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Actualités - CHRONOLOGIE

Coup d'éclat à la chambre Berry reconnaît que les pôles du pouvoir se sont partagé le paysage audiovisuel (photo)

On s’attendait hier à ce que le débat budgétaire se poursuive à la Chambre des députés dans la même atmosphère de torpeur que jeudi. Mais l’intervention de Najah Wakim a brusquement mis le feu aux poudres et provoqué un coup d’éclat de la part du président de l’Assemblée nationale, M. Nabih Berry, qui a reconnu implicitement que les pôles du pouvoir s’étaient partagé le paysage audiovisuel. Le Parlement poursuivra aujourd’hui le débat budgétaire. Quatre députés au moins doivent encore prendre la parole avant que le projet de loi ne soit voté. Dans certains milieux parlementaires, on s’attend à ce que le texte soit voté en un seul article, bien que certains députés, notamment MM. Zaher el-Khatib et Nabil Boustany, aient relevé dans son introduction des articles qu’ils ont jugés anticonstitutionnels.
Les membres du gouvernement doivent répondre aujourd’hui aux points soulevés depuis mercredi par les orateurs qui ont pour la plupart dénoncé la politique financière du gouvernement. Parmi les onze parlementaires qui ont pris la parole hier durant la séance nocturne, le plus virulent a été M. Najah Wakim, qui a vivement reproché au chef du gouvernement, M. Rafic Hariri, ses «malversations financières». Il a accusé les dirigeants du pays d’abus de pouvoir, estimant que «leurs pratiques ont conduit le pays à la faillite».

La séance s’ouvre à 19h30. Première à prendre la parole, Mme Nayla Moawad souligne, d’entrée de jeu, qu’elle approuvera le projet de budget pour deux raisons: le budget prévoit des mesures visant à développer les ressources humaines, d’une part, et, d’autre part, «le gouvernement a enregistré des acquis indéniables sur le plan de l’amélioration de la situation socio-économique». En ce qui concerne le premier point, Mme Moawad précise que les initiatives envisagées par le gouvernement, telles que la construction d’écoles techniques ou le soutien aux crédits accordés aux agriculteurs et aux industriels, ne sont pas suffisantes. «Elles doivent être complétées par un plan global visant à développer les secteurs productifs», déclare le député de Zghorta. «Il est très utile d’accorder des crédits préférentiels aux agriculteurs, souligne-t-elle. Mais si le secteur de l’agriculture n’est pas développé, ces crédits deviennent un poids».
Dénonçant l’absence de statistiques concernant le PNB ou la conjoncture socio-économique, Mme Moawad déplore que les projets de budget ne soient pas soumis suffisamment tôt aux députés pour qu’ils puissent les examiner en profondeur et suggérer les amendements qui s’imposent. Le député de Zghorta déclare dans ce cadre que l’un des objectifs d’un budget devrait être de «rétablir l’équilibre entre les différentes fractions de la société, et non pas d’approfondir le fossé entre ces fractions».
«Dans un pays qui cherche à préserver ses pratiques démocratiques, poursuit Mme Moawad, le budget devrait contribuer à assurer les conditions économiques propices à un élargissement de l’étendue de la classe moyenne (...). A cette fin, il est nécessaire de réviser et de rééquilibrer la politique douanière. Il faudrait en outre trouver de nouvelles ressources pour renflouer le Trésor, telles que le règlement des infractions à la loi sur le bâtiment». En conclusion, le député de Zghorta met l’accent sur la nécessité de renforcer les libertés publiques et individuelles dans le pays car une telle politique, précise-t-elle, a pour effet de stimuler les investissements en créant un climat de confiance et de concorde sur la scène locale. «La sécurité, indique-t-elle à ce sujet, n’est pas uniquement militaire».
Alors que les députés Jihad Samad, Jamil Chammas et Adnane Arakji se lancent chacun dans un long exposé sur les mesures qu’ils pensent être susceptibles de favoriser le développement du pays, leur collègue Mohamed Awad choisit d’axer son intervention sur des problèmes inhérents à la région de Jbeil dont il est l’un des représentants, Place de l’Etoile.
Les parlementaires les écoutent d’une oreille distraite, préférant discuter entre eux. Mais ils cesseront toute conversation dès que M. Najah Wakim se dirige vers la tribune. Le député de Beyrouth les a habitués aux déclarations fracassantes et, cette fois aussi, ses propos ne laisseront pas indifférents.
Les données et surtout les chiffres que le député fournit en commentant la politique du gouvernement sont des plus alarmants. M. Wakim qui conteste les chiffres avancés par l’Etat concernant le volume de la dette, le taux de croissance, le produit national brut et le revenu per capita affirme, en suivant l’accroissement de la dette en deux ans (45,54%), que «le montant de cette dette s’élèvera en 1998 à 19 milliards de dollars et à 25 milliards de dollars fin 1999».

