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Actualités - REPORTAGE

La cour de justice a entamé hier l'audition des témoins de la défense dans l'affaire Murr Roger Dib insiste sur le ralliement des FL au projet de l'état (photos)

Le vendredi 31 janvier, c’était l’ancien vice-président des «Forces libanaises» dissoutes, M. Karim Pakradouni — pourtant convoqué à titre de témoin à charge — qui a pris la défense de M. Samir Geagea, accusé d’être l’instigateur de la double tentative d’attentat contre M. Michel Murr, en mars 1991. Il avait notamment estimé devant la Cour de justice que le chef des FL n’avait aucune raison «politique ou personnelle» de liquider M. Murr qui détenait à l’époque le portefeuille de la Défense. Hier, c’est l’ancien ministre Roger Dib (représentant des FL au sein du Cabinet Karamé) qui a pris le relais, développant la même argumentation, et étayant ses propos d’exemples puisés dans son expérience au sein du Cabinet Karamé aux côtés de M. Murr.
A l’instar de M. Pakradouni, l’ancien ministre a fait valoir que les rapports entre le chef des FL et le ministre de la Défense étaient à l’époque normales et que si M. Murr avait quitté les régions Est après l’«intifada» du 15 janvier 1996, c’était essentiellement en raison de son conflit avec le président Amine Gemayel. Il n’en demeure pas moins que M. Dib a révélé que le ministre de la Défense avait laissé entendre devant lui trois mois après l’attentat que «des jeunes gens qui seraient proches des FL ont été arrêtés dans le cadre de l’enquête». Il n’a toutefois pas cité de noms. M. Murr qui fait partie des témoins que la défense compte convoquer pourrait faire la lumière sur ce point qui peut être crucial dans le cadre du procès en cours.
Il était évident hier que la stratégie de la défense était basée sur trois axes: montrer toujours que les FL n’avaient aucun intérêt à se débarrasser de M. Michel Murr, prouver que la formation dissoute était ralliée en 1991 au projet du pouvoir issu de Taëf pour la réédification de l’Etat et montrer que l’attentat du 21 mars visait peut-être le chef des Kataëb, M. Georges Saadé. C’est M. Roger Dib, ancien secrétaire général des FL, qui devait fournir des précisions dans ces domaines. Six témoins auraient dû comparaître hier devant la Cour de justice que préside M. Philippe Khairallah, mais quatre seulement se sont présentés à l’audience consacrée à l’audition des témoins de la défense et trois seulement ont été entendus. Il est en effet apparu que le Charbel Akiki qui s’est présenté dans l’après-midi n’est pas celui que la défense souhaitait interroger. MM. Joseph Louis Abou Charaf et Elias Michel Murr n’ont pas comparu, le premier parce qu’il n’a pas été possible de connaître son adresse et le deuxième parce qu’il se trouve en voyage. A la demande des avocats de la défense, la Cour a décidé de les convoquer de nouveau.
A l’ouverture de l’audience à 14h30, Me Issam Karam rappelle au président Khairallah que la défense n’a toujours pas reçu les copies des photos des deux voitures piégées qu’elle avait réclamées. Les deux photos figurent dans le rapport de la brigade judiciaire du 2 avril 1991. Il insiste ensuite sur la convocation de quatre témoins: l’ancien ministre Albert Mansour et essentiellement, dit-il, Hamid Saadé, un garde du corps de Tony Obeid, chef de la section d’intervention et de protection des FL, Milad Hélou et Jacques Menassa.
Par la suite, c’est M. Dib qui est appelé à la barre des témoins. D’un discret signe de la main, il salue le chef des FL complètement dissimulé aux regards derrière les soldats de la «Moukafaha». Sa déposition servira essentiellement à expliquer les relations que les FL entretenaient avec l’Etat après l’éviction du général Michel Aoun du pouvoir.

«Des parties lésées»

