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Actualités - OPINION

Tribune Déclin de la loi et insécurité législative

Notre pays est dans une situation bien étrange, témoin d’un paradoxe peu souligné: d’un côté, le précédent Parlement, par le travail intensif des députés, qui n’a pas de précédent, a étudié et voté plusieurs centaines de lois, publiées dans le Journal Officiel. D’un autre côté, malgré cette floraison massive de législations, s’est déployé un vide presque total dans le contrôle d’application de ces lois, parfois vite remaniées avant d’être appliquées.
La multiplicité des lois votées, non ou mal appliquées, souvent remaniées, produit chez le citoyen un effet de brouillage amplifié par les incohérences de cette mouvance législative qui décourage toute analyse critique. On peut se demander si nous n’assistons pas à un déclin de la loi et de la fonction qu’elle remplit dans la vie et le progrès d’une nation. On oblige le citoyen à pratiquer la double pensée en s’efforçant de croire tout et le contraire de tout. Une scission s’opère entre la loi votée et l’expérience du quotidien vécu qui souvent la contredit. Comment s’y retrouver?
Le but d’une loi votée est de changer le vécu. Son blocage conduit à nier ce vécu et le tout mène les citoyens à une forme de «Schizophrénie» collective vis-à-vis de la loi. C’est ce qu’on appelle «l’insécurité législative». Le Libanais finit par ressembler à un homme qu’on jette à l’eau en lui liant les mains et à qui on dit qu’il ne sait pas nager. En voici quelques exemples:
— En 1992, et pendant deux ans, le ministère de la Santé et les deux Ordres des médecins ont étudié le Code de Déontologie. Après des dizaines de réunions des commissions parlementaires, la loi fut votée à l’unanimité le 12 février 1994, promulguée par le président de la République le 22 février et publiée dans le Journal officiel le 3 mars. Les décrets, arrêtés et circulaires d’application furent vite promulgués par le ministre de la Santé. Cette loi est-elle appliquée depuis? Notamment les articles nouveaux et essentiels? Les instances concernées veillent-elles à leur application? On cherche maintenant à remanier certains articles de cette loi avant même d’en récolter les premiers bienfaits! Une loi n’est jamais idéale, mais la remanier avant d’apprécier par son application, ses insuffisances, conduit à retarder de plusieurs années son application.
— Le décret-loi No 78 du 9/9/83, instituant l’obligation des examens médicaux pré-nuptiaux, fut remanié en 1994 par la loi No334 votée par le Parlement, promulguée le 8 mai 1994 et publiée dans le Journal officiel du 29 mai 94, suivie de ses décrets d’application. Cette loi est supposée être appliquée mais qui se soucie des dérives possibles de son application? Comment sont distribués les formulaires numérotés? Où sont pratiqués les examens de laboratoire? Les résultats, de lecture parfois laborieuse, sont-ils bien appréciés? Le secret médical est-il protégé? Qui centralise et évalue les résultats à l’échelle nationale? Quel profit épidémiologique ou de prévention a-t-on récolté après les 40.000 mariages conclus depuis et les 80.000 examens pratiqués? Motus et bouche cousue!
— Dans le but d’améliorer l’efficacité des hôpitaux publics, le ministère de la Santé avec l’aide du Conseil d’Etat fit voter par le parlement, le 24 août 1996, la loi No 544 portant création de 7 conseils d’administration semi-autonomes afin de gérer ses hôpitaux: un conseil pour chaque hôpital à destination universitaire (+120 lits) et un conseil unique pour les hôpitaux de chaque Mohafazat. Or, trois mois environ après la promulgation de cette loi, le nouveau Parlement vote d’urgence, sans passer par les commissions parlementaires, une seconde loi No 602 (février 97) permettant de créer un conseil d’administration pour chaque hôpital quelle que soit sa capacité, ce qui mène dans un proche avenir, à la création de 30 conseils avec un total de 200 à 250 membres, véritable armée de gestionnaires difficile à gérer et à nourrir.
Les conséquences de ces paradoxes est que l’exercice de la loi décline au profit de son blocage. On vote, on bloque, on remanie pour ne pas appliquer!
Une des fonctions civiques essentielles tant du législatif que de l’exécutif n’est-elle pas de montrer que les valeurs démocratiques ne sont rien si les moyens pour les défendre ne sont pas au service de la loi, c’est-à-dire respectueux de celui qui l’émet et de celui qui la reçoit? Sinon c’est le règne de l’insécurité législative qui mène droit à l’insécurité juridique et civile. C’est ce que nous sommes en train de subir, non seulement dans le domaine de la santé mais aussi dans d’autres domaines.
Notre pays est dans une situation bien étrange, témoin d’un paradoxe peu souligné: d’un côté, le précédent Parlement, par le travail intensif des députés, qui n’a pas de précédent, a étudié et voté plusieurs centaines de lois, publiées dans le Journal Officiel. D’un autre côté, malgré cette floraison massive de législations, s’est déployé un vide presque...