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Actualités - REPORTAGE

Une violente querelle entre Chahe Barsoumian et Jamil Chammas pimente une réunion parlementaire plutôt morne Réserves de Berry sur la décision du conseil constitutionnel relative aux partielles (photo)

«Votre voix est peut-être plus forte que la mienne. Mais moi, je suis poli et vous, vous êtes franchement impoli». Rouge de colère, le ministre de l’Industrie et du Pétrole, M. Chahé Barsoumian, sort en trombes de l’hémicycle après avoir lancé ces mots à l’adresse du député Jamil Chammas. Sa réaction incendiaire marque la fin du débat autour de la création d’un ministère de l’Industrie, un des points inscrits à l’ordre du jour de la réunion parlementaire qui s’est ouverte hier. Le président Berry venait de lever la première séance de cette réunion, une des séances les plus ordinaires et surtout les plus calmes, s’il n’y avait pas eu cet incident. Même l’affaire des verdicts du Conseil constitutionnel, qui aurait pu soulever des vagues, est passée en douceur... ou presque: il y avait la véhémence habituelle du député Najah Wakim. Il y avait surtout les réserves du chef du Législatif, M. Nabih Berry, concernant la décision du Conseil constitutionnel de demander l’organisation d’élections partielles pour pourvoir aux quatre sièges parlementaires devenus vacants avec l’invalidation des mandats des députés Fawzi Hobeiche, Henri Chédid, Khaled Daher et Emile Naufal. Alors qu’en vertu des lois et des règles en vigueur, note M. Berry, le siège devenu vacant, parce que le mandat d’un député a été invalidé, est attribué d’office au candidat qui a obtenu, après le député sortant, le nombre de voix le plus élevé. Aussi, M. Berry a laissé entendre qu’il s’agit d’une décision illégale. Il n’a pas évidemment utilisé ce qualificatif mais a parlé de «pétrin». S’il fallait tenir compte de ces textes, le Parlement n’aurait pas eu à reconnaître la vacance des quatre sièges et le ministère de l’Intérieur n’aurait pas pu convoquer les électeurs aux partielles prévues en principe pour le 29 juin. Et comme la Chambre ne pouvait pas, comme l’a expliqué M. Berry, «outrepasser un verdict» qui, on le sait, est sans appel, elle a contourné la difficulté en se basant sur un article de la loi électorale de 1960 prévoyant l’organisation d’un scrutin partiel dans un délai de deux mois à partir du moment où un siège parlementaire devient vacant, «à cause de la mort ou de la démission d’un député ou pour toute autre raison».
A l’exception des remarques concernant le projet de création du ministère de l’Industrie et l’affaire des partielles, les débats à la Chambre n’étaient pas réellement passionnants. Des problèmes d’acoustique — les interventions des parlementaires étaient le plus souvent incompréhensibles — ont contribué à rendre la séance morose. Curieusement, le gouvernement a été plutôt épargné par les députés. On lui a seulement reproché de ne pas répondre aux questions parlementaires qui lui sont adressées, ce qui a poussé M. Berry à réagir en décidant de consacrer la prochaine réunion aux questions et aux interpellations des députés ainsi qu’à un débat de politique générale.

Il reste que les sujets importants ont été réservés à la deuxième séance de la réunion parlementaire: aujourd’hui, le Parlement pourrait choisir des remplaçants au président démissionnaire du Conseil constitutionnel, M. Wajdi Mallat, et aux juges Jawad Osseirane et Mohamed Majzoub, dont les mandats sont venus à expiration hier, par tirage au sort en même temps que ceux de leurs collègues Pierre Ghannagé et Sélim Azar. Le Parlement doit aussi plancher sur une série de propositions d’amendements de la loi électorale, relatives toutes aux partielles de juin. La première proposition de loi a été présentée hier par le député Antoine Haddad qui préconise notamment l’organisation du scrutin sur base du caza à Jbeil. La Chambre poursuivra également l’examen du projet controversé de la création d’un ministère de l’Industrie.

