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Actualités - ANALYSE

Conseil constitutionnel : la réforme s'impose déjà

A peine un an d’existence et déjà une trop riche expérience en déboires: la plupart des juristes et nombre de pôles politiques estiment qu’il faut revoir à fond le texte initiant dans ce pays un Conseil constitutionnel ainsi que le règlement intérieur qui en découle. «Il est impensable en démocratie que le juge constitutionnel puisse être jugé, dit une sommité juridique, et il faut qu’il reste au-dessus de tout soupçon, hors d’atteinte de toute critique, pour assumer son rôle fondamental de régulateur de la vie publique, de gardien de l’Etat de droit, des institutions, des libertés et des principes républicains».
Et d’insister sur «deux impératifs complémentaires: d’abord pas de pressions précédant un arrêt; la stricte application de ses dispositions ensuite...» Une manière de rappeler que ces derniers temps ni l’un ni l’autre de ces préceptes ne semble avoir été suivi...
Cette personnalité trouve cependant des circonstances atténuantes aux remous actuels: «Le Conseil étant une nouveauté dans notre vie politico-parlementaire, certains ont du mal à s’adapter à la mentalité objective que son existence implique... Même en France, il y a eu des difficultés au début. Sous la Troisième République certains tribunaux français avaient voulu s’inspirer des jurisprudences émanant d’un système tout à fait différent, à savoir la Cour Suprême U.S. Il avait fallu pour remettre les choses en ordre des interventions précises du Parlement, de la Cour de Cassation et du Conseil d’Etat. Pour résumer, condenser et clarifier ce circuit régulateur, la Quatrième avait institué le contrôle de la constitutionnalité des lois et règlements. Un système encore renforcé par la Cinquième et dont le Liban a voulu s’inspirer...»
Au niveau des mandats parlementaires, l’article 30 de l’ancienne Constitution accordait aux seuls députés le droit d’en examiner la validité, ce qui était aussi absurde qu’aberrant, puisqu’ils devenaient ainsi juge et partie. Il n’est donc pas étonnant que de 1943 à nos jours on n’ait enregistré aucune invalidation.
Depuis sa création le Conseil constitutionnel a rendu sept arrêts, le plus important cassant la mouture originelle de la précédente loi électorale, au nom de l’égalité entre citoyens. Mais de ses prescriptions le gouvernement, usant d’un artifice rendu possible par l’élasticité de la sentence, avait réussi à éviter la plus importante — l’unification du système de découpage des circonscriptions — pour ne garder en pratique que la limitation à quatre ans de la durée du mandat... Ce qu’il vient du reste d’infirmer sans vergogne!
Pour ce qui est des invalidations, le Conseil se retrouve devant des difficultés considérables, d’ordre technique aussi bien que d’ordre psycho-politique. Il se trouve ainsi en butte à une virulente campagne de dénigrement, de mise en doute de sa fiabilité, de sa compétence, voire de l’intégrité de ses membres ou de leur courage moral. Tout en protestant de sa parfaite innocence au sujet des reproches d’immixtion qui lui sont adressés, M. Rafic Hariri se fait l’avocat du Conseil constitutionnel, des neuf Sages qui n’ont pas suivi l’exemple de leur président démissionnaire M. Wajdi Mallat, en affirmant que l’offensive contre cette instance vise la stabilité interne, les institutions et même la paix civile. M. Nabih Berry a de son côté conseillé aux médias de jeter le voile sur tout ce qui concerne le Conseil, par respect de la Justice.
Il reste que les failles apparues s’illustrent comme suit:
— Retard marqué dans le rendu des arrêts.
— Manque de précision dans le texte initial sur le point de savoir s’il faut en cas d’invalidation procéder à une nouvelle élection ou proclamer élu celui qui venait en deuxième au nombre des voix.
— Manque de précision également en cas de vacance d’un poste au sein du Conseil: ce dernier, s’il peut sans doute délibérer officieusement, peut-il entendre des témoins et surtout peut-il rendre des verdicts quand il n’est pas au complet? On ne peut oublier en effet que les jugements sont soumis au vote et que de plus les membres sont choisis à parité égale par le Législatif et par l’Exécutif, ce qui introduit une notion d’équilibre des pouvoirs dans le fonctionnement même du Conseil... Sans compter qu’il y a tant à faire qu’une absence se fait lourdement ressentir, surtout s’il s’agit du président...

Et les naturalisations?

