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Actualités - REPORTAGE

Entre le Vatican et l'église maronite, une solide harmonie et ... quelques tiraillements (photos)

Les relations entre l’Eglise maronite et le Vatican sont aussi complexes que l’histoire des maronites eux-mêmes. En apparence, c’est le beau fixe et l’harmonie totale. Mais, sous l’eau dormante en surface couve une sorte de tension qui s’amplifie ou diminue selon les époques.
Quoiqu’il soit difficile de traiter un sujet aussi délicat en un simple article de presse, la situation pourrait globalement se résumer ainsi: après avoir désespérément recherché l’attention de Rome au fil des siècles, se démarquant volontairement de son environnement et des Eglises d’Orient présentes dans la région, l’Eglise maronite, à mesure qu’elle se renforçait, commençait à s’irriter d’une trop grande ingérence de Rome dans ses affaires. Aujourd’hui, un puissant courant au sein de cette Eglise se rebelle discrètement contre le fait de la voir considérée par le Saint-siège comme une «Eglise mineure». Et si, officiellement, ce courant en attribue la responsabilité – ou du moins une grande partie – au nonce apostolique actuellement en poste à Beyrouth, ce sentiment remonte bien plus loin dans le temps, et l’histoire des relations entre l’Eglise maronite et le Vatican est jalonnée d’étapes importantes, tantôt faites de conflits et tantôt faites d’harmonie. Mais ce qui est sûr, c’est que depuis l’adhésion de l’Eglise maronite au Vatican, tous les patriarches de cette Eglise ont recherché la «reconnaissance» du Saint-père qui leur remettait, en signe de «communion de foi», le pallium papal.
Si les maronites, depuis les tout premiers siècles de notre ère, commencent très tôt à regarder du côté de Rome, les relations officielles entre les deux parties ne prennent corps qu’à la fin du VIIe siècle, avec l’élection du premier patriarche de l’Eglise maronite, Saint Jean Maron. Il existe peu de documents relatifs à cette époque, mais le père Broutros Daou – qui a écrit un important ouvrage sur l’histoire des maronites – affirme qu’aussitôt après son élection, St Jean Maron aurait rencontré l’émissaire papal à Tripoli, avant de se rendre en sa compagnie à Rome pour y rencontrer le pape St Sergius I. St Jean Maron confirme ainsi la séparation entre son Eglise et les autres présentes dans la région. Il est vrai que, depuis longtemps déjà, les relations entre les maronites et l’Eglise officielle de l’empire byzantin, ainsi qu’avec la communauté des jacobites, sont mauvaises. Il y avait même eu plusieurs massacres entre ces parties dont celui de 350 moines maronites par ces mêmes jacobites au couvent d’Apamée dans la vallée de l’Oronte. La visite de St Jean Maron à Rome – dont la véracité est contestée par de nombreux historiens – constitue la première reconnaissance officielle de l’élection d’un patriarche maronite par le Saint-siège. Et cette demande de reconnaissance est, depuis, devenue une tradition pour l’Eglise maronite; même si, à certaines époques, il était difficile aux patriarches nouvellement élus de faire le voyage jusqu’au Vatican.

Tiraillements
et conflits

Il faudra attendre les croisades pour avoir de nouveaux éléments sur les relations entre l’Eglise maronite et Rome. Même si, à cette époque – et selon de nombreux historiens dont M. Kamal Salibi – les maronites sont divisés sur le parti à prendre. Certains prônent une alliance totale avec les Croisés venus d’Occident et d’autres préfèrent se battre aux côtés des musulmans. Toujours selon M. Salibi, la base maronite était contre l’alliance avec les Croisés, alors que le clergé et autres responsables de la communauté étaient partisans d’une telle alliance pour renforcer leur pouvoir sur leurs ouailles. Finalement, c’est donc pendant les croisades, que l’Eglise maronite s’est officiellement rattachée à Rome, provoquant dans ses propres rangs des tiraillements et des conflits. Rome, d’ailleurs, doit intervenir pour renforcer ses partisans au sein de l’Eglise maronite et leur permettre de vaincre le camp hostile au rattachement au Vatican. Le pape Innocent III a ainsi officiellement convié le patriarche Jérémie de Amchit à se rendre à Rome pour y assister au concile œcuménique de Latran IV qui s’est tenu en l’an 1215. Le pape a alors remis au patriarche Jérémie une «indulgence spéciale» aux maronites regrettant d’avoir voulu se détacher de Rome.
A la fin du XIIIe siècle, le camp hostile à l’adhésion à Rome se renforce et de nouveaux conflits éclatent au sein de la communauté. Il arrive même à cette période que les maronites aient deux patriarches, l’un nommé par les Croisés et le second élu sans intervention étrangère.
Toutefois, et aussi bizarre que cela puisse paraître, la défaite des Croisés renforce le camp allié à l’Occident au sein de la communauté maronite. Même si pendant quelques siècles – notamment lors du règne des Mamelouks – Rome ignore les maronites et ceux-ci trouvent de grandes difficultés à se rendre en Europe ou même à établir une correspondance suivie avec l’Eglise romaine.
Il faudra attendre le concile de Constance en l’an 1414 qui met un terme à la scission au sein de l’Eglise catholique romaine (entre les papes d’Avignon et ceux de Rome) pour que le Vatican s’occupe de nouveau des affaires externes. Mais le Saint-siège cherchait surtout à unifier l’Eglise romaine avec celle de Byzance (le schisme ayant eu lieu en 1054) et les maronites ne faisaient pas partie de ses priorités. C’est à la suite de l’échec du concile de Florence voué à cette réunification, que le pape Eugène IV s’intéresse à la communauté maronite grâce aux propos d’un père franciscain arrivant de Beyrouth. Il veut s’assurer que le patriarche de cette communauté, à l’époque Jean de Jaje, se considère toujours comme lié à l’Occident.