Berry approuve Wakim

Il fait assumer au Pouvoir la responsabilité de la régression économique et financière, donnant divers exemples pour étayer ses propos. Contre toute attente, M. Berry prend à un moment donné le parti du député, reconnaissant qu’il y a eu partage du paysage audiovisuel entre plusieurs pôles du Pouvoir et affirmant — alors qu’il l’a toujours nié — détenir des actions dans la chaîne de télévision «National Broadcasting Corporation». M. Wakim avait auparavant rappelé les sanctions prévues dans le Code pénal en cas d’abus de Pouvoir, précisant que cet article concerne essentiellement les responsables. Lorsqu’il rappelle aussi qu’il avait, sur base de ces articles du Code pénal, attiré l’attention du Parquet sur les abus de Pouvoir, commis selon lui, par «les dirigeants du pays, des ministres et des députés qui ont profité de leurs fonctions pour partager entre eux le paysage audiovisuel», M. Berry l’interrompt. «Je reconnais que ce qu’il dit est vrai. J’espère qu’on me demandera des comptes à ce sujet. J’espère aussi pouvoir arranger les choses», déclare-t-il à la surprise générale. Sa réaction fait l’effet d’une bombe. Les applaudissements explosent dans l’hémicycle. Le chef du Législatif venait de conférer aux propos de M. Wakim une crédibilité que les loyalistes lui ont toujours refusée et de réaffirmer dans le même temps sa détermination à œuvrer pour l’édification de l’Etat des institutions.
Un peu plus tard, c’est M. Wakim qui fera exploser la deuxième bombe. Pour illustrer ses accusations sur les abus de pouvoir et expliquer «comment le Trésor est érodé à cause des pratiques des responsables» le député de Beyrouth brandit un document de la Commission de contrôle des banques. Celle-ci autorise la banque Méditerranée — appartenant à M. Hariri — à ne pas verser à l’Etat les impôts et taxes qu’elle lui doit pour pouvoir constituer des provisions devant lui permettre de couvrir le montant d’une série d’emprunts qui n’ont pas été remboursés. C’est la banque qui avait demandé cette autorisation. Selon M. Wakim qui se base sur ce document, «ces emprunts pour plusieurs millions de dollars ont été contractés par M. Hariri par le biais de la société «A-Ghadir» dont il est le principal actionnaire, par un de ses proches, MM. Mohamed Zeidan, qui doit gérer la zone franche de l’AIB et par plusieurs autres personnes dont des députés». Brouhaha dans la salle.
Des voix s’élèvent appelant à plus de précisions tandis que M. Fouad Siniora ne tient plus en place, gesticulant et protestant vigoureusement. Pour éviter un esclandre, le président de la Chambre demande à M. Wakim de lui remettre le document que les députés pourront consulter à partir d’aujourd’hui et appelle tout le monde au calme.
Le député de Beyrouth poursuit sur sa lancée axant toujours son intervention sur «la corruption de la classe politique, principale cause de la faillite de l’Etat». Il accuse l’Etat d’avoir cédé «le terrain de l’Office des chemins de fer (en bordure de la Corniche du fleuve) à une compagnie privée dont le chef du gouvernement est actionnaire et qui l’a transformé en parking. M. Siniora proteste de nouveau affirmant que M. Hariri n’a rien à voir avec cette société. M. Wakim s’élève ensuite contre «les officiels qui justifient la faillite de l’Etat par les carences ou par l’improductivité de l’administration» estimant que ce «prétexte est avancé pour justifier la privatisation des secteurs publics parmi ceux qui assurent d’importantes rentrées à l’Etat».

