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Actualités - OPINION

Tribune Les limites de l'informatisation

En 1967, Maurice Gemayel, à la fois savant et visionnaire, entamait une étude sur la relation de cause à effet entre les événements et les phénomènes politiques. Cette année-là, il me remit la copie du tirage d’un manuscrit dans lequel il exposait les bases de ladite tentative. A cette occasion, il me déclarait que la conception et la mise en application desdites mesures dépendaient, à l’avenir, d’un cerveau électronique qui est «l’ordinateur». Rêveur, il décrivait l’ordinateur et indiquait qu’à l’avenir, la lutte entre les nations serait axée sur la capacité de chaque pays à utiliser et à maîtriser l’ordinateur.
Depuis, l’ordinateur s’est répandu, et le dernier quart du 20e siècle a été marqué par son utilisation dans tous les domaines, aussi bien par les scientifiques pour conquérir la lune que par les agriculteurs pour recenser leurs troupeaux.
Cependant, on n’a pas utilisé l’ordinateur au Liban pour informatiser les deux dernières élections législatives qui se sont déroulées à cette même période. L’élaboration des listes électorales, leur mise à jour et les statistiques s’y référant ainsi que le calcul du résultat des élections ont été effectués selon des méthodes traditionnelles. Ces méthodes, outre leur coût supérieur à celui de l’informatisation, ont grandement contribué à jeter la suspicion sur le processus électoral. La non-utilisation de l’informatique aboutit donc à vicier l’ensemble du processus électoral et à en altérer les résultats.
Les listes électorales sont élaborées à partir du recensement de 1932, lequel est remis à jour selon des méthodes obsolètes, à l’initiative d’individus et non de l’Etat. Il en résulte que ces listes ont été gonflées suite à diverses irrégularités, comme la non-déclaration des décès et l’enregistrement de certaines électrices simultanément sur deux listes différentes, celle de leur famille d’origine et celle de la famille de leur conjoint, et ce, en violation de l’article 11 de la loi électorale. A ceci, il faut encore ajouter l’omission, volontaire ou pas, de certains noms sur les listes.
Les opinions divergent quant à la proportion des erreurs dans les listes; le vice-président du Conseil des ministres, M. Michel Murr, considère que ces erreurs atteignent 3% mais l’écrivain américain Rebekah Lynn affirmait en 1992 que les noms de centaines de milliers d’électeurs décédés figuraient toujours sur ces listes, et le professeur Elya Harik assurait que la marge d’erreur atteint 20%.
En comparant ces listes avec les statistiques disponibles, il ressort que la proportion du nombre d’électeurs par rapport au nombre d’habitants est illogique. En effet, selon le recensement de la population libanaise effectué durant les 5 premiers mois de 1996, le nombre d’habitants aurait atteint 2.979.708 personnes, alors que le nombre d’électeurs sur les listes de 1996 s’élève à 2.577.257 personnes. En se fondant sur ces chiffres, on en déduit que la proportion du nombre d’électeurs par rapport au nombre d’habitants est de 86% en 1996. Alors que le nombre de personnes n’ayant pas atteint l’âge requis pour devenir électeurs est de 1.177.526, soit 39% de l’ensemble de la population.
Le non-exercice du droit de rectification que les articles 21, 22 et 23 de la loi électorale confèrent aux intéressés n’a pas contribué à rectifier les lacunes de ces listes. Les électeurs et les politiciens concernés, y compris ceux qui en ont été lésés, se sont contentés de critiquer et de dénoncer la situation, et les quelques tentatives de corrections ont été négligées et ignorées par les autorités.
Répondant aux appels pour la rectification des listes électorales, les autorités ont réagi par un ensemble de mesures dont les principales ont été le vote de deux lois; la première prévoit une rémunération des moukhtars pour la rédaction des actes de décès et une amende en cas d’omission d’émettre lesdits actes pour les décès antérieurs à la loi, et la seconde loi stipule que les noms des électeurs qui sont nés depuis cent ans ou plus sont automatiquement rayés des listes électorales, à moins de présenter un certificat de vie.
Ces deux lois n’ont pas eu l’effet escompté, car les moukhtars ne se sont pas soumis à l’obligation d’enregistrer les décès antérieurs à la loi, et les autorités n’ont pas sanctionné leur défaillance.
A la veille des élections municipales, les autorités ont finalement décidé l’informatisation de la rédaction et de la mise à jour des listes électorales ainsi que la carte électorale prévue par l’article 49 de la loi électorale. L’adoption de ladite carte avait été successivement suspendue par plusieurs lois.
Les Libanais ont approuvé l’informatisation des listes et l’institution de la carte électorale, mais c’est avec suspicion qu’ils ont accueilli le projet d’une carte électorale magnétique qui impliquerait l’informatisation de l’expression du suffrage lui-même.
En effet, l’informatisation du vote lui-même, avec ou sans carte magnétisée, présente un danger car elle ouvre la voie à la manipulation technique du décompte des voix. A titre d’exemple, un ordinateur utilisé dans une région favorable au régime en place peut être programmé pour comptabiliser 1,1 vote pour chaque électeur tout en masquant les virgules sur l’écran, de telle manière que chaque dix votes donneront onze voix sans qu’on ne puisse détecter ce phénomène.Il est donc souhaitable que l’utilisation de l’informatique dans les élections se limite à l’élaboration des listes électorales, à leur révision et au calcul des statistiques qui se basent sur ses listes, sans que l’informatique n’intervienne dans l’expression même du suffrage ni dans son décompte qui devraient se faire selon la méthode traditionnelle pour permettre un certain contrôle, aussi limité soit-il.
S’il est vrai que dans certains pays développés, le vote est informatisé sans pour autant favoriser la fraude électorale, cela est dû au fait que le bon fonctionnement de la démocratie, et par conséquent la possibilité de contrôle qui en résulte, offre des garanties d’impartialité: ce qui n’est malheureusement pas le cas, à l’heure actuelle, au Liban.
En 1967, Maurice Gemayel, à la fois savant et visionnaire, entamait une étude sur la relation de cause à effet entre les événements et les phénomènes politiques. Cette année-là, il me remit la copie du tirage d’un manuscrit dans lequel il exposait les bases de ladite tentative. A cette occasion, il me déclarait que la conception et la mise en application desdites mesures...