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Actualités - INTERVIEWS

Mgr Khodor : quand il s'agit d'un destin tragique, les chrétiens meurent ensemble

Q: Pensez-vous que la visite du pape va donner un nouveau souffle au dialogue entre les catholiques et les orthodoxes?
R: Le dialogue se passe au plus haut échelon entre les églises orthodoxes du monde et le Vatican, et les communautés catholiques du Liban sont représentées dans ce dialogue. C’est-à-dire que les catholiques du Liban, en tant que membres à part entière de l’église romaine, participent à ce dialogue. Je n’ai pas l’impression que, sur le plan mondial, cette visite va ajouter quelque chose à l’intensité du dialogue, d’autant que le patriarcat d’Antioche est simplement une des principales églises orthodoxes du monde. La visite du pape pourrait éventuellement raviver les contacts entre les chrétiens du Liban et nous sommes déjà sur la bonne voie dans le domaine pastoral en ce qui concerne nos rapports quotidiens et la convivialité ecclésiale dans le pays. Certains différends d’ordre pratique ont été récemment réglés lors de l’assemblée des patriarches catholiques à laquelle ont été conviés les prélats des églises orthodoxes du Proche-Orient.
Q: Vous avez dit que le dialogue entre les églises catholiques et orthodoxes se passe à l’échelon mondial. Nous avons cependant l’impression que les contacts entre les catholiques et orthodoxes du Liban et de Syrie progressent plus rapidement que ceux qui se passent au niveau planétaire. Cette impression est-elle fondée?
R: Le dialogue entre les églises locales est surtout d’ordre pastoral. Il s’agissait de régler la question de la première communion administrée indistinctement à tous les élèves chrétiens des établissements scolaires catholiques ce qui est contraire à notre discipline et à la leur. Il y a eu un contact entre les orthodoxes du patriarcat d’Antioche et les grecs-catholiques qui ont exprimé leur désir de s’unir aux orthodoxes tout en restant en communion avec Rome. Mais la question de la double allégeance a été repoussée par le synode orthodoxe. Il y a un litige avec Rome et non pas avec les grecs-catholiques qui sont d’obédience romaine. Il n’y a pas d’église grecque-catholique ou d’église maronite…
Q: …mais les maronites estiment qu’ils constituent une église à part entière…
R: …il ne peut y avoir d’Eglise s’il n’y a pas de droit canon qui lui soit propre et tant qu’il n’y a pas de législations autonomes, de canonisation autonome de saints et des élections de patriarches et d’évêques d’une manière indépendante. Les maronites et les grecs-catholiques peuvent évidemment exercer librement certaines prérogatives. Les rapports sont donc vécus entre Rome et l’Orthodoxie qui ne peut pas avoir de conversations d’ordre théologique avec une portion de l’Eglise romaine.
Q: Cependant, l’Orthodoxie n’a pas une seule référence spirituelle et théologique…
R: Le miracle est que les différentes composantes des églises orthodoxes sont toujours ensemble. Il ne faut pas toujours se fier aux apparences et les orthodoxes se retrouvent toujours dans une seule tranchée quand il s’agit de prendre position sur des thèmes cruciaux.
Q: Dans quelle mesure la visite de Jean-Paul II peut-elle avoir des répercussions positives sur le rapprochement pastoral entre orthodoxes et grecs-catholiques?
R: Dans le programme prévu de la visite, le pape n’aura pas de contacts avec les orthodoxes en dehors de la rencontre protocolaire au palais de Baabda. Un passage (au Liban) aussi rapide, aussi fugace dirais-je, ne peut être que d’ordre symbolique. Si le pape devait rester cinq ou six jours, les primats des églises auraient eu des contacts plus intimes et de longues conversations avec lui. Cela aurait probablement encouragé les chrétiens à se rapprocher grâce au charisme du pape Jean-Paul II. De toute façon, les grecs-catholiques et les grecs-orthodoxes sont tenus d’avoir des contacts pour envisager les solutions sur le plan ecclésial qui seraient plus fondées que celles avancées jusqu’à présent par le synode grec-catholique. Ces rapports doivent tenir compte aussi du sentiment des uniates orientaux. Il est impensable que grecs-catholiques et orthodoxes arrivent à un accord d’où seraient exclus les uniates.
Q: Les orthodoxes ont-ils été associés aux préparatifs de la visite du pape qui ont duré des semaines, voire des mois?
R: Non. A ma connaissance, aucun prélat grec-orthodoxe n’a participé à ces préparatifs.
Q: Y a-t-il à votre avis une communauté de destin entre les chrétiens du Liban quels que soient leurs rites?
