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Actualités - ANALYSE

Economie : le Liban face aux contraintes de la globalisation

Il y a dans l’introduction du budget de 1997 des aberrations monstrueuses qu’il serait indécent de ne pas commenter. Des idées controversées, que les auteurs du document ont la prétention d’ériger en vérité absolue et indiscutable. D’aucuns diront que certains députés ont patiemment disséqué, de longues journées durant, les 97 pages dactylographiées brandies fièrement dans l’hémicycle par le ministre d’Etat chargé des Finances, M. Fouad Siniora. Mais on ne le fera jamais assez, car l’introduction du budget de cette année a rarement été le reflet aussi fidèle d’une «mentalité économique» qui régit le pays depuis presque cinq ans et qui ne cache pas son ambition de le conduire à l’orée du XXIe siècle.
«L’intégration à l’économie mondiale» est le titre grandiloquent du premier chapitre de ce document. «Le Liban ne peut plus rester, maintenant, à l’écart de la participation au processus de complémentarité et d’intégration de l’économie mondiale. Aussi, doit-il s’intégrer à la communauté économique internationale et s’adapter aux nouvelles réalités économiques», écrit sentencieusement l’auteur. «Les sociétés et les entreprises libanaises (...) vont incontestablement faire face à une très forte concurrence internationale. Toutefois, cela ne doit pas nous amener à céder aux pressions de ceux qui prônent l’adoption (d’une politique) protectionniste et la hausse des tarifications douanières, la concurrence étant le prix que le Liban doit payer pour cueillir les fruits de son intégration à l’économie mondiale», peut-on lire un peu plus loin.
Ces quelques lignes sont suffisantes pour comprendre la nature, les motivations et les conséquences des choix arrêtés par les véritables décideurs en matière de politique économique. Ces orientations ne sont pas celles du «gouvernement libanais», car la plupart des ministres ne sont probablement pas conscients des décisions qu’ils sont invités à entériner, sans même avoir pris la peine de lire les textes qu’on leur soumet, ou, s’il les ont lus, sans avoir fait l’effort nécessaire pour en comprendre la signification. Ces choix sont l’œuvre d’une poignée de «conseillers» et d’«experts» libanais et étrangers, adeptes inconditionnels de l’ultra-libéralisme économique qui provoque tant de déchirures sociales, d’inégalités et de déceptions dans les pays occidentaux, pourtant bien mieux dotés que le Liban pour en supporter les méfaits.

Ouverture des marchés

L’ultra-libéralisme s’est trouvé un nom: la mondialisation ou la globalisation de l’économie. Il a un but: la perméabilité totale des marchés nationaux aux marchés internationaux et aux capitaux extérieurs. Evidemment, l’afflux des capitaux est souhaitable, mais pas à n’importe quel prix et surtout pas s’il doit aboutir à l’explosion des inégalités sociales. Or les mesures incitatives mises en œuvre pour encourager les investissements étrangers ont des conséquences dévastatrices. La «potion magique» de la mondialisation implique aussi la suppression des subventions et des contrôles des prix, la réduction des dépenses budgétaires, notamment les sommes allouées à la protection sociale, à la santé et à l’éducation, la diminution du nombre de fonctionnaires, la baisse des impôts sur les sociétés financières et la privatisation du secteur public jugé improductif...
Il faut donc procéder à un ajustement structurel en profondeur, au terme duquel l’Etat perd toutes ses fonctions, sauf celle de force de police chargée de protéger le capital.
C’est ce processus qui est en train de se produire au Liban depuis 1992. Les prescriptions dictées par la volonté de s’intégrer à n’importe quel prix à «l’économie mondiale» sont appliquées à la lettre. Pour encourager l’afflux des capitaux, les prélèvements fiscaux sur les entreprises et les sociétés financières ont baissé. Cependant, les taux d’intérêt élevés freinent considérablement les investissements productifs du secteur privé, les bons du Trésor ayant absorbé une énorme masse de liquidité. De ce fait et assez paradoxalement, le gouvernement dissuade les investissements privés alors même qu’il voudrait faire le contraire. Par ailleurs, les subventions sont supprimées les unes après les autres, les salaires sont soit gelés soit augmentés dans des proportions insuffisantes (8% en 1996). Le gouvernement s’efforce, vainement, de réduire le déficit budgétaire (54% en 1996) en essayant d’accroître les recettes à travers une hausse des taxes et des impôts indirects, c’est-à-dire en augmentant les charges qui pèsent sur les classes aux revenus limités. Et pour se conformer aux impératifs de la compétitivité et de la concurrence inhérentes à la mondialisation, le gouvernement ne veut «pas céder aux pressions de ceux qui prônent un politique protectionniste et une augmentation des taxes douanières» comme le dit clairement l’introduction du budget. Et de fait, les taxes sur le prêt-à-porter ont été réduites de 10% (le décret a entre-temps été gelé en raison du tollé qu’il a provoqué) en dépit des dommages qu’une telle décision peut avoir sur l’industrie nationale du textile.

