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Actualités - OPINION

24 avril : la communauté arménienne se souvient Un crime toujours renié

Pour la 82e fois, le peuple arménien, partout où il se trouve, en mère-patrie ou dispersé aux quatre coins du monde, se rassemble pour commémorer dans l’émotion et la dignité l’anniversaire d’un «génocide exemplaire» qui a assombri l’aube du 20e siècle. Premier génocide à être connu dans toute son horreur grâce aux témoignages et aux recherches de diplomates, de missionnaires et d’historiens étrangers, ce crime inavouable continue à être renié par les descendants de ceux qui l’ont organisé froidement et exécuté consciencieusement, systématiquement, à savoir les plus hautes autorités de l’Empire ottoman, en l’an 1915.
C’est soixante ans après la catastrophe seulement, en 1974 précisément, lors d’une séance du Conseil économique et social de l’ONU que le mot «génocide» fut lâché — et encore timidement — à propos des massacres arméniens. Auparavant ce terme était exclusivement réservé à l’extermination des juifs par les Nazis.
On savait pourtant que rien n’avait été épargné pour que ce peuple pacifique, formé de citoyens fidèles de l’Emire et élément utile au développement économique, culturel, artistique du pays, disparaisse à jamais de la surface de la terre. Comme le note un historien français, tout avait été organisé minutieusement et impeccablement afin qu’aucun survivant ne puisse témoigner du crime (extermination totale), que les massacres soient effectués discrètement, loin des yeux du monde civilisé (les déportations) et aux moindres risques (en éliminant préalablement les intellectuels et tout élément capable de résistance).
Les résultats de l’opération, incalculables, ne sont plus un secret pour personne. Les écrits des Lepsius, des Morgenthau, des Toynbee, des L. Davis, des Ch. Walker, des V. Bryce, des Y. Ternon et autres témoins ou chercheurs de renom, sans compter les archives de plusieurs pays occidentaux, sont là pour témoigner de l’immensité du crime commis face au monde civilisé, au su et au vu des grandes puissances qui pouvaient faire plus qu’elles n’ont fait pour épargner cette honte à l’humanité.
Les survivants des massacres et déportations ont longtemps passé leur temps à pleurer et déplorer les morts et les disparus, dont le nombre, selon les estimations les plus valables, a atteint un million et demi. C’était leur seul moyen de crier leur douleur, leur seule arme contre l’indifférence et le mutisme des grands de ce monde qui n’avaient aucun intérêt, pour gagner la sympathie d’un petit peuple dispersé et affaibli, à s’attirer la colère ou les représailles d’un pays auquel les liaient d’importants intérêts politiques et économiques.
Depuis un certain temps, une lente mais constante évolution s’est opérée dans l’esprit des Arméniens. Le deuil et les lamentations ont cédé la place, surtout parmi la jeunesse, à une révision de l’attitude arménienne face à la catastrophe qui constitue l’une des pages les plus douloureuses de l’histoire de ce peuple, mais qui doit cesser d’être prise comme un désastre irréparable, pour être vue sous un jour nouveau. Car il s’agit, justement, d’en faire le point de départ d’une conscientisation, celle d’œuvrer par tous les moyens légaux pour faire réparer une injustice flagrante dont ont été victimes des innocents: spoliés de leurs terres, déportés comme du bétail, rendus errants dans les déserts, sauvagement massacrés ou morts d’inanition et de faim.
La nécessité de sensibiliser la communauté internationale à ce terrible drame a poussé hélas, au début, des jeunes exacerbés à opter pour des actes de violence: un mal qui aurait pu être évité si la conscience des grands s’était éveillée plus tôt. Mais heureusement cette étape a vite été franchie, et c’est une élite de jeunes intellectuels et de chercheurs — V. Dadrian, G. Chaliand, J. M. Carzou, R. Hovannissian, M. Nechanian, A. Beylerian, etc —, qui a pris la relève pour exposer au grand jour les replis cachés de cette page tragique de l’histoire qui risquait d’être condamnée à l’oubli ou considérée comme «un point de détail de l’histoire».
La «cause arménienne» n’est plus maintenant un sujet qu’on évite d’évoquer dans les instances internationales. Elle est prise sérieusement en examen. Elle constitue même une source de rélexion pour ceux qui sont soucieux de préserver l’humanité de futures injustices. Ses défenseurs ne prônent pas l’usage de la violence pour extorquer les droits du peuple arménien. Ils ne sont pas armés d’esprit revanchard pour venger la mémoire des disparus. Bien au contraire, ils sont disposés à renouer le dialogue avec ceux mêmes qui, déplorant le passé, feraient montre de bonne volonté et de maturité politique pour trouver des solutions rendant justice aux victimes.
Hélas, dira-t-on, les leçons du passé n’ont pas toujours porté des fruits, ni fait avancer la cause de la justice partout dans le monde. Les exemples se multiplient chaque jour et nous en sommes les témoins les plus proches, sur ces terres du Proche-Orient où la paix est menacée chaque instant. Mais cela ne devrait-il pas inciter les défenseurs des droits des peuples à multiplier leurs efforts pour atteindre le but?
En commémorant leurs martyrs en ces jours, les Arméniens veulent simplement rendre justice à la justice. Ils veulent que soit rétablie la vérité de l’histoire: un grand crime a été commis au début de ce siècle. Ce serait tout à l’honneur des descendants de leurs auteurs d’en reconnaître la gravité et de la réparer. Le peuple allemand n’a pas hésité à le faire et a mérité l’estime du monde entier. Plusieurs pays ont déjà reconnu la réalité du génocide arménien. Beaucoup d’autres les suivraient s’ils n’étaient retenus par des motifs qui s’inspirent plus de la raison d’Etat que de la vérité historique.
Les Arméniens du Liban sont reconnaissants aux responsables politiques du pays qui ont, au cours de la séance du 3 avril 1997 au Parlement libanais, adopté à l’unanimité la motion condamnant «le massacre organisé des Arméniens» et demandant au peuple libanais de s’associer au peuple arménien pour commémorer ses martyrs, le 24 avril.
Les Arméniens, peuple pacifique mais mûris par l’expérience, n’aspirent qu’à préserver leur droit à vivre dans la dignité et en bonne harmonie avec leurs voisins. L’exemple en est fourni par le cas du Haut-Karabagh, où leurs compatriotes, menacés dans leur existence même depuis le rattachement du territoire à l’Azerbaidjan par le régime stalinien, nourrissent les mêmes aspirations: ils veulent jouir de la liberté d’exprimer leur volonté de liberté et d’indépendance, conformément au droit reconnu par la loi internationale. Le principe de l’autodétermination, admis comme unique voie pacifique et démocratique d’expression de la volonté des peuples, est la seule arme dont ils prétendent user pour défendre leurs droits.
L’historien Yves Ternon, dans sa plaidoirie pour la solution pacifique de la cause arménienne, affirme: «Un infranchissable mur de silence sépare les deux peuples... Ce mur doit être abattu et laisser la place au débat historique». La grande majorité des Arméniens partage cet avis. Ce serait sans doute le meilleur moyen de rendre hommage à la mémoire de leurs martyrs et de réaliser cette coexistence pacifique que des siècles d’incompréhension et de défiance mutuelles ont rendue difficile.
Pour la 82e fois, le peuple arménien, partout où il se trouve, en mère-patrie ou dispersé aux quatre coins du monde, se rassemble pour commémorer dans l’émotion et la dignité l’anniversaire d’un «génocide exemplaire» qui a assombri l’aube du 20e siècle. Premier génocide à être connu dans toute son horreur grâce aux témoignages et aux recherches de diplomates, de...