L’an 1450 ouvre
une nouvelle étape

C’est à partir de cette époque que Rome commence véritablement à s’intéresser aux maronites et, en l’an 1450, un prêtre franciscain occupe, pour la première fois, les fonctions officielles de conseiller catholique romain auprès du patriarche maronite, inaugurant ainsi une nouvelle étape dans l’histoire des relations entre les deux parties.
En l’an 1456, le patriarche maronite reçoit une lettre du pape dans laquelle ce dernier lui donne officiellement le titre de «patriarche d’Antioche». Le titre est resté. Dès lors, Rome s’intéresse de plus en plus vivement aux maronites et son influence sur cette Eglise ne cesse de croître, tant sur le plan du choix des patriarches et des évêques que sur celui des liturgies.
Le signe le plus important de ce rapprochement apparaît dans un message du pape Léon X en l’an 1510 adressé au patriarche maronite Pierre de Hadath (Jebbé) et dans lequel le Saint-père rend un vibrant hommage à cette communauté. Dès lors, le rapprochement ne cesse de se consolider et, en 1585, le pape Grégoire XIII fonde ce qu’on a appelé «le Collège maronite» à Rome, chargé de former les étudiants maronites. La direction de ce collège est confiée à la congrégation des Jésuites, dont l’influence n’a cessé de croître au sein de l’Eglise maronite, suscitant souvent l’ire des hommes de religion maronite aux-mêmes. En effet, les avis divergent au sujet du rôle de ce collège. Aujourd’hui, si certains historiens maronites estiment qu’il a été d’un apport considérable pour leur Eglise, d’autres penseurs, tels le père Boulos Sfeir, considèrent qu’il a éloigné les étudiants maronites des fondements de leur Eglise, contribuant ainsi à l’occidentalisation excessive de celle-ci et leur enseignant la soumission au pape, sans mentionner leur propre patriarche. De même, toujours selon le père Sfeir, il aurait été imposé aux étudiants d’utiliser la langue latine. Ce collège a fonctionné pendant 214 ans. Selon le père Daou, il aurait été fermé en 1799. Tout au long de cette période, 4 maronites seulement ont pu le diriger, après avoir toutefois rejoint la congrégation des Jésuites.
A cette même époque, le pape envoie au Liban le père jésuite Girolamo Dandini en lui donnant pour mission de réorganiser l’Eglise maronite sur des bases modernes. C’est ainsi qu’il a été convenu que les étudiants formés au Collège maronite de Rome devaient obtenir de hautes fonctions au sein de l’Eglise maronite. Il devint ainsi de plus en plus fréquent que le patriarche maronite soit un ancien du collège de Rome. On peut citer le patriarche Jean Makhlouf ainsi que le patriarche Estéfane Doueihy.
C’est dans la foulée de l’influence grandissante de Rome au sein de l’Eglise maronite qu’est fondé au début du XVIIIe siècle le premier Ordre de moines maronites; depuis cette date, les supérieurs des Ordres maronites sont d’ailleurs toujours désignés directement par le Vatican. On les appelle les «Ordres Exempts», c’est-à-dire directement rattachés au Vatican, au lieu de relever de l’autorité directe du patriarche maronite. Aujourd’hui, l’Ordre des moines maronites libanais, l’Ordre alépin et celui des pères antonins sont des Ordres Exempts. Par contre, les Apôtres (les apôtres de Jounieh) sont des Ordres rattachés au patriarche.
L’influence du Vatican au sein de l’Eglise maronite s’est manifestée d’une façon flagrante lors du concile libanais qui s’est tenu à Louayzé en 1736 et qui était censé doter l’Eglise maronite d’une structure et de lois conformes à celles en vigueur au Vatican. Toutefois, un important courant au sein de l’Eglise maronite a voulu s’opposer à l’influence grandissante du Saint-siège. Ce qui a donné deux documents contradictoires, le premier en arabe et le second en latin. En dépit de l’existence de ce courant opposant, les liens entre les deux Eglises n’ont fait que se renforcer.
«Les tuyaux du
Vatican»