Détruire les syndicats

Pour bien montrer que ses orientations économiques sont stratégiques et non pas ponctuelles, l’Exécutif fait preuve d’une fermeté sans égale à l’égard des syndicats. Au Liban, il n’est pas interdit, comme ou pourrait le croire, de manifester. Tout dépend pourquoi on veut le faire. Ainsi, les manifestations à caractère politique sont autorisées comme l’ont prouvé les rassemblements de l’opposition dite de l’extérieur lors des élections législatives ou, plus récemment encore, le meeting organisé par le ministre Elie Hobeika. Mais lorsquel la CGTL, qui s’oppose aux choix économiques du gouvernement, veut protester, on décrète un couvre-feu et on fait charger la police antiémeute. Cette répression s’accompagne d’efforts tous azimuts visant à démembrer la centrale syndicale, soit en créant des syndicats fictifs, soit en encourageant les scissions, comme celle qui est conduite par M. Antoine Béchara. La semaine dernière, la CGSS de M. Béchara a élu son premier conseil exécutif... en présence d’un délégué du ministère du Travail, lequel refuse d’un autre côté d’envoyer un représentant à l’élection par la CGTL de ses délégués à la Caisse nationale de la sécurité sociale.
Pour compléter ce tableau, on en vient à parler de la privatisation du secteur public, un objectif si cher au président Rafic Hariri. Si cela ne tenait qu’à lui, il y a bien longtemps que les entreprises de l’Etat auraient été vendues au privé. Mais la résistance à ce projet est encore trop forte pour qu’il puisse être réalisé en un tour de main. Cependant, le premier ministre ne désarme pas et il a habilement adopté dans ce domaine une double stratégie: d’abord, procéder à des «privatisations partielles», notamment dans les secteurs des téléphones, de la poste, de l’électricité... et ensuite jeter le discrédit sur l’administration publique. A l’usure, ce stratagème finira peut-être par réussir! Pour revenir à cette fameuse introduction du budget, on peut y lire des phrases d’une franchise surprenante sur «l’incompétence» du secteur public et sur «l’administration pléthorique»... Mais on a beau chercher, on ne trouvera pas une seule proposition sérieuse pour moderniser et améliorer le rendement et l’efficacité de ce secteur.

Réduire les inégalités

L’Etat est une entité qui ne recherche pas le profit contrairement au secteur privé. Dans une société qui traverse une grave crise économique et sociale, il est donc préférable de maintenir les secteurs vitaux et d’utilité collective dans le domaine public, plutôt que de les confier au privé dont le but premier est de réaliser des gains. C’est lorsque les inégalités auront été relativement réduites et que la classe moyenne aura retrouvé un poids lui permettant de jouer un rôle stabilisateur dans la société que la privatisation pourra être envisagée.
Refuser le modèle de globalisation tel que les Etats-Unis veulent l’imposer même à leur plus proches «alliés», ne signifie pas être partisan d’une économie dirigée. Des pays comme la France, l’Allemagne et l’Italie sont très réticents à l’égard de certaines contraintes de la mondialisation: des conditions astreignantes impliquant des sacrifices inutiles et l’abandon d’acquis sociaux que les populations ont arraché au prix d’une longue lutte. Les chiffres sont d’ailleurs assez éloquents: en 20 ans, le chômage en France est passé de 3% par an et les revenus du travail (salariés) de 0,9%. Aux Etats-Unis, l’écart entre le salaire d’un ouvrier et celui de son employeur qui était il y a 20 ans de 1 à 7 est aujourd’hui de 1 à 40...
La mondialisation de l’économie dans son modèle actuel a donc provoqué une explosion des inégalités sociales, pas seulement dans les pays en voie de développement, mais aussi dans les nations les plus développées. Et c’est dans cet enfer que M. Siniora se propose d’emmener un Liban sans ressources. Non merci, nous préférons rester là où nous sommes.
Paul KHALIFEH
Il y a dans l’introduction du budget de 1997 des aberrations monstrueuses qu’il serait indécent de ne pas commenter. Des idées controversées, que les auteurs du document ont la prétention d’ériger en vérité absolue et indiscutable. D’aucuns diront que certains députés ont patiemment disséqué, de longues journées durant, les 97 pages dactylographiées brandies...