A la demande du président Khairallah, M. Dib commence à rappeler qu’il s’était rendu le 21 mars 1991 en compagnie de M. Georges Saadé à Ramlet el-Beïda pour participer à une réunion du Conseil des ministres. C’était la première réunion à laquelle il assistait après sa nomination comme ministre d’Etat et c’était M. Geagea qui lui avait demandé de s’y rendre en compagnie du chef des Kataëb. Les deux responsables étaient arrivés au siège provisoire de la présidence de la République dix minutes avant l’explosion de la voiture piégée. «Comme première réaction, nous avions pensé que l’attentat nous visait. Le décret de ma nomination en tant que ministre d’Etat à la place de M. Geagea venait d’être promulgué. C’était le fruit d’une dizaine de jours de contacts puis le chef de l’Etat a appris que M. Murr a été blessé», relève-t-il avant de souligner que M. Saadé avait le sentiment qu’il était menacé. «Il avait notamment peur du (général Michel) Aoun à l’époque où il était en conflit avec lui».
M. Dib note que les soupçons étaient dirigés contre de vagues «parties auxquelles la participation des Kataëb et des FL au pouvoir portait préjudice». Trois mois après la tentative d’attentat, M. Murr, explique-t-il, «laisse entendre que des jeunes gens qui seraient proches des FL ont été arrêtés et pourraient être impliqués dans cette affaire». Le ministre lui avait assuré que l’enquête se poursuivait et qu’il n’avait pas l’intention de se porter partie civile. En dépit des multiples questions du représentant du Parquet, M. Amine Bou Nassar, et des avocats de la défense, M. Dib ne pourra pas donner davantage d’indications concernant ce détail, insistant particulièrement sur le fait que les explications de M. Murr n’étaient pas précises. En réponse à une question de Me Edmond Naïm qui s’était auparavant concerté avec M. Geagea, il affirme ne pas se rappeler si M. Murr avait cité les noms de «Mohamed Ibrahim, Barsoumian et Tanios Akiki, parmi les personnes interpellées».

«Une étroite
coordination avec Murr»

L’ancien secrétaire général des FL met ensuite l’accent sur «l’étroite coordination» qui s’était établie entre les FL, à travers sa présence au gouvernement, et le ministre de la Défense qui présidait à l’époque la commission ministérielle chargée de la réinsertion des miliciens. M. Dib faisait partie de cette commission aux côtés notamment de MM. Nabih Berry et Walid Joumblatt. «Nous (les FL) savions parfaitement, précise-t-il, que le projet d’édification de l’Etat commençait à partir de ce point précis, à savoir la dissolution et le désarmement de toutes les milices. Notre coordination avec le ministre Murr était sérieuse et a permis d’aplanir de nombreux obstacles. Les FL se sentaient toutefois sous-représentées au sein du Cabinet Karamé mais elles avaient quand même participé au gouvernement parce qu’elles avaient décidé de maintenir leur ralliemenet au compromis né de la conclusion de l’accord de Taëf. La participation au gouvernement était un pas parmi plusieurs autres». Il indique aussi que les FL «soucieuses de participer activement au développement de l’Etat dans tous les domaines avaient présenté au chef de l’Etat une quinzaine de projets susceptibles de constituer une base pour un développement économique et social».
M. Dib affirme aussi que les FL «avaient d’autres canaux à travers lesquels elles prenaient contact avec le ministre de la Défense». De surcroît, lorsque des éléments FL étaient arrêtés, M. Geagea avait recours «directement» au ministre, ajoute-t-il. Il rejette l’idée selon laquelle la formation dissoute cherchait, à travers la liquidation du ministre de la Défense, d’entraver le projet de dissolution des milices ou de favoriser l’accès de son chef à la tête de ce ministère. «Il n’était pas question après ce qui s’était passé entre l’armée et les FL que M. Geagea soit nommé à Yarzé».
M. Dib note par ailleurs que l’assassinat de M. Murr «n’aurait pas renforcé la position des FL et n’aurait pas entraîné un changement du gouvernement». Il indique aussi que si les FL ne s’étaient pas ralliées au projet de réédification de l’Etat sur base de l’accord de Taëf, elles «n’auraient pas contribué à la concrétisation du projet d’amendements constitutionnels et l’armée n’aurait pas pu se déployer pacifiquement au Kesrouan et à Jbeil». M. Geagea l’interroge longuement sur ce point. Le témoin souligne que les FL s’étaient retirées de Beyrouth à l’époque «pour préparer leur adhésion au gouvernement et pour éviter une confrontation avec l’armée». Il estime aussi qu’il n’était pas question pour les FL d’entraver par la suite le déploiement des forces régulières dans le Kesrouan et à Jbeil.

«Pas de mainmise
FL sur les biens
de Murr»

M. Dib ne donne pas de précisions sur l’intifada du 15 janvier 1986 qui avait permis à M. Geagea de remplacer M. Elie Hobeika à la tête des FL, soulignant seulement qu’il avait «appris que c’est parce que M. Elias Murr se trouvait au conseil de guerre FL» que Geagea n’avait pas pris d’assaut ce bâtiment. Il rejette la thèse selon laquelle les «Forces libanaises» avaient saisi les biens, meubles et immeubles, du ministre, précisant que la formation avait occupé quelques chalets du complexe balnéaire «Halate-sur-Mer» appartenant au groupe Murr pour y loger ses officiers. Le complexe était toutefois géré par des proches de M. Murr, renchérit-il avant d’ajouter qu’il avait entendu dire en 1986 que c’était en raison de son conflit avec le président Gemayel que M. Murr avait quitté les régions Est. En ce qui concerne un éventuel conflit Murr-Geagea, il estime que le chef des FL «aurait sûrement préféré que le ministre de la Défense soit proche de lui plutôt que d’Elie Hobeika».