Ce n’est pas le pain qui manque sur la planche. Il va falloir... plancher un jour ou l’autre sur le problème — déplacé sinon aggravé par le décret de 94 — des naturalisations. Elles sont classées dans les accords de Taëf parmi les sujets essentiels nécessitant pour toute décision un vote à la majorité des deux tiers, en Conseil des ministres ou à la Chambre. De tout évidence, en effet, cette question touche aux équilibres communautaires fondamentaux qui régissent une nation composite basée sur la coexistence. «A Taëf il était convenu qu’on accorderait la nationalité libanaise aux groupes qui en avaient manifestement acquis le droit, les Arabes de Wadi Khaled, les habitants des sept villages (du Sud) et nombre de cas «sous étude» depuis des décennies...» Il n’était donc pas question d’en naturaliser d’autres, comme cela a été fait dans le décret promulgué le 20 juin 1994, mesure qui a nécessité la préparation d’un autre train de naturalisations pour compenser en partie l’aggravation des déséquilibres démo-confessionnels.
En 1992, on avait mis sur pied une commission ministérielle chargée d’élaborer un nouveau code des naturalisations. Elle s’est séparée sur un fiasco, sans avoir rien fait. M. Farès Boueiz, ministre des Affaires étrangères mais également député du Kesrouan, lui avait auparavant adressé une motion souhaitant que le texte de la future loi inclue le passage suivant:
— «Quiconque appartient au Liban par son origine, mais n’a pas retrouvé la nationalité libanaise conformément à l’article 34 de la Convention de Lausanne, ni obtenu une autre nationalité avec l’autorisation du gouvernement libanais, doit être considéré d’office comme restant de nationalité libanaise. Ceci pour réparer l’injustice commise à l’encontre des émigrés libanais par suite de l’application de la Convention de Genève et des règlements qui en découlent». M. Boueiz précisait dans cette note que faute d’information et de communication, des Libanais partis pour l’étranger avant le 30 août 1924, et leurs enfants après eux, avaient été floués en quelque sorte: ils ne savaient pas que dans un délai de deux ans, fixé par la Convention de Lausanne, il leur fallait accomplir des formalités pour confirmer qu’ils optaient pour la nationalité libanaise. Depuis lors ce domaine est régi par l’arrêté numéro 15 du 19 janvier 1925, amendé par la loi du 11 janvier 1960. L’article 3 de cet arrêté attribue au seul chef de l’Etat le pouvoir d’octroyer la nationalité libanaise à un requérant, après vérification des conditions juridiques requises.
C’est sur cette base qu’en 1994 on a naturalisé des dizaines de milliers de personnes, sans préciser les motifs, ce qui est d’autant plus «fort de café» comme on dit que bon nombre des bénéficiaires n’avaient même pas présenté de demande, pour la simple raison qu’ils ne remplissaient de toute évidence pas les conditions requises! Aussi les avocats de la Ligue maronite, Mes Antoine Akl, Neemetallah Abi Nasr et Hafez Zakhour ont introduit un recours en annulation du décret devant le Conseil d’Etat. Les juristes font valoir dans leur plainte qu’il y a mauvais usage de pouvoir: à leur avis, du moment que l’Exécutif est passé, aux termes de la nouvelle Constitution, des mains du président de la République au Conseil des ministres, le chef de l’Etat ne peut plus prendre tout seul des décisions de nature fondamentalement organisationnelle et le décret présidentiel ne peut dès lors être valable. Le recours relève également que l’Etat, en contrevenant aux dispositions de la Constitution même, a accordé la nationalité à des gens qui ne la demandaient pas, en laissant de côté des gens qui la demandaient et qui d’ailleurs la méritent à leur avis, ce qui a entraîné un flagrant déséquilibre au niveau confessionnel et à celui de la représentation parlementaire. Et de souligner ensuite que l’on n’a pas pris en compte l’intérêt supérieur, et en même temps le plus élémentaire, d’un Liban qui souffre d’une densité démographique telle qu’elle suscite un fort mouvement d’émigration. Ajoutant ensuite qu’en consacrant le droit de sol, on ouvre la porte à l’implantation (des Palestiniens) comme le prouve le fait que les sept villages connus de tous sont devenus 25 aux termes du décret mis en cause...

E.K.
A peine un an d’existence et déjà une trop riche expérience en déboires: la plupart des juristes et nombre de pôles politiques estiment qu’il faut revoir à fond le texte initiant dans ce pays un Conseil constitutionnel ainsi que le règlement intérieur qui en découle. «Il est impensable en démocratie que le juge constitutionnel puisse être jugé, dit une sommité...