Un record

En tout, la séance d’hier aura duré quatre heures et demie, de 10h30 à 15h. Lorsque midi sonne, treize députés avaient déjà pris la parole: un record. Ils évoquent des questions d’ordre général. MM. Sélim Hoss, Najah Wakim et Zaher el-Khatib soulèvent le problème des questions posées depuis cinq mois au gouvernement et restées sans réponse. Si le président Hoss est concis, le député frondeur de Beyrouth est, lui, plus éloquent et surtout plus agressif. Seul député à évoquer le verdict du Conseil constitutionnel, il s’étonne de ce que le secrétaire général de la présidence du Conseil, Hicham Chaar, ait répondu à la question d’un député qui avait interrogé le gouvernement au sujet d’éventuelles pressions politiques sur les membres du Conseil constitutionnel. «Qui répondra à la prochaine question qui sera adressée au gouvernement: un juge d’instruction? la brigade d’investigation? la police des mœurs ou le chef d’une municipalité?», ironise-t-il.
M. Wakim ne comprend pas comment le Conseil constitutionnel a pu rendre ses arrêts «alors que des accusations de pressions politiques pèsent toujours sur lui». Il considère que le Parlement aurait dû convoquer le président Mallat pour «écouter ses explications et pour s’assurer que le Conseil constitutionnel fonctionne de manière indépendante, surtout que les accusations de pressions émanent de son président». Le député de Beyrouth poursuit sur sa lancée, soulignant par ailleurs que le déficit budgétaire a dépassé les 60% au cours du premier trimestre de l’année. M. Berry l’interrompt en attirant son attention sur l’heure: il avait dépassé les 5 minutes imparties aux parlementaires. Mais le député ne se laisse pas intimider et contre-attaque en soulignant que la réunion aurait dû être consacrée au débat de politique générale puisqu’il s’agit de la cinquième que le Parlement tient depuis son élection. Conformément au règlement intérieur de la Chambre, un débat de politique générale doit se tenir après quatre réunions parlementaires. «Nous ne faisons que nous réunir pour voter des paquets de 60 ou de 70 projets et de propositions de loi. On ne vote pas des lois par kilos», tonne-t-il. Placide, M. Berry explique que la réunion qui avait été consacrée au vote du budget de 1997 n’a pas été considérée comme faisant partie des réunions parlementaires ordinaires. Il promet de consacrer la prochaine assemblée parlementaire aux questions et aux interpellations des députés et d’organiser ensuite un débat de politique générale. Satisfait, le député de Beyrouth sort de l’hémicycle pour fumer une cigarette.

Les problèmes de
développement

Son collègue Zaher el-Khatib évoque lui aussi la croissance du déficit budgétaire et du volume de la dette publique. Il déplore l’inondation des marchés par des produits étrangers, notamment turcs, ce qui lui vaut les applaudissements des députés arméniens.
MM. Ali el-Khalil, Abdel- Latif Zein, Ghazi Zeayter et Hussein Hajj Hassan s’arrêtent sur le préjudice subi, selon eux, par les agriculteurs qui attendent toujours que l’Etat les dédommage à la suite des pertes qu’ils ont subies du fait des bombardements israéliens répétés ou de la vague de froid d’avril dernier. MM. Zeayter, Hassan et leur collègue Ibrahim Bayan insistent sur l’état d’abandon dans lequel la région qu’ils représentent, Baalbeck-Hermel, se trouve et plaident pour un développement équilibré des régions. M. Bayan déplore notamment le transfert au Liban-Nord de crédits qui étaient, dit-il, destinés au développement d’établissements pédagogiques de la Békaa. Quant à M. Ali el-Khalil, il demande, ainsi que M. Mohamed Abdel-Hamid Beydoun, un règlement rapide du dossier des attachés à l’émigration et propose de soumettre à la troisième conférence sur les marchés de capitaux arabes, qui s’est ouverte hier au Summerland, une recommandation rejetant la participation d’Israël à la Conférence sur le Moyen-Orient et l’Afrique qui se tiendra à Doha, le 16 novembre prochain.
M. Fayçal Daoud est le seul à évoquer la polémique entre le commandement de l’armée et le chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, qui avait accusé, rappelle-t-on, les services de renseignements de «saper les institutions civiles». Il a à peine le temps de prononcer quelques mots à ce sujet, appelant les «hommes politiques à cesser de s’immiscer dans les affaires de l’institution militaire». Le chef du Législatif lui coupe la parole: «Cette page a été tournée et je vous prie de ne pas aborder le sujet». Le député proteste et poursuit en déplorant l’insuffisance des projets de développement dans la Békaa.
Comme toujours, le député Georges Kassarji s’arrête sur le problème des factures téléphoniques «exorbitantes» mettant en garde contre une «désobéissance civile». M. Abdel-Hamid Beydoun interroge le gouvernement sur les avances du Trésor qui «doivent augmenter de 25% au moins les dépenses de l’Etat». Une avance du Trésor doit être incessamment accordée à Elyssar, la société foncière en charge de la réorganisation des entrées sud de Beyrouth. Il rappelle que les décrets prévoyant l’octroi de ce genre de crédits stipule toujours que les fonds doivent être remboursés. «Or, ils ne le sont pas», constate le député qui conteste également l’octroi, par décrets, de licences d’exploitation à des fournisseurs d’accès au réseau Internet «sur base d’une vieille loi relative aux communications téléphoniques et non pas au transfert d’informations».