Des chiffres alarmants

M. Wakim accuse le gouvernement d’«avoir falsifié les chiffres du budget pour cacher la vérité au peuple sur la faillite de l’Etat». Il note que, pour la première fois, le gouvernement fait état du Produit national brut (PNB) «qui s’est élevé, selon lui, à 8500 millions de dollars à la mi-1996 contre 8000 dollars en 1995». «Si le PNB a augmenté de 500 millions de dollars en quelques mois, cela signifie que la croissance est de 2000 dollars par an, ce qui suppose en moyenne un taux de croissance annuel de 22%. Est-ce possible à l’ombre du marasme économique et alors que le gouvernement reconnaît un taux de croissance d’à peine 5% dans le meilleur des cas?» s’est-il interrogé. Il conteste également la moyenne du revenu per capita «qui est passée selon l’introduction du projet de budget de 1000 dollars en 1995 à 2600 dollars en 1996».
M. Wakim s’interroge sur le point de savoir pourquoi «le gouvernement n’a pas expliqué sur quelles bases il a avancé ces chiffres, se contentant d’en faire mention». Selon lui, «l’équipe au pouvoir veut détourner l’attention du peuple de l’ampleur de la dette qui correspond, selon ses dires, à environ 83% du PNB, alors que les rentrées ne constituent que 16% de ce produit». «S’il faut toutefois tenir compte des intérêts que nous devons également payer, nous pouvons dire que notre dette représente 142% du PNB», ajoute-t-il. M. Siniora n’arrête pas de hocher la tête en signe de désapprobation et de prendre des notes pendant que le député parle. Il tente sans succès d’intervenir lorsque M. Wakim affirme que le montant de la dette s’élèvera à 25 milliards de dollars à la fin de 1999.
Poursuivant sur sa lancée, le député dénonce «la dilapidation de fonds qui a aggravé le déficit budgétaire». Il donne une série d’exemples dans ce cadre et stigmatise notamment les travaux de développement adjugés pour des sommes «faramineuses» à des sociétés étrangères «qui les confient de nouveau et pour la moitié du prix payé à des firmes libanaises». Il dénonce aussi le fait que quelque «250 milliards de livres, puisés dans les réserves du Trésor l’année dernière, ont été distribués en pots-de-vin durant les législatives de l’été dernier».

Commission d’enquête

Il rappelle aussi que le gouvernement avait émis des Bons du Trésor en devises afin de couvrir les frais d’exécution du projet de développement des entrées de la capitale. «Aujourd’hui, on projette d’exécuter le projet de l’autoroute périphérique suivant le système BOT (Build, Operate and Transfer). Où est passé l’argent obtenu grâce à ce prêt? Où est passé l’argent amassé depuis 1995 après le relèvement du prix de l’essence soi-disant pour couvrir les charges dues à la nouvelle échelle des salaires des enseignants et des fonctionnaires du secteur public? N’avait-on pas imposé une taxe de 3000 livres sur le bidon d’essence à cette fin?», s’exclame-t-il.
Il conclut en réclamant une commission d’enquête parlementaire «formée des députés de l’opposition». Selon lui, cette commission devra enquêter «au sujet de la corruption et des abus commis par des membres du pouvoir» Les propos de M. Wakim provoquent une vive réaction de M. Chammas qui estime, furieux, que le premier ministre israélien, M. Benjamin Netanyahu, «ne parlerait pas autrement que M. Wakim pour envenimer le climat au Liban».
M. Abdel Rahmane Abdel Rahmane, député (Baassiste) du Akkar, se montre très critique à l’égard du budget et de la politique socio-économique du gouvernement, qualifiant la situation de «catastrophique».
Le projet de budget comporte des clauses «très dangereuses pour le Liban. Et certains chiffres ne sont pas en harmonie avec les priorités que s’était fixées le gouvernement il y a trois mois lorsqu’il avait promis de déployer des efforts pour résoudre la crise», déclare-t-il.
«Est-ce de cette façon que l’on trouve des solutions à la situation difficile à laquelle nous faisons face?», s’interroge le député. Très sévère à l’égard du contenu du projet de budget en particulier et des orientations économiques du gouvernement en général, M. Abdel Rahmane dénonce le fait que les salaires des fonctionnaires n’aient pas été réajustés depuis des années «alors qu’on leur demande des efforts supplémentaires». «Le divorce est consommé entre l’Etat et le citoyen», dit-il.
Selon le député du Baas, le gouvernement doit adopter un plan d’urgence visant à «lutter contre la corruption, à préserver la liberté de l’information et les libertés syndicales et réaliser la réconciliation entre l’Etat et les citoyens».
M. Abdel Rahmane refuse «catégoriquement» toute augmentation de la taxe sur l’essence pour financer les dépenses supplémentaires.
Le député dénonce par ailleurs la réduction du budget de l’Université libanaise et appelle à la désignation des nouveaux doyens des différentes facultés.

