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Actualités - REPORTAGE

Le journaliste égyptien fait un tabac avec ses entretiens télévisés Imadeddine Adib à l'Orient Le Jour : le Liban est le pays de la région qui jouit de la plus grande liberté (photos)

Sans prévenir, il est entré dans les foyers des Libanais, provoquant à la fois l’enthousiasme, la soif d’en savoir plus et parfois un malaise et une réflexion. Avec son émission «Ala alhawa» et la série d’interviews et de tables rondes diffusées généralement en direct (sauf pour l’entretien avec le patriarche maronite), par la chaîne Orbit en coopération avec la Future TV, le journaliste égyptien Imadeddine Adib a secoué tous les milieux libanais. Et en quelques heures d’antenne, il est devenu une véritable vedette. L’homme de la rue — auquel il avoue porter une grande admiration — aussi bien que les politiciens et les intellectuels ne parlent plus que de son «insolence», même s’il préfère, lui, le mot «courage». D’ailleurs, au cours de notre entretien avec lui, nous avons été plusieurs fois interrompus par des téléspectateurs désireux de le féliciter... ou de lui faire des remarques. En a-t-il pour autant attrapé la grosse tête? Nullement. Adib est d’une politesse rare, même s’il a de temps en temps un ton un peu moralisateur. C’est que tout en étant un journaliste chevronné, il est aussi un homme de convictions...
Sans fausse modestie, il affirme avoir rencontré dans la plupart des pays où il s’est rendu dans le cadre de cette émission (Arabie Séoudite, Koweit, Libye et bien sûr Egypte), le même phénomène et il n’est nullement gêné de se retrouver dans la position de l’interviewé. «Je ne peux pas être avare de mon temps avec mes collègues, dit-il, surtout s’ils pensent que je peux dire des choses intéressantes».
Comment explique-t-il l’engouement qu’il provoque ainsi? «En général, les hommes de décision et les journalistes qui les appuient se barricadent derrière des positions, dont ils n’arrivent plus à se dégager. Nous autres, nous sommes des observateurs neutres, à la recherche de la vérité; nous essayons de parler au nom de ceux dont la voix ne porte pas en général, afin de les faire participer au dialogue».
Comment choisit-il ses invités? «Certains sont imposés par l’actualité, soit parce qu’ils la font soit parce qu’ils la connaissent et sont des experts. D’autres, de par leur personnalité intéressante et souvent controversée — je citerai par exemple le colonel Kadhafi, Adnane Kashoukgi, Rafic Hariri, Walid Joumblatt, Amr Moussa... — sont forcément choisis».
Au Liban, respecte-t-il certains équilibres? «Il y a au Liban 18 groupes différents. J’ai eu un peu peur de ne pas pouvoir m’en sortir, puis j’ai décidé de faire mes choix en ma qualité de journaliste indépendant, uniquement soucieux de donner à chaque partie la possibilité de s’exprimer».
Cela donne des mélanges assez étonnants: un député du Hezbollah avec Nassib Lahoud et Boutros Harb et un débat sur le dialogue islamo-chrétien sans représentant chiite... «On ne choisit pas les invités en fonction d’un quota, mais de leur aptitude à mener un dialogue. Je ne peux pas penser comme les Libanais et surtout pas à la manière de la troïka. Ce qui compte pour moi, c’est l’homme et sa contribution à un dialogue passible d’aider les Libanais...». Pense-t-il connaître suffisamment les Libanais pour savoir comment les aider? «Je suis aidé par une équipe qui étudie bien le terrain et nous nous faisons aider par des Libanais».
Pourquoi avoir choisi le Liban? «Je connais bien ce pays. J’y suis venu régulièrement entre 1968 et 1975 et Michel Aboujaoudé m’a beaucoup appris. A l’époque, le Liban était un phare politique et intellectuel pour la région et tous les livres interdits dans les autres pays arabes pouvaient être trouvés à Beyrouth. Je considère donc que je dois beaucoup à ce pays, en plus de l’intérêt purement journalistique, dû aux années de guerre et à la viabilité de la formule de coexistence islamo-chrétienne qui concerne toute la région».

