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Actualités - REPORTAGE

CGTL v/s gouvernement : une guerre pour la représentativité populaire

Entre la CGTL et le gouvernement, c’est depuis longtemps une histoire de conflits et de luttes d’influence. Mais ce qui semblait naturel — et contrôlé — avec les équipes ministérielles précédentes, du fait que l’un est un mouvement populaire de revendication et l’autre une autorité officielle et responsable, a atteint des proportions inquiétantes depuis l’arrivée au pouvoir de M. Rafic Hariri. On se souvient d’un pays paralysé par l’état d’urgence, décrété, il y a un peu moins d’un an, lors de la visite du ministre français de la Défense, pour empêcher des affrontements entre les travailleurs-manifestants et les forces de l’ordre. On se souvient aussi d’autres bras de fer au cours de la triste année 1996, lorsque la centrale syndicale avait organisé deux sit-ins devant la présidence du conseil, provoquant ainsi une mobilisation générale de la Seconde République et de ses immenses moyens coercitifs. Et, depuis, le chef de la CGTL ne cesse de dénoncer «le complot du gouvernement contre la centrale syndicale»... Que se passe-t-il au juste entre ces deux pôles qui dans un régime véritablement démocratique devraient se compléter pour assurer un minimum de paix sociale?
«La rue fait peur, surtout dans le monde arabe, où, le peuple brimé en général, est capable, lorsqu’il sent qu’il n’a plus d’autre choix pour assurer sa survie, de manifestations violentes». C’est ainsi qu’un observateur résume l’éternel conflit entre les travailleurs et le pouvoir. C’est pourquoi tous les régimes qui se sont succédé au Liban ont, après avoir vainement tenté de contrôler la centrale ouvrière, cherché soit à cœxister pacifiquement avec elle, soit à la marginaliser. C’est surtout durant les longues années de guerre que la CGTL a commencé à prendre une véritable ampleur, lorsqu’à son appel, des milliers de Libanais, des deux secteurs de la capitale, se retrouvaient au Musée, pour dénoncer la guerre et la partition. A l’époque (et peut-être encore aujourd’hui), la CGTL était la seule instance en mesure de regrouper des Libanais de tous bords et de toutes confessions. D’où l’hostilité que lui ont vouée les milices de toutes les régions. Aujourd’hui, la plupart des ex-milices ayant intégré le gouvernement, la guerre qu’elles menaient contre la centrale syndicale se poursuit sous des formes plus officielles.
Selon des sources syndicales, ce n’est pas par hasard que les deux ministres du Travail nommés depuis Taëf appartiennent à des partis et milices, longtemps hostiles à la CGTL. Il s’agit notamment de MM. Abdallah Amine (Baas) et Assaad Hardane (PSNS, branche des urgences).
Les pressions ministérielles sur la CGTL commencent à se faire réellement sentir dans les années 1992-1993, lorsque M. Abdallah el-Amine, alors ministre du Travail, demande aux syndicats d’organiser de nouvelles élections, afin de pouvoir y intervenir.
La CGTL, alors présidée par M. Antoine Béchara, accueille favorablement cette proposition et décide d’organiser des élections générales, de la base au sommet. Aussitôt, le ministre el-Amine commence à faire circuler des rumeurs sur son appui au rival de Béchara, Elias Abou Rizk. En même temps, Béchara est déféré devant le Parquet financier, en tant que responsable financier au port de Beyrouth.
Dans sa volonté d’affaiblir les forces puissantes au sein de la CGTL, el-Amine annonce qu’il pose un véto à la candidature de toute personne membre du bloc de gauche et écarte carrément de l’élection le chef de ce bloc, M. Hassib Abdel Jawad. Une liste de 12 personnes (le nombre des membres du bureau exécutif de la CGTL) sans aucun membre gauchiste est formée, sur les instructions du ministre. Béchara se trouve alors devant un choix: soit il accepte de la présider, acceptant ainsi les conditions du ministre, soit il renonce à la bataille. Comme le ministre menace déjà de demander à M. Elie Chaya, chef de la Fédération des syndicats de l’aviation, de présider cette liste, Béchara se décide à accepter, devenant ainsi la tête de liste officielle du pouvoir.
Mais Elias Abou Rizk, lui, ne baisse pas pour autant les bras. Grâce à des contacts personnels, il réussit à se procurer un tiers des voix et le jour des élections, le 8 juillet 1993 à l’aube, il noue une alliance avec le bloc de gauche qui possède lui aussi un peu plus du tiers des voix. C’est ainsi que la liste Abou Rizk-bloc de gauche remporte les élections au sein de la centrale syndicale, prenant de court le gouvernement.
Dès lors,les forces hostiles au gouvernement remporteront toutes les élections syndicales et professionnelles.