Tok: vendre l’or

M. Gébrane Tok propose, de son côté, la vente des réserves d’or de la BDL, ce qui représente un apport de 3,5 milliards de dollars. «Nous devons élaborer des lois interdisant que cet argent soit touché et nous devons le placer. Les intérêts rapporteront 250 millions de dollars par an», dit-il. Le député du Liban-Nord (Bécharré) propose aussi, pour résoudre le problème du déficit, la privatisation du secteur public et la vente des biens domaniaux.
M. Misbah Ahdab, également député du Liban-Nord (Tripoli), propose pour sa part une amélioration de la perception des impôts de manière à collecter 90% des sommes qui sont dues au Trésor. Le gouvernement doit aussi adopter l’impôt progressif. «Ces mesures sont susceptibles d’améliorer les recettes», dit-il.
Se déclarant optimiste à l’égard du forum des «Amis du Liban» de Washington, M. Ahdab indique que le Liban ne pourra pas en tirer des bénéfices «s’il n’y a pas un suivi de la part du gouvernement».
A la tribune, M. Ghassan Achkar, député du Metn, parle de tout sauf du budget. «Les experts diront que nous sortons du sujet. Mais il n’y a pas d’économie sans politique», dit-il. Il critique violemment le système libanais actuel. «La formule aujourd’hui n’est pas différente de celle qui l’a précédée, déclare M. Achkar. L’Etat est miné pas le confessionnalisme, la corruption, les vols, le gaspillage, les mafias (...). Ce n’est pas comme cela qu’on peut redresser le pays. Nous vivons toujours aujourd’hui les effets du pacte de 1943 qui n’est pas du niveau du peuple libanais. Il faut construire une autre société gérée par un Etat de droit, moderne et juste».
M. Achkar provoque les vives protestations de Mme Nayla Moawad lorsqu’il qualifie les pères de l’Indépendance de «brigands» et le Pacte de 1943 de «loufoque».
Pour Ahmed Hbous, «aucune solution sérieuse ne peut être envisagée tant que le gouvernement ne reconnaît pas l’existence d’un problème dans le pays». Le député du Liban-Nord se déclare «en total désaccord avec les orientations du gouvernement basées sur l’endettement comme cela est clairement mentionné dans l’introduction du budget». «Nous devrons adopter une politique d’austérité et nous ne devons compter que sur nos propres ressources et non pas sur l’endettement à outrance. Cette politique va aboutir tôt ou tard à la vente au privé d’une partie du secteur public», affirme M. Hbous.
Selon lui, la réhabilitation de l’infrastructure ne doit pas être financée par des prêts à court terme. «Notre infrastructure a été réhabilitée très rapidement, ce qui fait que son coût est très élevé», dit-il.
Sayyed Ibrahim Amine el-Sayyed se lance dans un arabe littéraire parfait, dans une longue analyse de la situation politique au Liban. Selon lui, le système issu de Taëf a consacré le confessionnalisme politique et «les Libanais doivent en assumer la responsabilité». «Mais qui a dit qu’en dépit des faiblesses du système, on ne peut pas le développer et l’améliorer»?, s’interroge le député du Hezbollah. «La formule actuelle n’est pas le mal absolu ou le bien absolu, ajoute-t-il. Ceux qui sont aux commandes du pouvoir auraient dû tout faire pour atténuer les aspects négatifs de la formule. Toutefois, ils ont fait le contraire. Ils ont discrédité l’Etat et ses institutions. Comment le citoyen peut-il avoir du respect pour les biens publics lorsque ceux-ci sont dilapidés par les personnes censées les gérer et les préserver»?
Le député de Baalbeck-Hermel critique sans le nommer, M. Hariri pour son «attitude négative à l’égard de la résistance». «Comment peut-on prétendre que l’on soutient la résistance mais que nous sommes contre les résistants? C’est un double discours. Le premier est adressé aux Libanais et le second à l’étranger», souligne-t-il.
A minuit trente, la séance est levée. Les députés sont convoqués de nouveau pour aujourd’hui.
On s’attendait hier à ce que le débat budgétaire se poursuive à la Chambre des députés dans la même atmosphère de torpeur que jeudi. Mais l’intervention de Najah Wakim a brusquement mis le feu aux poudres et provoqué un coup d’éclat de la part du président de l’Assemblée nationale, M. Nabih Berry, qui a reconnu implicitement que les pôles du pouvoir s’étaient...