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Actualités - CHRONOLOGIE

Conseil constitutionnel : la balle est dans le camp du législatif

La démission — «pour cause de pressions» — du président du Conseil constitutionnel, M. Wajdi Mallat, n’a pas seulement surpris les citoyens, elle a aussi provoqué un vif malaise chez les 9 autres membres du Conseil eux-mêmes. Désormais, ils apparaissent aux yeux de l’opinion publique comme des «personnes complaisantes», alors que l’avenir du Conseil constitutionnel, cette instance hautement démocratique, semble compromis.
Que s’est-il déroulé au juste pour pousser M. Mallat à prendre cette initiative spectaculaire et que va-t-il se passer maintenant? Ces deux questions sont sur toutes les lèvres. Mais s’il est encore difficile d’y répondre avec précision, M. Mallat n’ayant pas clairement exposé ses raisons, on sait d’ores et déjà que la balle est dans le camp du Parlement auquel la lettre de démission a été remise.
Des sources proches du Conseil constitutionnel affirment en effet qu’il n’est pas question pour ce Conseil de poursuivre ses travaux sans président. Car, affirment les sources précitées, l’article 4 de la loi 250 (sur le Conseil constitutionnel) est très clair. Il précise qu’en cas d’absence du président, c’est le vice-président qui occupe sa place. Mais en cas de vacance du poste de président, l’instance qui l’a choisi doit lui désigner un remplaçant dans un délai d’un mois. Or, M. Mallat fait partie des 5 membres du Conseil élus par le Parlement. Son remplaçant doit forcément être maronite, puisque M. Mallat appartient à cette confession et que le Conseil constitutionnel est formé suivant un équilibre très strict à la fois politique et confessionnel: 5 membres sont désignés par le gouvernement et les 5 autres sont élus par le Parlement. 5 membres sont musulmans (2 sunnites, 2 chiites et un druze) et les 5 autres sont chrétiens (2 maronites, 2 grecs-orthodoxes et un grec-catholique). Dès que le Parlement, au cours d’une séance plénière, aura choisi le remplaçant de M. Mallat, celui-ci devra prêter serment devant le chef de l’Etat et le Conseil pourra alors se réunir et élire un président. Toutes ces formalités peuvent être accomplies rapidement si le Parlement a vraiment l’intention de faciliter l’action du Conseil. Sinon, il laissera s’écouler le délai prévu par l’article 4 sans réagir, sous prétexte que l’heure n’est pas propice à la tenue d’une séance plénière et le Conseil constitutionnel sera suspendu de facto.
Mais des sources parlementaires informées affirment que le président de la Chambre ne veut absolument pas entraver l’action du Conseil. Bien au contraire. Mis au courant par M. Mallat de son intention de démissionner, M. Berry aurait tenté de convaincre ce dernier de renoncer à son projet. En vain. Il lui aurait alors demandé de reporter sa démarche jusqu’à hier lundi, le Parlement étant occupé par la question des municipales. Mais M. Mallat aurait promis de reporter sa démission de 24 heures seulement. Il aurait ainsi envoyé le texte officiel au président Berry, accompagné d’une lettre rédigée en français dans laquelle il lui explique les motifs de sa décision. Selon des sources parlementaires, M. Mallat se serait plaint dans cette lettre des interventions de certains pôles du pouvoir qui auraient tenté, par divers moyens de pression, de gagner à leur cause quelques membres du Conseil.