La réponse du
gouvernement

La parole est ensuite donnée aux membres du gouvernement. M. Hariri s’engage à répondre dans un délai de 15 jours aux questions qui avaient été adressées à son gouvernement et souligne, en réponse à un point soulevé par le député Ibrahim Amine el-Sayyed, que c’est à la vitesse, davantage qu’à l’état des autoroutes, qu’il faut attribuer la multiplication des accidents de la route. Pour ce qui est du dossier des attachés à l’émigration, il précise qu’il figure à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Conseil des ministres. Aux députés qui ont contesté la décision du gouvernement relative à l’enseignement religieux dans les écoles, M. Hariri met l’accent sur le malentendu entourant cette question, expliquant que l’enseignement religieux, chrétien et musulman, est prévu dans le programme scolaire jusqu’à un âge déterminé et que les étudiants du baccalauréat auront à apprendre l’histoire chrétienne et musulmane.

Les partielles

Avant que la Chambre ne planche sur son ordre du jour, M. Berry s’arrête sur le problème posé par la demande du Conseil constitutionnel d’organiser des élections partielles, qui, manifestement, l’indispose. Il rappelle que les articles 31 de la loi portant création du Conseil constitutionnel et 42 du règlement intérieur de cette instance prévoient qu’au cas où le mandat d’un député serait invalidé, le siège devenu vacant sera attribué au candidat qui a obtenu le nombre le plus élevé de voix aux élections législatives dans la circonscription représentée par le député sortant. «C’est ce qui aurait dû se passer, mais nous sommes devant un verdict que nous ne pouvons pas outrepasser. Il faut respecter les jugements de la justice, qu’ils soient corrects ou erronés», déclare-t-il. Et d’ajouter: «Si nous n’annonçons pas la vacance d’un siège invalidé, il ne sera pas possible de convoquer le corps électoral. Aussi, je suis revenu à l’article 8 de la loi électorale de 1960 que je souhaite toutefois soumettre au vote des députés pour qu’on puisse sortir de ce pétrin et pour qu’on ne dise pas que la Chambre tente de casser le verdict du Conseil constitutionnel».
L’article qu’il cite stipule qu’au cas où un siège parlementaire serait vacant à cause de la mort ou de la démission d’un député ou pour toute autre raison, un scrutin partiel serait organisé dans un délai de 60 jours à partir du moment de la vacance du siège. «Aussi, précise-t-il, nous nous devons d’annoncer la vacance des quatre sièges pour qu’on puisse convoquer les électeurs». M. Berry souligne au passage que l’invalidation des quatre mandats «ne doit pas être exploitée pour porter atteinte au Parlement», estimant qu’il ne faut pas «exagérer l’événement et porter un coup à la démocratie au lieu de tenter d’améliorer l’exercice démocratique».

Un rapporteur
par dossier

Le chef du Législatif émet d’autres remarques au sujet de l’action du Conseil constitutionnel. Il pense qu’il aurait pu nommer un seul rapporteur au lieu de deux pour chaque dossier mais rappelle qu’en tout état de cause, il s’incline devant le verdict des magistrats.
M. Berry annonce la décision du Conseil constitutionnel puis demande aux députés de reconnaître la vacance des quatre sièges parlementaires, conformément à l’article 8 susmentionné. Les députés obtempèrent en silence, en levant la main. Puis le chef du Législatif répond au point soulevé par le député Wakim concernant la convocation du président Mallat. Le député de Beyrouth était déjà parti, mais M. Berry s’explique quand même. «Certaines choses peuvent être révélées et d’autres non». Il affirme ensuite que c’est lorsque M. Mallat avait déclaré dans une interview à la presse que rien, «même pas un entretien avec le président Berry», ne pouvait l’amener à revenir sur sa décision, qu’il avait renoncé à le convoquer à une réunion.
Le Parlement passe ensuite à l’examen de son ordre du jour. Il vote quatre projets de lois et poursuivra aujourd’hui l’examen des neuf qui restent. Chaque texte est voté après un débat assez long. L’examen du projet de loi relatif à l’ouverture d’un crédit supplémentaire de 76 milliards de livres dans le budget du ministère de la Santé aux fins de payer aux hôpitaux privés leurs dus auprès de ce département lance le débat autour de l’efficacité des hôpitaux publics et de la dilapidation de fonds à cause, notamment, de fausses factures présentées au ministère.
Au moment où le député Jamil Chammas réclame l’établissement d’un plan médical, le chef du Législatif reçoit et annonce les résultats du tirage au sort opéré par les membres du Conseil constitutionnel. Pour tout commentaire, il se contente de rappeler que MM. Jawad Osseirane et Mohamed Majzoub avaient été élus par le Parlement.

