par le Conseil constitutionnel, ou plutôt ce qui a pu en être connu, font la lumière sur toute une zone d’ombres qui a entouré les élections de 1996: négligences, grossières interventions, dénis de justice, violation de la liberté de vote, etc. Même la question de la double nationalité de M. Ragi Abou Haidar, candidat heureux contre M. Albert Moukheiber dans le Metn, a été soulevée. Les candidats qui ont été victimes de ces abus, et qui les avaient vigoureusement dénoncés à l’époque, s’attirant les quolibets de ceux qui y avaient vu des «protestations de perdants», sont aujourd’hui réhabilités aux yeux de l’opinion, qui a constaté que le Conseil constitutionnel leur a donné raison. Mais était-ce pour rien qu’un Sélim Hoss, scandalisé par la valse des millions, avait déclaré que les Législatives de l’été dernier étaient «les pires de l’histoire du Liban»?
Pour en revenir au Conseil constitutionnel, certaines sources assurent que le rapport de M. Sélim Azar au sujet des élections dans le Metn allait jusqu’à remettre en cause la députation de M. Michel Murr, contre laquelle aucun recours en invalidation n’a pourtant été introduit. Au vu des abus qui ont entaché ce scrutin, le magistrat a jugé, en effet, qu’il y avait même matière à demander la démission du ministre de l’Intérieur. N’oublions pas, du reste, que dans ces élections, ce dernier était à la fois juge et partie, alors que l’opposition avait en vain demandé qu’un gouvernement «neutre» supervise les élections.
Selon les sources citées, M. Azar estimait, qu’à la limite, ce sont toutes les élections de l’été 1996 qui étaient susceptibles d’être annulées. Mais ses collègues ne l’ont pas suivi sur ce terrain, interprétant leurs prérogatives de façon restrictive, alors qu’au nom de la Constitution, M. Azar les avait interprétées plus largement.
L’histoire donnera sans doute raison à M. Azar, même si ce dernier semble avoir agi prématurément; car la tendance naturelle de tout Conseil constitutionnel est d’interpréter de plus en plus largement sa compétence.
Pour le moment, les scandales découverts par les membres du Conseil constitutionnel au cours de leurs investigations ont été tels que certains ont dû intervenir pour «faire équilibre», plutôt que pour faire obstruction à la justice. Face à des magistrats qui, comme M. Azar, étaient prêts à «provoquer l’effondrement du Temple», ces «modérés» ont préféré faire preuve de prudence — plutôt que de timidité —, estimant que faire «toute la vérité» sur ce qui s’est produit, et sur la façon dont le pouvoir est exercé au Liban, est de nature à «troubler la paix sociale et à miner la foi du peuple dans ses institutions».
L’histoire fera justice au président démissionnaire du Conseil constitutionnel, M. Wajdi Mallat, dans ce domaine. Profondément convaincu du fait que «la justice est chose humaine», et de la justesse de l’adage «summum jus, summum injuria», qui veut que «la justice parfaite est le sommet de l’injustice», M. Mallat répète que «la chose jugée doit passer pour être l’expression de la vérité», et insiste sur la nécessité de se plier à la décision du Conseil constitutionnel, telle qu’elle a été prise, «pour mettre fin à la querelle entre les hommes».
Il va sans dire que si, comme dit Paul Valéry, «le monde avance par les extrêmes, et subsiste par les moyens», la «querelle» entre ces deux pôles socio-politiques ne cessera jamais, car elle est constitutive des sociétés. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les appels répétés des milieux parlementaires en faveur de la communication aux députés des rapports du Conseil constitutionnel — qui a joué à leurs yeux le rôle d’une «soupape de sécurité» dans le jeu des institutions —, et les appréhensions des autorités publiques contre un trop grand «déballage» qui affaiblirait gratuitement la crédibilité du régime. Chacun son rôle, pourrait-on dire, sans pouvoir donner absolument raison ni aux uns, ni aux autres.
Il est naturel de s’attendre, en réaction au procès ouvert par le Conseil constitutionnel contre les pouvoirs publics, à une réaction de défense, qui prendra sans doute la forme d’une grande «prudence» dans le choix des magistrats qui remplaceront les membres sortants du Conseil constitutionnel. Une telle réaction est d’autant plus prévisible que le chef de l’Etat et le président de l’Assemblée nationale sont — une fois n’est pas coutume — d’accord pour reprocher au Conseil constitutionnel d’avoir mal interprété ses prérogatives, en appelant à des élections partielles, plutôt qu’en se prononçant sans commentaire sur les recours, et en laissant à la Chambre le soin de déterminer les mesures à prendre.
Par ailleurs, M. Murr a l’intention de profiter de la leçon, et de corriger certains abus dont ses services ont pu, à son insu (?), se rendre coupables. Le ministre de l’Intérieur a demandé aux responsables de certains départements administratifs et sécuritaires relevant de son autorité, un rapport dont l’objectif est double: autocritique d’une part, réponses à des attaques injustifiées d’autre part. M. Murr ne perd pas de vue le fait que ses hommes seront de nouveau mis à contribution, le 29 juin prochain.
Fady NOUN
Du point de vue de la philosophie politique, il semble que les rapports entre les pouvoirs publics et le Conseil constitutionnel ne peuvent être que conflictuels. Les faits l’ont prouvé. L’invalidation des mandats de quatre députés a débouché sur une forme de procès général des Législatives de 96, et même de la façon arbitraire dont le pouvoir est exercé depuis...