Conflits internes

Pourtant, des sources proches du Conseil précisent que les 9 membres restants n’ont pas été informés au préalable de la décision de M. Mallat, ce dernier s’étant contenté d’y faire de temps en temps allusion. Les mêmes sources soulignent aussi le fait que les 9 membres n’ont pas été vraiment soumis à des pressions politiques. «Le Conseil ayant été formé en 1994 alors que les trois piliers de la troïka vivaient une lune de miel sans nuage, ses membres ont pu accomplir leur mission sans trop de heurts. Mais lorsque la troïka a éclaté, les divergences entre certains membres du Conseil choisis sur base d’un savant équilibre politico-confessionnel se sont multipliées.» Les sources précitées reconnaissent ainsi l’existence de violents conflits entre les membres du Conseil constitutionnel au sujet des verdicts sur les 17 recours en invalidation des résultats des élections législatives. Elles ajoutent même que ces conflits ressemblaient aux carambolages des boules de billard un coup entraînant une série de chocs successifs...
Mais elles laissent aussi entendre que ces conflits auraient peut-être pu être surmontés. Selon elles, le Conseil constitutionnel a une double mission: étudier les recours présentés au sujet de la constitutionnalité des lois et ceux présentés pour l’invalidation des élections. Dans le premier cas, les textes sont clairs, il faut une majorité de 7 voix sur 10 pour que le recours soit accepté, car la loi peut revêtir un aspect confessionnel. Mais dans le second cas, en l’absence de texte précis, il faut appliquer les principes généraux: comme il s’agit d’un conflit personnel qui oppose deux candidats de la même confession — et parfois du même bord politique —, le vote doit se faire à la majorité absolue. En cas d’égalité des voix (5 contre 5), la voix du président fait pencher la balance. Cette règle est d’autant plus justifiée que l’article 31 de la loi sur le Conseil constitutionnel oblige ce dernier à opter clairement soit pour le rejet soit pour l’acceptation du recours en invalidation. De plus, les membres du Conseil s’étaient entendus entre eux sur la nécessité de publier, avec les verdicts, les avis contraires émis au cours des débats, car une telle publication n’est interdite que dans le cas de l’examen de la constitutionnalité d’une loi. Dans le cas des recours en invalidation, la publication des avis contraires serait une grande preuve de démocratie et pousserait chaque membre du Conseil à assumer la responsabilité de son vote.

Cartes truquées

Les sources proches du Conseil ajoutent que sur les 17 recours présentés (en réalité il y en a 19 mais trois portent sur le même siège, celui de M. Abraham Dédéyan), les membres du Conseil étaient d’accord sur la moitié des cas, l’autre moitié faisant l’objet de conflits.
Comme il avait été convenu de publier simultanément tous les verdicts, le Conseil se trouvait pratiquement dans une impasse. C’est sans doute pour sortir de cette impasse, estiment les sources proches du Conseil, que le président Mallat a présenté sa démission. En prenant cette initiative, il a probablement voulu pousser aussi bien les membres du Conseil que les autorités politiques à réagir. Mais ses ex-collègues du Conseil se sentent un peu déçus. Pour eux, une démission est, malgré tout, un constat d’échec, alors qu’ils ne sont pas convaincus que le Conseil a déjà atteint ce stade. Ils pensent qu’il aurait été préférable de trouver une formule acceptable sans jeter ainsi le discrédit sur l’ensemble du Conseil. D’autant que, selon eux, la démocratie ne peut s’acquérir d’un seul coup. C’est une longue lutte de tous les instants et si la justice britannique est aujourd’hui l’une des plus crédibles du monde, c’est bien parce que de nombreux juges ont, au fil des années, lutté, pris des risques et défié les autorités pour faire triompher le droit. Or, pour eux, une démission, aussi justifiée soit-elle, est avant tout une «action négative»... Et si le Parlement ne désigne pas un remplaçant à M. Mallat dans le délai prévu, l’action du Conseil sera paralysée. D’autant que le 4 juillet prochain les membres du Conseil devront choisir par tirage au sort les noms de 5 d’entre eux dont le mandat sera parvenu à expiration. Il faudra alors que les autorités compétentes les remplacent et le Conseil ne pourra reprendre sa mission avant longtemps... Dans ce cas, le président Mallat aura fourni aux autorités une occasion rêvée pour paralyser le Conseil.
Est-ce vraiment ce qu’il a voulu? En principe, il doit rencontrer le chef du Législatif au cours des prochains jours, mais il n’en affirme pas moins que sa démission est irrévocable. S’il est lui-même sorti avec panache, l’avenir du Conseil constitutionnel et l’espoir que sa création avait suscité chez les Libanais n’en sont pas moins menacés. Faut-il donc porter le deuil de la démocratie au Liban? Après le coup d’éclat de M. Mallat, le Parlement détient officiellement toutes les cartes, mêmes si certaines sont truquées.

S. H.
La démission — «pour cause de pressions» — du président du Conseil constitutionnel, M. Wajdi Mallat, n’a pas seulement surpris les citoyens, elle a aussi provoqué un vif malaise chez les 9 autres membres du Conseil eux-mêmes. Désormais, ils apparaissent aux yeux de l’opinion publique comme des «personnes complaisantes», alors que l’avenir du Conseil constitutionnel,...