«Faux» témoin

Si M. Dib est interrogé pendant près de deux heures par la cour, le représentant du Parquet, la défense et la partie civile, les trois autres témoins ne feront que de brèves apparitions dans l’immense salle de tribunal. Zeyné Karaa dont le témoignage aurait pu apporter quelques précisions sur l’accusé Manuel Younès, n’ajoutera rien de nouveau au procès. Visiblement impressionnée, Zeyné ne sait pas où poser son regard. Elle affirme qu’elle a travaillé pendant cinq mois en 1991, de mars à juillet, en tant que standardiste au bâtiment de sécurité des FL à la Quarantaine.
Son supérieur hiérarchique était Manuel Younès «que tout le monde appelait Manuel», précise-t-elle en réponse à une question du juge Khairallah sur un éventuel surnom de l’accusé. Elle affirme ne rien savoir de la tentative d’attentat d’Antélias à part ce qu’elle avait entendu à la radio à l’époque. Ce jour-là, ajoute-t-elle, Manuel était directement «monté» chez elle après l’explosion pour «savoir» ce qui s’était passé. Elle précise qu’il avait l’habitude de passer régulièrement à son bureau le matin entre 8 et 10h. Zeyné affirme aussi connaître Tony Obeid et Jean Chahine (Assad) de nom seulement. En revanche, elle dit qu’elle n’a entendu parler de Rushdie Raad (alias lieutenant Fawzi) que dans le cadre des procès contre M. Geagea.
Le troisième témoin, Charbel Akiki, un maçon originaire de Kfarzebian, entre dans la salle en jetant un regard curieux autour de lui. Il se prête volontiers aux questions traditionnelles du président Khairallah avant d’affirmer à la surprise générale qu’il n’a rien à voir avec les FL. Pendant un instant, le président Khairallah a l’air désemparé. La main sur la joue, il interroge du regard les avocats de la défense. Me Issam Karam se lève aussitôt et lance, à l’amusement général: «Mais ce n’est pas un motard, c’est un chauffeur de tracteur» en allusion à l’imposante carrure du témoin. Le Charbel Akiki que les avocats souhaitaient interroger est supposé détenir des informations au sujet des voitures piégées des FL et se déplaçait continuellement à bord d’une moto. Me Karam multiplie les plaisanteries. Finalement, c’est Manuel Younès qui intervient pour fournir quelques précisions sur la personne concernée. Le «bon» témoin doit être convoqué pour la semaine prochaine.
Tanios Haddad, un ancien élément de la «Moukafaha», nie tout ce qui lui est attribué dans un procès-verbal militaire, soulignant que c’est sous la torture qu’il avait reconnu en 1996 avoir participé à la tentative d’attentat et révélé les noms de prétendus complices, comme Joseph Geagea ou «Dalloul». Il affirme qu’il ne sait rien de la tentative d’attentat, précisant que le 21 mars 1991, il se trouvait en compagnie du brigadier Amer Chéhab à Yarzé, lorsqu’il a appris qu’une voiture piégée avait explosé à Antélias au passage du convoi de M. Michel Murr. Et s’il a été arrêté par la suite, explique-t-il, c’est parce que ses supérieurs avaient appris le même jour qu’il avait l’intention d’acquérir une voiture sans papiers, ce qui a fait peser des soupçons sur lui. Il nie aussi les indications qu’il avait fournies dans sa déposition, selon lesquelles c’est le lieutenant-colonel Salloum et le commandant Njeim qui avaient mené l’enquête avec lui. De toute façon, la défense considère que le procès-verbal dans lequel il avoue son implication dans la double tentative d’attentat est nul et non avenu dans la mesure où le document n’est pas daté et ne porte pas la signature d’un greffier.
Il est 16h40, lorsque le président Khairallah lève l’audience. Auparavant Me Edmond Rizk insiste pour que MM. Joseph Abou Charaf et Elias Murr soient convoqués de nouveau. La prochaine audience a été fixée au mercredi 19 février.

Tilda ABOU RIZK
Le vendredi 31 janvier, c’était l’ancien vice-président des «Forces libanaises» dissoutes, M. Karim Pakradouni — pourtant convoqué à titre de témoin à charge — qui a pris la défense de M. Samir Geagea, accusé d’être l’instigateur de la double tentative d’attentat contre M. Michel Murr, en mars 1991. Il avait notamment estimé devant la Cour de justice que le...