Entre insolence et
courage

Son style insolent lui pose-t-il des problèmes? «Je n’utiliserai pas ce terme. Je parlerai plutôt de courage. La société libanaise est formée d’un équilibre délicat entre des groupes et des familles, mais je ne suis pas concerné par cet équilibre. Je suis un journaliste neutre et je traite tout le monde avec beaucoup de respect. Je fais d’ailleurs attention pour que les questions ne portent jamais sur des questions personnelles».
N’est-ce pas une question personnelle lorsqu’il interroge Joumblatt sur son père?
«Son père était un grand homme, de plus je n’ai pas provoqué la question. Elle est venue naturellement et, en ma qualité de journaliste, je ne pouvais que la poser. Surtout si l’on souhaite connaître la personnalité de Walid Joumblatt qui a dû être marqué par cet événement. Si, dans la pratique libanaise, certaines questions ne doivent pas être posées, personnellement, je ne suis pas tenu de m’y conformer».
S’il devait faire ce genre d’émission en Syrie, pourrait-il adopter le même ton dans ses questions? «Il faut essayer. Vous savez, j’ai déjà fait des émissions dans de nombreux pays arabes tels que l’Arabie Séoudite, l’Egypte, la Libye, la Jordanie, le Soudan et le Koweit et j’ai posé des questions dans le même style. Le tour des autres pays viendra, mais ce genre de tournée prend du temps».
Ses interviews ont-elles suscité des critiques chez les responsables et les Syriens ne lui ont-ils pas demandé directement ou indirectement d’être moins incisif? « Pas du tout. Nul ne m’a contacté dans ce but et si quelqu’un l’avait fait, je l’aurais dit le lendemain à l’antenne. En réalité, et c’est une condition que j’ai posée en acceptant ce projet d’émission, je suis le rédacteur en chef de bout en bout. Des réactions peuvent me parvenir, mais, en général au Liban, elles sont plus affectives et personnelles qu’objectives, en tout cas, lorsque la série libanaise s’achèvera, les téléspectateurs verront que j’ai traité tous mes invités de la même façon».
Il a pourtant donné l’impression d’être plus conciliant avec le patriarche maronite... «Pour moi, Mgr Sfeir est comme l’imam Chamseddine ou cheikh Azhar. En raison de sa position religieuse, il doit être traité avec un plus grand respect afin de ne pas heurter la communauté qu’il représente. Les mots sont ainsi choisis avec un plus grand soin, mais si on revoit les questions, on se rend compte que j’ai abordé tous les thèmes épineux avec beaucoup de franchise. En fait, le ton importe moins que les questions elles-mêmes ».
Pourquoi cet entretien n’était-il pas diffusé en direct? «C’est moi qui en a décidé ainsi, afin de ne pas permettre à un interlocuteur anonyme de dire éventuellement n’importe quoi au patriarche, car, à ce moment-là, la blessure n’atteindra pas un seul individu mais toute une communauté. C’est une simple conscience de la responsabilité».
Au cours de l’entretien avec Mgr Sfeir, il a avancé des chiffres sur la situation économique proches de ceux utilisés par le gouvernement. Aurait-il des liens avec ce gouvernement et son chef?
«Ce sont les chiffres de la Banque mondiale. Pour m’informer au sujet de la situation économique d’un pays, je prends des chiffres neutres et reconnus internationalement. Ce sont d’ailleurs les chiffres qui paraissent sur Internet».
Savait-il que le patriarche allait aborder ces thèmes pour avoir préparé ces documents? «Il est de mon devoir de prendre toutes les précautions. De plus, ce sont des informations élémentaires».

Sfeir-Chénouda:
Quelle comparaison?