Opération de
récupération

Face à l’ampleur de la défaite, le président du conseil cherche à récupérer la CGTL. Il noue avec elle un dialogue qu’il veut constructif et au cours des huit premiers mois du mandat de la nouvelle équipe, la relation entre la CGTL et le gouvernement est pratiquement normale. Ce n’est qu’au début de l’année 1994 que la situation se détériore. La CGTL présente un mémorandum de ses revendications, accompagné d’une étude définissant la pauvreté au Liban. Ce mémorandum provoque un véritable choc économique et social et irrite le gouvernement. La CGTL fixe un premier rendez-vous pour une grève générale, mais à la dernière minute, au cours d’une réunion nocturne chez le président du Conseil, le gouvernement s’engage à exécuter les revendications de la CGTL. La CGTL reporte sa grève, mais le gouvernement ne tient pas parole. Le ministre du Travail annonce qu’il ne respectera aucun accord conclu avec la CGTL.
Depuis ce jour, les relations entre les deux parties sont devenues mauvaises et le dialogue a été pratiquement rompu. Il n’a été renoué qu’au début de mars 1996, lorsque le gouvernement a voulu créer le Conseil économique et social, prévu dans l’accord de Taëf, et mettre fin au statut provisoire du Conseil d’administration de la CNSS. Mais un nouveau problème a alors surgi, celui de la représentativité de la CGTL. Selon la loi, celle-ci représente la grande majorité des travailleurs, alors que le gouvernement voudrait imposer un groupe de syndicalistes qui lui sont acquis, pour marginaliser la centrale syndicale.
Depuis l’échec de sa liste aux élections du 8 juillet 1993, le ministère du Travail a, en effet, tenté de coaliser les perdants, à leur tête, M. Antoine Béchara, devenu président de l’une des deux fédérations des syndicats sectoriels, l’autre étant présidée par Moussa Nasser et regroupant les travailleurs de l’EDL, de la CNSS, de l’Office du Litani et d’OGERO. (La fédération de Béchara regroupe les travailleurs du port, les ouvriers municipaux, les usagers des Silos et les travailleurs des Offices des eaux).
Mais en raison de l’alliance entre Abou Rizk et le bloc de gauche, le groupe loyaliste est minoritaire au sein du bureau exécutif de la centrale syndicale. Le ministre du Travail (Abdallah el-Amine) a aussitôt cherché à compenser ce déséquilibre en accordant des licences à 38 syndicats plus ou moins fantômes. Ces syndicats se sont regroupés en 9 fédérations qui ont aussitôt voulu adhérer à la CGTL. Avec le groupe des perdants, ces fédérations permettraient au gouvernement de contrôler la CGTL. Mais celle-ci a refusé de les intégrer, en arguant des dispositions de la loi, les 9 nouvelles fédérations étant en effet chiites du Sud, alors que la CGTL a toujours brandi le principe de l’équilibre confessionnel et régional.
Mécontents de se voir refuser l’intégration à la CGTL, les membres de ces nouvelles fédérations ont d’ailleurs tenté d’investir les locaux de la centrale syndicale, ce qui a poussé une unité de l’armée à installer une position permanente autour de ces locaux.
Dans une tentative de détruire les arguments de la CGTL pour refuser d’intégrer les 9 nouvelles fédérations, le ministre Hardane a donné des licences à 5 nouveaux syndicats qui se sont constitués en une fédération des syndicats du Mont-Liban. Ces nouveaux syndicats sont acquis soit au PSNS, soit au ministre Hobeika soit encore à d’autres parties ayant actuellement le vent en poupe.
La CGTL continue de refuser de nouvelles adhésions, en se basant sur des questions de forme et sur des principes de base qui sont: le refus de la confessionnalisation et de la politisation de la CGTL et l’attachement à l’autonomie de cette dernière.
C’est donc l’impasse. Tant que le bureau du comité exécutif (formé de 12 membres) aura la confiance du comité exécutif (42 membres, deux pour chaque fédération), et du conseil des délégués (84 membres), le gouvernement ne peut obliger la CGTL à intégrer les nouvelles fédérations. Mais il peut faire pression, comme il l’a fait en 1993, pour la tenue de nouvelles élections, en poussant les fédérations déjà membres de la CGTL à nommer de nouveaux délégués au sein du comité exécutif, qui seraient hostiles au commandement actuel et le rendrait ainsi minoritaire. Ce n’est pourtant pas une mince affaire, d’autant que l’actuel commandement a prouvé à maintes reprises sa cohésion, de même que la CGTL est un mouvement populaire, qui constitue l’unique recours des multiples mécontents et de tous ceux qui souhaitent améliorer leurs conditions de vie. Même les fonctionnaires du secteur public, qui n’ont pas le droit de former des syndicats, appuient l’action de la CGTL et voient en elle leur bouée de sauvetage. Et plus l’action du gouvernement se fait oppressive, plus la CGTL gagne en popularité. Ne l’a-t-on pas vu récemment en fer de lance de la défense des libertés audiovisuelles et autres? N’a-t-elle pas prouvé, à travers les rencontres de l’hôtel Carlton, de l’Hôtel Riviera et du Coral Beach qu’elle peut regrouper des parties venues d’horizons et de confessions différents?
Dans sa longue guerre contre la mainmise du gouvernement sur ses institutions, la CGTL est loin de partir perdante. Elle a déjà établi un nouveau mémorandum des revendications syndicales qui sera soumis à la discussion au cours du prochain congrès annuel qui devrait se tenir en avril. Mais cela ne veut pas dire que d’ici-là, elle restera les bras croisés. Elle s’apprête déjà à protester énergiquement contre tout projet du gouvernement d’adopter de nouvelles taxes ou d’augmenter des taxes existantes. Et, là, elle est sûre d’avoir l’appui de la grande majorité des Libanais. Même si cela ne suffit pas toujours à arrêter le gouvernement...

Scarlett HADDAD
Entre la CGTL et le gouvernement, c’est depuis longtemps une histoire de conflits et de luttes d’influence. Mais ce qui semblait naturel — et contrôlé — avec les équipes ministérielles précédentes, du fait que l’un est un mouvement populaire de revendication et l’autre une autorité officielle et responsable, a atteint des proportions inquiétantes depuis l’arrivée...