Et sans intervenir ouvertement dans le choix des patriarches, le Vatican, selon un éminent représentant de l’Eglise maronite, exerce certaines pressions et lance parfois des rumeurs pour montrer que tel évêque a sa faveur. Il fait même connaître sa volonté à travers certains membres du clergé qu’on appelle les «tuyaux du Vatican». Selon cette même personnalité religieuse, il y en aurait plusieurs au sein de l’Eglise maronite. Mais comment est élu un patriarche? Dans les faits, le collège épiscopal (qui groupe tous les évêques maronites rattachés à l’Eglise d’Antioche et d’Orient) se réunit et choisit le patriarche. Aussitôt après, le patriarche se rend au Vatican pour y «reconnaître le pape comme le premier évêque de l’Eglise et le successeur de St Pierre». C’est ce qu’on appelle «la communion de foi». En contrepartie, le pape lui remet le pallium et lui dit: «Nous sommes frères par la foi».
En ce qui concerne la nomination des évêques, c’est le patriarche qui commence par proposer des noms. Le collège épiscopal se réunit ensuite pour voter en secret. Et les trois noms qui recueillent le plus grand nombre de voix sont transmis au pape qui en choisit un. C’est ce dernier qui sera l’évêque. Depuis 5 ans, et dans une volonté évidente de resserrer son contrôle sur l’Eglise maronite, le Vatican nomme directement «trois évêques visiteurs», qui font naturellement partie du collège épiscopal. Pour l’instant, ces trois évêques sont Mgrs Youssef Béchara, Boulos Gemayel et Boulos Matar.
Toutes ces mesures n’ont fait que renforcer l’opposition au sein de l’Eglise maronite et certains prélats vont même jusqu’à parler de «mainmise» du Vatican sur cette Eglise. Ils plaident en faveur d’une plus grande autonomie, estimant qu’après tout l’Eglise maronite est une Eglise d’Orient et que, par conséquent, elle a certaines spécificités par rapport au Vatican. Sans aller jusqu’à accuser directement le Saint-siège, ce courant se contente pour le moment de concentrer ses critiques sur le nonce apostolique, rappelant que ce dernier lorsqu’il était secrétaire à la nonciature, dans les années 70, était opposé à la politique des leaders chrétiens de l’époque et a toujours prôné une ouverture sur l’environnement arabe et musulman.
Pourtant, c’est ce même homme que le Vatican a désigné comme apostolique dans un Liban en pleine guerre en 1989. N’est-ce pas un indice de la politique réelle du Vatican? Les contestataires ne veulent pas tenir compte de cette hypothèse et continuent de mener leur campagne dans l’espoir secret de pouvoir influer sur la politique du Vatican ou de se libérer un peu de sa tutelle.
Ce courant voit d’ailleurs d’un très bon œil la tenue d’un synode pour le Liban. Selon ses membres, il constitue un grand geste du pape en faveur du Liban. Il montre, disent-ils, «l’importance du Liban comme message de fraternité dans un monde de violence, comme message de coexistence dans un monde d’intolérance, et de diversité dans un monde voué à l’unicité».
Toujours selon ce courant, le synode a pour objectif de renforcer l’Eglise maronite, tout en la poussant à se renouveler. Cela n’empêche pas ceux qui en font partie d’affirmer que cette même Eglise a été écartée des préparatifs de la visite du pape à Beyrouth...
En réalité, au-delà des personnes, ce qui oppose aujourd’hui certains membres de l’Eglise maronite au Vatican n’est que la continuation d’une vieille lutte – parfois latente et parfois ouverte – entre une Eglise elle-même tiraillée entre son rattachement à Rome et ses propres spécificités, et le Vatican qui trace les grandes lignes d’une politique générale, sans toujours tenir compte de certaines sensibilités locales. Toutefois, c’est certainement à l’Eglise maronite de prouver elle-même sa force au Vatican et le synode auquel a appelé le pape en est peut-être l’occasion rêvée.

Scarlett HADDAD
Les relations entre l’Eglise maronite et le Vatican sont aussi complexes que l’histoire des maronites eux-mêmes. En apparence, c’est le beau fixe et l’harmonie totale. Mais, sous l’eau dormante en surface couve une sorte de tension qui s’amplifie ou diminue selon les époques.Quoiqu’il soit difficile de traiter un sujet aussi délicat en un simple article de presse, la...