Lorsqu’il sourit pendant ces entretiens, est-ce par scepticisme face aux réponses de son interlocuteur?
«Parfois, c’est le signe de l’admiration que j’éprouve devant l’habileté de mon interlocuteur à éluder la question».
Si l’on devait faire une comparaison entre le patriarche Sfeir et le pape Chénouda III, pourrait-il expliquer pourquoi à son avis, le premier maintient un certain flou sur l’appartenance arabe des chrétiens du Liban alors que le second est, à ce sujet, «presque plus arabe que les Arabes»?
«Les deux hommes vivent dans des milieux différents. En Egypte, les coptes sont minoritaires, mais ils sont totalement intégrés à la population et le problème là-bas ne se pose pas en termes d’appartenance arabe ou même religieuse. Nous formons une société unie et homogène. Quant aux incidents dans certaines régions, ils sont dus à des considérations économiques et familiales beaucoup plus que religieuses. Au Liban, la société est composée d’une multitude de groupes et communautés qui coexistent sur base d’un contrat à l’équilibre bien dosé».
En quoi cette composition différente peut influer sur l’appartenance au monde arabe? «Le patriarche a finalement déclaré que le Liban ne peut faire seul la paix avec Israël, ni le combattre seul. Il a aussi expliqué que le Liban n’a aucun intérêt à faire la paix avec Israël, même si tout le monde n’est pas de cet avis. En somme, l’identité du Liban ne peut être définie par une communauté. Elle est forgée par l’histoire et par la géographie. Et si l’on peut changer la première, la seconde est définitive. Quoique l’on fasse, on ne pourra pas transporter le Liban et le placer en Suisse et il doit forcément être en harmonie avec son environnement arabe. De toute façon, à mon avis, discuter encore l’identité du Liban est une tentative de bloquer l’Histoire».
Mais c’est lui qui a ouvert le sujet. «Parce que toutes les parties libanaises en parlent. Il faut que cette question soit réglée une fois pour toutes. On ne peut pas être un homme et une femme à la fois... Le Liban est un pays arabe, mais c’est le pays arabe le plus ouvert à l’Occident. Il doit essayer de rapprocher le monde arabe de l’Occident, tout en gardant ses propres caractéristiques et sans oublier son appartenance. Le problème des Libanais, c’est qu’ils vivent encore dans le passé. Nul ne parle de l’avenir ni même de la mondialisation. C’est le pays du monde où l’on parle le moins de ce thème car tout le monde est encore trop occupé à régler les comptes du passé».

Un pont de dialogue

En accueillant Ghazi Aridi dans le débat sur le dialogue islamo-chrétien a-t-il voulu «consoler» Walid Joumblatt?
«Je n’ai pas à consoler qui que ce soit et je n’ai pas de contentieux avec quiconque. Si un de mes interlocuteurs est gêné, je n’en suis pas heureux, mais j’essaye toujours de faire mon travail. Mon but est de chercher à rétablir les ponts entre la rue et les gouvernants et d’aider à dessiner l’avenir. Je voudrais pouvoir assurer aux Libanais qu’une nouvelle guerre civile n’éclatera pas de nouveau».
Est-il aujourd’hui en mesure de le faire?
«J’essaye de poser les questions, d’établir un dialogue et de me rapprocher autant que possible des réponses».
Il prend parfois le ton qu’emploierait un maître d’école avec ses élèves...» J’appelle parfois mes interlocuteurs à réfléchir à une question dans une invite intellectuelle et non pour imposer quoique ce soit. Mais au Liban, pendant 17 ans de guerre, les cerveaux se sont bloqués. Je voudrais donc, à travers cette émission, édifier un pont de dialogue et de réflexion entre toutes les parties. Dans mon optique, tous les sujets peuvent et doivent être discutés...»
A son avis, pourquoi une émission comme la sienne a-t-elle un tel succès?
«Concernant le Liban, les journalistes — qui y sont certainement brillants et courageux — doivent subir certaines contraintes auxquelles j’échappe. Je leur souhaite sincèrement de pouvoir dépasser ces contraintes. Mais je dois aussi préciser que le Liban jouit de la plus grande liberté dans la région. C’est cela sa véritable richesse. Un pays où l’on peut discuter de la formule du pouvoir, de la structure des communautés, de la compétence des ministres, de la corruption de l’équipe au pouvoir, des fortunes personnelles des responsables est un pays qui peut donner des leçons aux autres en matière de liberté. Je demande aux Libanais de ne pas se torturer inutilement. Ils sont connus pour leur insatisfaction permanente. Mais si je ne peux discuter avec eux de leurs conditions économiques, je peux leur parler de la grande liberté de pensée dont ils jouissent».