R: Je suis convaincu, et c’est une formule que j’ai déjà utilisée, qu’un groupe, ou plusieurs groupes de chrétiens, commettent des erreurs historiques et tous les chrétiens en souffrent.
Toutes les communautés ne sont pas responsables des erreurs d’un engagement historique et politique commises par certains groupes. N’empêche qu’ils ont souffert ensemble. La souffrance des coptes d’Egypte est certainement liée à ce qui se passe dans le monde arabe. Quand il s’agit d’un destin tragique, les chrétiens meurent ensemble. Cela a toujours été ainsi.
Q: D’après vos propos, nous avons l’impression que la visite du pape concerne seulement les catholiques au Liban.
R: Je n’ai pas dit que cette visite ne concerne pas tous les chrétiens au Liban. Mais la venue de Jean-Paul II est liée, comme il l’a lui-même déclaré, aux travaux du synode qui se sont déroulés à Rome fin 1995. Nous aurions souhaité que son séjour soit plus long pour pouvoir précisément avoir des rapports plus intimes avec lui. Deux représentants grecs-orthodoxes ont participé aux débats du synode. Et on retrouve dans le document final quelques-unes des remarques formulées par ces représentants.
Q: La visite du pape est-elle uniquement d’ordre pastoral?
R: Elle peut avoir une signification politique parce qu’elle peut apporter une espèce de réconfort aux catholiques libanais…
Q: … aux catholiques seulement ou à tous les chrétiens?
R: Vous savez très bien que le réconfort comporte deux éléments découlants, l’un, de celui qui le donne et, l’autre, de celui que le reçoit. Certainement, sur le plan populaire, beaucoup de chrétiens d’obédiences différentes vont sentir qu’ils jouissent d’un appui. Mais comment cela va-t-il se traduire dans les faits? Ce passage va-t-il consolider les chrétiens dans leur désir de ne pas émigrer? Cette visite fera-t-elle appel aux profondeurs de l’âme chrétienne? Nous le saurons après la fin du séjour de Jean-Paul II.
Q: La venue du pape a suscité les critiques de certains milieux musulmans. Pensez-vous, malgré cela, qu’elle constitue un événement positif pour le Liban en général et pour les chrétiens en particulier?
R: Je ne suis pas un vaticanologue. Mais le seul entretien que j’ai eu avec l’ancien secrétaire d’Etat, Mgr Casarolli, m’a montré que le Vatican avait de lui-même une vision beaucoup plus modeste de la visite que celle que lui prêtent les catholiques libanais. Beaucoup plus modeste, je le répète. Et le Vatican ne croit pas à son efficacité sur le plan de la politique internationale (…) le destin de ce pays s’inscrit dans la conjoncture internationale actuelle et à venir et il me semble que les chrétiens libanais ont peu de choses à apporter à cette conjoncture. Ils ne sont pas assez forts pour modifier les plans prévus pour cette région. J’aurais aimé que les chrétiens exercent une influence à la hauteur de leur vocation et selon l’intensité de l’Evangile. Leur poids démographique ne leur permet pas de jouer un plus grand rôle.
Q: Quel destin voyez-vous pour le Liban et pour la région?
R: J’espère que le pays gardera une certaine vocation mais je ne vais jusqu’à dire, avec le pape Jean-Paul II, que le Liban est un message. Il est un message potentiel. A un moment donné il le fut, notamment avant la guerre. Les Libanais sont plus ou moins réconciliés. Ils ne connaissent pas la haine qui, dans un autre pays, aurait pu durer pendant plusieurs générations. Il y a comme une grâce qui effleure le Liban. Les chrétiens ont apporté à la région un souffle de liberté vers la fin de l’empire ottoman. Un souffle qui a ensuite été assumé par les autres. Par ailleurs, ils n’étaient pas complexés par l’Occident. Et les intellectuels musulmans leur reconnaissent ce rôle et ce mérite. L’avenir de la région est placé sous le signe d’Israël et sera marqué manifestement par la décadence du monde arabe. Les chrétiens dans leur ensemble sont obnubilés par leur sensibilité de minoritaires. Ils n’ont pas encore saisi que l’attirance du pouvoir est destructrice et que leur présence en Orient est un témoignage extraordinairement vivant dans un monde arabe et musulman. Tant qu’ils n’ont pas compris cela, ils feront partie de cette décadence.

Propos recueillis par
Paul KHALIFEH
Q: Pensez-vous que la visite du pape va donner un nouveau souffle au dialogue entre les catholiques et les orthodoxes?R: Le dialogue se passe au plus haut échelon entre les églises orthodoxes du monde et le Vatican, et les communautés catholiques du Liban sont représentées dans ce dialogue. C’est-à-dire que les catholiques du Liban, en tant que membres à part entière de...