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Actualités - ANALYSE

Poésie et foi Abi Zeyd, Rimbaud, Thérèse de lisieux...

Un «vrai» poète «maudit» à découvrir, ce n’est pas courant. C’est le plaisir que vient de nous donner le récent volume rassemblant les écrits de Fouad Abi Zeyd. Une parenthèse: la fascination qu’il éprouvait à l’égard de Hindiyé Ajaïmy, une figure mystique maronite du XVIII siècle. On attend toujours la biographie qui rendra justice au vertigineux tourment de cette religieuse, au doute crucifiant qui a été au centre de son expérience mystique. Sa tombe est aujourd’hui oubliée dans un couvent du Kesrouan, alors qu’elle pourrait être l’un des maillons de cette chaîne de dévotion au Sacré-Cœur, qui passe notamment par Sainte Gertrude et Sainte Marguerite-Marie.
Pour Fouad Abi Zeyd, nous avons encore à le découvrir et à l’assimiler. Mais quelques passages de ses écrits suffisent à nous mettre en confiance. Sa meilleure référence reste encore cet accent rimbaldien qu’on entend dans sa prose poétique. Voici quelqu’un qui a vibré aux «Illuminations» comme à «Une Saison en enfer». Cela suffit à le rendre proche, presque fraternel.

Quelqu’un qui cherche, voilà le poète. Et qui cherche peut parfois trouver. Et une fois qu’il trouve, ce chercheur sait, en toute humilité, qu’il doit désormais se mettre au service de la vérité. Malheureusement, il n’est pas rare de voir des chercheurs s’attacher tellement à leur quête, qu’ils la préfèrent à la vérité. On les voit alors, adolescents attardés, traîner dans les limbes, cherchant à saisir les ombres. Ce n’est plus Rimbaud...

Horreur de la
littérature

Dans son carnet, Abi Zeyd dit avoir «en horreur la littérature». Comme Rimbaud, Fouad Abi Zeyd semble avoir vécu pour devenir «un opéra fabuleux», et comme lui, il fut «rendu au sol, avec un devoir à étreindre», loin de la frivolité littéraire, loin des dissertations superficielles de ceux qui ne comptent pas avec la mort.

«Horreur de la littérature». «La main à plume vaut la main à charrue». Ce n’est pas pour «gagner sa vie» que Rimbaud écrivait, mais pour tenter de dire l’indicible.

Dans la trivialité avec laquelle on peut parler de la religion, il y a une grande immaturité.

L’anti-cléricalisme à la française est ce qu’il y a de plus laid chez Rimbaud. C’est une marque de son temps, et si l’on veut, la partie de son œuvre ou son côté «complexes encore non résolus» apparaît le plus nettement.

Même «Une Saison en Enfer» contient des reflets d’une certaine immaturité personnelle — qui s’explique parfaitement —, et ce qui fait la beauté de ce texte, c’est qu’il est transfiguré par des éclats et des intuitions venus d’ailleurs.

«Alchimie
du verbe»

Cet effort pour renaître, ce saut désespéré, ce bond pour saisir l’insaisissable, voilà donc ce qui fait la beauté profonde d’«Une Saison en Enfer» et des «Illuminations», voici ce qui en fait une aventure universelle. Cet effort pour «changer la vie», ces éclats d’identité dont l’«Alchimie du Verbe» est chargée de composer un portrait, c’est aussi ce qui rapproche le poète du saint. Tous deux sont à la recherche d’une «union mystique», mais le premier le fait d’une manière sauvage, hors de tout sentier battu, sur une spirale qui n’est pas nécessairement plus vertigineuse. Cette union de renaissance, le saint l’atteint par un autre moyen. En réalité du reste, il ne l’«atteint» pas, il la reçoit et cette grâce est plus fréquente qu’on ne le croit. Il n’y a cependant pas toujours, dans le cœur d’un saint, la langue d’un écrivain. Quand la conjonction de ces deux grâces se produit, cela donne un docteur de l’Eglise.

La clef

Fouad Abi Zeyd se sentit fraternellement proche d’une mystique, Hindiyé Ajaïmy. Qu’on nous permette ici de parler de Thérèse de Lisieux, pour une raison bien simple. Les rapprochements extérieurs avec Rimbaud sont frappants: comme lui elle clôt le XIXe siècle; comme lui, une destinée fulgurante; comme lui; un génie, mais de la sainteté , comme lui «cherchant la clef». Mais alors que Rimbaud l’entrevoit, puis la perd, Thérèse la trouve et s’en saisit.
Et cette clef, c’est la charité. «La charité me donna la clef de ma vocation». De toutes les phrases de Thérèse, c’est la plus limpide. C’est le pivot de la vie. En contrepoint résonne la claire-obscure phrase d’«Une Saison en Enfer»: «La charité est cette clef, cette inspiration prouve que j’ai rêvé». Oui, l’aventure spirituelle de Rimbaud — «Par l’esprit, on va à Dieu. Déchirante infortune» —, trouve son achèvement dans la sainteté de Thérèse de Lisieux. La «vraie vie» que Rimbaud chercha éperdument dans cet ascétique dérèglement des sens qui lui permit de «jouer de bons tours à la folie», Thérèse de Lisieux le trouve par un long, raisonné et systématique règlement de tous ses sens au commandement d’amour.

Rendre utiles des
mains données

Il est de bon ton, en ce XXe siècle finissant, de persifler Dieu et de railler la sainteté, de rester horizontal, de ne plus se référer à des valeurs morales objectives, d’évoquer avec nostalgie un paganisme où il faisait bon adorer à sa guise le dieu qui nous convenait…
De bon ton de croire que la liberté consiste à entrer de plain-pied dans le cauchemar du désir, course d’ombres qui, pour beaucoup, finit au pays des Ombres. Pays haïssable que Rimbaud a fui avec horreur, mais sur lequel on disserte frivolement dans les salons littéraires, bien calfeutré dans ses petites certitudes, bien à l’aise dans son malaise…
Que ne trouve-t-on la sortie de cet enfer intellectuel, pour rejoindre l’air du large, vers lequel, j’en suis sûr, tendait Fouad Abi Zeyd. Claudel, que Rimbaud avait libéré des «imposteurs» (Taine, Renan et consorts), mettait en garde contre la trop grande facilité avec laquelle on se laisse détourner de la foi, s’éloignant ainsi d’une pureté, d’une innocence que l’on ne retrouvera qu’au prix d’une agonisante quête. Rimbaud a-t-il retrouvé la foi? Probablement, et heureusement. Mais la question n’est pas là. La question n’est pas non plus de convertir tous les poètes. La question est de libérer la liberté de tous les jougs, de trouver le sens de la vie, de rendre utiles ses mains données.

Fady NOUN
Un «vrai» poète «maudit» à découvrir, ce n’est pas courant. C’est le plaisir que vient de nous donner le récent volume rassemblant les écrits de Fouad Abi Zeyd. Une parenthèse: la fascination qu’il éprouvait à l’égard de Hindiyé Ajaïmy, une figure mystique maronite du XVIII siècle. On attend toujours la biographie qui rendra justice au vertigineux tourment de...