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Actualités - OPINION

Pairs et maires

Les braves moukhtars et autres édiles locaux — authentiquement voués, le plus souvent, au service de leurs ouailles — nous passeront charitablement cette comparaison que commandent, irrésistiblement, les circonstances: après une longue série de crises et de laborieux raccommodements au sein de la troïka, c’est à propos des élections municipales très précisément, et donc très à propos, que les sous-préfets qui nous gouvernent sont, cette fois, à couteaux tirés.
Le temps n’est plus où le retour de la paix civile et la claironnante réédification des institutions, comme de l’infrastructure, pouvaient encore faire illusion. Les institutions on les a dévoyées à qui mieux-mieux, à peine surgies des décombres de la guerre, alors que les milices de triste mémoire se voyaient peu à peu remplacer par d’autres mafias, cartels et monopoles encore plus odieux, car n’ayant plus désormais l’excuse de l’anarchie. Jour après jour et au fil des échéances, on s’est ingénié à casser le joujou constitutionnel tout neuf, tantôt en s’abritant derrière de fumeuses «considérations régionales» pour justifier l’injustifiable, et tantôt en défendant plus prosaïquement des intérêts mesquins, dans le cadre de dérisoires luttes d’influence: tout cela dans un pays dont même les enfants savent très bien où réside en réalité le pouvoir de décision.
Ensemble ou chacun pour soi, les dirigeants ont œuvré au discrédit d’un Etat déjà affligé de graves tares de naissance et qui, près d’une décennie après son émergence, est loin d’avoir fait le plein de légitimité populaire. Auraient-ils voulu démontrer que ce pays n’est simplement pas gouvernable, qu’il ne mérite même pas de l’être et que la Providence, dans Sa sagesse infinie, lui a fait la grâce de le doter d’un tuteur, qu’ils n’auraient pu s’y prendre autrement.
Particulièrement significatif est le dernier épisode en date de cette interminable pantalonnade constitutionnelle. L’illusion, si tant est qu’elle puisse encore tromper, la voici: s’avisant, bien qu’un peu tard, que le projet de loi portant amendement du scrutin municipal, dûment préparé pourtant par son propre gouvernement, comporte néanmoins des lacunes; qu’il n’a guère suscité l’enthousiasme de la vénérable Assemblée; et que ce n’est vraiment pas le moment de porter la discorde électorale dans les villes et villages du Liban (mais quid alors des honteuses législatives de l’an dernier?), le premier ministre Rafic Hariri retire de la circulation ledit projet. Mais parce que cinq années après son avènement il fait encore ses classes politiques et qu’il ne s’est pas familiarisé avec le règlement, il oublie d’en informer le Conseil des ministres ou même le président de la République.
Illusion encore, que la réaction fulminante de ce grand démocrate de président, ardent défenseur des aspirations populaires comme on sait et vigilant gardien d’une Constitution dont il n’avait consenti au viol que la mort dans l’âme, quand il ne s’était agi que de proroger de trois années son mandat: pour réclamer à cor et à cri que soit respectée la volonté de la nation, c’est un rôle en or que s’adjuge le chef de l’Etat. La réalité, elle, est plus terre-à-terre: bien qu’incontournables en principe (mais qui pourrait encore en jurer), ces élections municipales ne sont souhaitées, au fond, par aucune des composantes du pouvoir libanais; plus fidèlement en effet que son équivalent législatif — parce que moins facile à contrôler, manipuler et trafiquer que ce dernier — et par-delà les classiques phénomènes de rivalité clanique, un tel scrutin laisserait apparaître une image du Liban profond sensiblement différente de celle offerte par l’actuel fait accompli politique. L’opposition, toute l’opposition, ne s’y est pas trompée qui, rompant avec la pratique du boycottage, s’est investie à fond dans la consultation projetée.
Cela dit, et pour normale que soit sa très vive irritation de l’entorse qui vient d’être faite à la règle de trois instituée par la troïka, par cette véritable collusion entre les présidents du Conseil et de l’Assemblée qui l’a laissé sur la touche, il faut bien admettre que M. Hraoui serait le moins directement affecté par un verdict éventuellement négatif des urnes: malgré sa volonté proclamée de récupérer certaines des prérogatives présidentielles abolies par les textes ou par la pratique, le pensionnaire de Baabda ne convoite pas trop sérieusement, sans doute, le leadership effectif de la communauté dont il est le premier représentant officiel; tel n’est pas le cas de ses deux partenaires.
Ainsi, le président Berry aurait tout à redouter de la mobilisation électorale décrétée très tôt par ses rivaux du Hezbollah, et dont les résultats pourraient substantiellement écorner l’audience dont il se prévaut. Jouissant d’une nette prééminence libanaise aux yeux des gouvernements étrangers, se posant volontiers en premier détenteur d’un pouvoir exécutif confié pourtant, par la loi fondamentale, au Conseil des ministres dans son ensemble, M. Hariri, c’était déjà évident lors des élections de 1996, ambitionne de devenir le leader incontesté — et pourquoi pas, comme son ami Jacques Chirac, «le Maire» — de ce Beyrouth où il a fait transférer son état civil: perspective dont les implications viendraient modifier profondément la configuration socio-politique de la Capitale, surtout si elle devait s’accompagner d’une réduction substantielle des pouvoirs du mohafez comme il en est fortement question.
Quoi qu’il en soit, les fiévreuses navettes qui se sont multipliées durant le week-end entre Beyrouth, Anjar et Damas viennent de porter leurs premiers fruits: MM. Hraoui et Hariri se sont rencontrés hier, et une commission ministérielle proposera des amendements au projet de loi électorale escamoté la semaine dernière. Qu’il s’agisse là d’un enterrement de première classe, ou que l’on débouche au contraire sur un compromis vraisemblablement boiteux, ne changera pas grand-chose, cependant, à l’essentiel. De cette pitoyable affaire n’émergent une fois de plus en effet que des vaincus, sommés de s’entendre sur le délicat partage du gâteau étatique: vénéneuse pièce montée, dont la chétive cerise politique a bien du mal à couvrir le puissant parfum de scandale.

Issa GORAIEB
Les braves moukhtars et autres édiles locaux — authentiquement voués, le plus souvent, au service de leurs ouailles — nous passeront charitablement cette comparaison que commandent, irrésistiblement, les circonstances: après une longue série de crises et de laborieux raccommodements au sein de la troïka, c’est à propos des élections municipales très précisément, et...