«Phénicianisme»
et «pharaonisme»

Ne pense-t-il toutefois pas que cette liberté est menacée aujourd’hui, notamment par la série de prorogations?
«L’idée de la liberté est une notion fluctuante et relative. Même en France, le pays des libertés par excellence, il y a des limites à la liberté de manifester. En Grande-Bretagne, la loi sur la lutte contre le terrorisme est particulièrement sévère. Aux Etats-Unis, le chef de l’Etat bloque les décisions du congrès etc. Tout cela pour dire qu’il existe partout une tentation chez les gouvernants pour limiter les libertés, mais c’est la vigilance de ceux qui tiennent à ces libertés qui permet de les protéger. Dans les pays du tiers monde, on a toujours tendance à se croiser les bras en accusant le gouvernement de tous les maux. C’est un peu aussi l’attitude des Arabes vis- à- vis d’Israël. Au Liban, on a un peu tendance à accuser la Syrie de tous les maux et à la rendre responsable de toutes les décisions. Chacun a sa responsabilité dans les erreurs commises, la Syrie, le gouvernement libanais, mais aussi l’opposition et la majorité silencieuse...»
Les pressions qui seraient exercées sur les journalistes au Liban n’existent-elles pas en Egypte?
«L’Etat égyptien existe depuis 7 mille ans. Il ne se sent pas menacé comme au Liban et il est plus facile de laisser la loi trancher les différends. Les islamistes aussi respectent la suprématie de la justice et celle-ci est hors des pressions politiques...»
Il y a donc plus de liberté en Egypte qu’au Liban?
«Il y a plus de respect des institutions plutôt. De toute façon, je pense qu’un mélange libano-égyptien pourrait être bénéfique pour la région. J’appelle donc les Libanais à renoncer un peu à leur «phénicianisme» et les Egyptiens à mettre un peu de côté leur «pharaonisme» pour une plus grande osmose arabe créatrice».
Est-ce parce qu’il prône un arabisme éclairé qu’il a interviewé, dans le cadre de cette émission, le premier ministre israélien, Netanyahu?
«Je ne me suis pas rendu en Israël, mais à la ville de Jérusalem occupée, invité par M. Fayçal Husseini. J’ai voulu montrer au monde les exactions israéliennes et interviewer une personnalité ne signifie pas partager son point de vue, sans oublier le fait que l’Egypte a fait la paix avec Israël. Enfin, au cours de cet entretien, je peux dire que j’ai réellement été insolent. Les coups de fil des téléspectateurs étaient aussi littéralement insultants. J’ai aussi voulu montrer les souffrances du peuple palestinien à tous ceux qui confortablement assis dans leurs fauteuils lui font la leçon. Enfin, j’ai voulu faire comprendre aux dirigeants arabes qu’ils doivent tenir compte de leur opinion publique et surtout, j’ai voulu dénoncer ceux que j’appelle «les Arabes sionistes» qui sont au service des intérêts israéliens».
Y en a-t-il beaucoup parmi les dirigeants arabes?
«Oui. Je crois en définitive avoir servi la cause arabe avec cet entretien. Preuve en est qu’il a déplu aux Israéliens alors que les islamistes m’ont félicité. En tout cas, j’ai agi selon ma conscience et l’impact a été positif. Il y a des causes qui dépassent ma petite personne».

Scarlett HADDAD
Sans prévenir, il est entré dans les foyers des Libanais, provoquant à la fois l’enthousiasme, la soif d’en savoir plus et parfois un malaise et une réflexion. Avec son émission «Ala alhawa» et la série d’interviews et de tables rondes diffusées généralement en direct (sauf pour l’entretien avec le patriarche maronite), par la chaîne Orbit en coopération avec la...