Salem irrité

Plus que le crédit au ministère de la Santé, le projet de loi portant création d’un ministère de l’Industrie, indépendant de celui du Pétrole, suscite diverses réactions de la part des députés, le plus souvent contradictoires. Une remarque du député Boutros Harb, qui conteste l’utilité de la création d’un ministère de l’Industrie, estimant qu’elle a été décidée pour des raisons d’équilibre communautaire (en allusion à l’attribution d’un portefeuille ministériel à un ministre grec-catholique) irrite le ministre concerné, M. Nadim Salem. Sèchement, M. Salem affirme que ni la communauté melkite ni lui-même n’ont voulu créer ce département. «Je ne tolérerai pas les surenchères concernant les grecs-catholiques», poursuit-il avant de menacer de démissionner si ces «surenchères» se poursuivent. Mais les critiques des députés ne s’arrêtent pas et portent essentiellement sur l’absence d’une justification convaincante à la création d’un département spécial pour l’Industrie. Plus positif que ses collègues, M. Jamil Chammas souligne que dans le cadre du ministère de l’Industrie et du Pétrole, c’est le premier département qui compte. Il propose la création d’un ministère du Pétrole, tandis que M. Tchoukhadarian suggère le renforcement de ce département.

La fureur de
Barsoumian

Le ministre actuel de l’Industrie et du Pétrole, M. Chahé Barsoumian, ronge son frein depuis quelque temps. D’un geste de la main, il sollicite le droit à la parole. M. Berry le présente comme étant le ministre du Pétrole, mais M. Barsoumian reste assis jusqu’à ce que le chef du Législatif se reprenne: «La parole est au ministre de l’Industrie et du Pétrole». Mais M. Barsoumian ne parle pas. Il explose, le visage rouge de colère: «Vous vous trompez si vous pensez que le ministère est la propriété de ma famille. Le ministère de l’Industrie et du Pétrole existe bel et bien. J’ai toujours adopté une attitude positive mais après toutes les critiques que j’ai entendues, je ne peux pas m’empêcher de parler: «Ils» ont fait en sorte qu’il n’y ait pas de ministère de l’Industrie. «On» l’a privé de ses prérogatives». «Qui? qui?», lancent les députés: «Les responsables», répond le ministre qui poursuit: «Je suis avec vous si vous voulez restituer au ministère ses prérogatives mais je ne me tiendrai pas à vos côtés si vous voulez créer un autre. On craint pour la communauté grecque-catholique. Pourquoi ne craint-on pas pour la communauté arménienne. L’une comme l’autre a des droits». La fureur du ministre est incontrôlable. Brandissant le projet de loi relatif au ministère, il hurle: «Je conseille au futur ministre de demander à ce que ses prérogatives soient claires parce que toutes celles qui sont prévues dans ce texte s’enchevêtrent avec d’autres départements. Pourquoi, sinon, la commission parlementaire de l’Economie et le Parlement réclament-ils des explications? Si ce qui a été dit est une plaisanterie, je ne pense pas qu’il est correct de prendre à la légère les sentiments d’un de vos collègues et si l’affaire a des dessous politiques, je crois qu’il faut la régler ailleurs qu’ici». M. Berry s’empresse de lever la séance. Mais il faut plus pour calmer le ministre qui s’apprête à sortir. Il rejoint les députés qui se dirigent vers les deux sorties de l’hémicycle, se ravise, et lance à la surprise générale, d’une voix déformée par la fureur: «Je tiens à remercier le député Jamil Chammas qui a soulevé la question. Mais le ministre de plein droit, c’est moi». Le député de Beyrouth prend mal la remarque et le ton employé par M. Barsoumian. Il hurle à son tour: «Baissez la voix, ma voix est plus forte». «Votre voix est plus forte peut-être, mais moi je suis poli et vous, vous êtes franchement impoli», fulmine le ministre. L’espace de quelques secondes, tout le monde pense que les deux responsables vont en arriver aux mains. Interloqués, les députés tentent de les calmer. En vain, les cris fusent, mais personne ne déchiffre les vociférations du ministre et du député. M. Barsoumian disparaît vite, et, dans le hall de l’Assemblée, le député de Beyrouth tente de trouver une explication à l’attaque du ministre. «Il avait besoin de passer ses nerfs sur quelqu’un», conclut-il.

En soirée, on apprenait que des contacts ont été entrepris pour empêcher que le débat qui se poursuivra aujourd’hui ne dégénère de nouveau. Selon certaines sources parlementaires, le projet serait même renvoyé en commissions.

Tilda ABOU RIZK
«Votre voix est peut-être plus forte que la mienne. Mais moi, je suis poli et vous, vous êtes franchement impoli». Rouge de colère, le ministre de l’Industrie et du Pétrole, M. Chahé Barsoumian, sort en trombes de l’hémicycle après avoir lancé ces mots à l’adresse du député Jamil Chammas. Sa réaction incendiaire marque la fin du débat autour de la création d’un...