Carnet de route Les métèques et le chaos

Ce n’est pas la nouvelle du jour, mais c’est une mauvaise nouvelle: le Front national de Jean-Marie Le Pen a décroché dimanche dernier sa quatrième mairie. Tout individu affligé d’un «type méditerranéen», litote qui désigne en fait tous les Arabes vivant ou passant en France, y compris les Libanais, qu’ils soient français «d’acquisition» (1) ou pas, devrait s’alarmer de cette progression du fascisme ordinaire. Car c’est un fascisme raciste, antisémite et xénophobe. Non, il n’est pas encore au pouvoir et avec les législatives du printemps 1998, le rapport des forces sera plus net. Mais à l’avantage de qui? Prise d’une contrition qui s’exprime aussi bien, depuis lundi, dans la droite classique qu’au Parti socialiste, quel pourcentage la France des partis laissera-t-elle se tailler à Jean-Marie Le Pen? Comparaison n’est pas raison, mais la tentation d’évoquer, au sujet de la progression de l’extrême-droite française, l’Europe des années trente se fait jour, et les difficultés de l’économie française ne sont pas, à cet égard, rassurantes. Lionel Jospin et Alain Juppé se mettront-ils enfin, après leur défaite, à travailler le fond des choses et à se libérer, l’un des «courants» du P.S., l’autre de son anorexie face au nécessaire combat qu’exige une plongée dans l’arène? Nous ne disons pas encore «pauvre France»; il reste heureusement du temps pour sauver la république, mais pas assez pour répéter les erreurs et laisser le champ libre à ceux pour qui les fours crématoires sont «un détail» et l’islam une malédiction. Je ne suis même pas française «d’acquisition». Tout juste une harki culturelle. Mais ça me ferait mal de voir des Dupont-la-Joie finir par peser vraiment sur l’échiquier politique d’un hexagone ensommeillé. C’est ma part de francophilie...
*
* *
Feuilleton libanais à la télévision. Affligeant et comique à la fois. La vulgarité s’y déploie comme chez elle, et le sabir libanais aussi. Par exemple: «Chou raha naamol aachiié?» (en arabe). «Surprise, chéri, surprise» (en français). C’est un paradoxe, étant donné la baisse sensible du niveau du français à l’université, que le snobisme d’une certaine classe moyenne consiste à intercaler, par ci par là, un vocabulaire occidental par lequel elle croit se rapprocher de l’élite. Nous sommes en plein chaos sur tous les plans, et rien n’est plus contaminant que la confusion.
*
* *
La grande rétrospective de Omar Onsi ouvre ses portes demain. Amateurs de folklore à l’eau de rose s’abstenir. Ou se convertir à la vraie peinture. Ce qui précède n’est pas seulement affaire de copinage (tout ce qu’organise Sylvia Agémian au musée Sursock m’intéresse depuis toujours, c’est entendu), mais un hommage au peintre sans concessions que ses contemporains n’ont pas toujours honoré comme il le méritait.
Cela dit, vous ne trouvez pas, entre nous, que le «patrimoine», on en a, en ce moment, légèrement assez? Les publications pullulent, les journaux nous en redonnent presque tous les jours, les mondaines vont bientôt remettre le tantour à la mode, bref nous croulons sous le patrimoine. C’était ma note d’humeur...

Amal NACCACHE

(1) C’est la nouvelle façon de désigner les «naturalisés».