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Actualités - OPINION

Guerre de rechange



Avec la série d’attentats terroristes qui vient de secouer les territoires libanais et syrien, le Proche-Orient, il faut le craindre, entre dans une zone de turbulences dont il serait superflu de souligner les périls: tout se passant comme si la guerre que l’on redoutait l’été dernier entre Israël et la Syrie, cette guerre que semblaient annoncer de fiévreux mouvements de troupes mais qui en définitive n’a pas eu lieu, venait soudain de commencer par décision de Tel-Aviv mais avec d’autres moyens, d’autres et inavouables méthodes.
Ce n’est pas la première fois, certes, que des véhicules piégés explosent à Damas; le temps est révolu cependant, où les «Frères musulmans» syriens, éliminés par la suite, pouvaient se livrer à de telles atrocités comme ce fut le cas au début des années 80; mis en cause dans la vague d’attentats qui s’était produite dans la deuxième moitié de cette même décennie, l’Irak, quant à lui, se tient coi et s’efforce même, depuis quelque temps déjà, de renouer avec son environnement arabe: singulièrement avec son ennemi intime la Syrie, avec laquelle il fait front commun contre la Turquie, à propos du partage des eaux de l’Euphrate. Depuis l’avènement au pouvoir de l’islamiste Erbakane, qui a vite fait d’amorcer un rapprochement avec les Arabes et même avec l’Iran, les relations se sont notablement détendues d’ailleurs entre Damas et Ankara, après être arrivées quasiment au point de rupture, à propos du dossier des autonomistes kurdes: un dossier littéralement explosif, quand on pense aux attentats à la bombe du printemps dernier dans le Nord de la Syrie, dont l’Administration américaine fut la seule, à l’époque, à faire état.
C’est dire à quel point est évidente l’implication d’Israël dans l’actuelle vague de violence criminelle dont seuls des innocents, pour ne rien changer, font les frais. Implication qui s’inscrit parfaitement, d’ailleurs, dans la logique qui est celle de Benjamin Netanyahu: non point évidemment que Shimon Pérès fût un ange de vertu, ou que son Mossad à lui — demandez aux Palestiniens — eût été moins sanguinaire que celui de son successeur. Mais sans jamais se priver de brutaliser le Liban — les sommets de la barbarie ayant été atteints avec le massacre de Cana, commis au lendemain des attentats à la bombe du Hamas contre des autobus israéliens — les travaillistes n’avaient, à aucun moment, paru remettre sérieusement en question l’influence déterminante de Damas dans ce pays. Au contraire avaient-ils tendance à voir, dans cette présence syrienne, un gage de stabilité future à la frontière nord d’Israël, une fois qu’aurait été neutralisé le Hezbollah dans le cadre d’un règlement de paix.
Dès son arrivée au pouvoir, le leader du Likoud décrète pour sa part que la règle sera désormais le calme et la sécurité pour tous, ou bien alors le chaos pour tous. Impuissant, malgré ses promesses électorales, à mettre militairement en échec le Hezbollah, Netanyahu en vient à adresser des menaces très précises aux troupes syriennes stationnées au Liban, qui sont aussitôt redéployées en position défensive dans la région de la Békaa. Dans le même temps il tente, avec bien plus d’insistance mais sans plus de résultats que Pérès, de dissocier les volets libanais et syrien de la négociation en offrant d’évacuer le Liban-Sud... mais en aucun cas le Golan. A ce projet mort-né de «Liban d’abord», absolument insensé compte tenu de l’étroitesse de l’alliance entre les deux Etats libanais et syrien, Netanyahu vient d’introduire tout aussi vainement une variante prévoyant le déploiement, à la frontière, d’une force internationale incluant des contingents égyptien et jordanien.
En portant la terreur à l’intérieur de la Syrie et de son fief libanais, Israël n’aurait donc fait que hausser —considérablement, il est vrai — les enchères, escomptant sans doute qu’à défaut d’une hypothétique négociation sur le Sud, les autorités de Damas se résigneront à agir sur le Hezbollah. A ce propos, il y a lieu de relever le comportement plutôt cavalier des Etats-Unis qui, non contents d’exiger des preuves à l’appui des accusations formulées par la Syrie — faute de quoi celles-ci seraient «irresponsables» — se seront pratiquement fait prier pour manifester leur compassion à l’égard des victimes.
Face à une telle accumulation de nuages noirs, un mot d’ordre, un seul, pouvait s’imposer au Liban: sang-froid face à l’adversité et union sacrée, malgré toutes les divergences politiques découlant de la paix incomplète. Or que fait un Etat libanais dont les capacités semblent se limiter aux plates protestations de fidélité à l’allié syrien? Tout le contraire: à peine perpétré le lâche attentat de Tabarja, le voilà qui est le premier à perdre la tête et à ratisser large dans les rangs de l’opposition chrétienne, sans trop s’embarrasser de formes légales. Bien en peine de produire le moindre indice incriminant dans cette affaire les personnes ainsi abusivement interpellées, les responsables brandissent un moment la rumeur d’une réunion avec Netanyahu dans le port jordanien d’Aqaba, puis se rabattent sur une banale histoire de tracts menaçant au plus haut point, à les en croire, la sécurité de l’Etat. Mais là aussi et même avec la plus mauvaise volonté du monde, il n’y a pas le moindre coupable à montrer à la télévision. Si bien qu’en désespoir de cause, un seul parmi les dizaines de Libanais interpellés attend encore de retrouver sa liberté: un confrère répondant à l’accusation absolument inédite de contacts avec «agents de l’ennemi », durant l’exercice de sa profession de journaliste!
Pas plus que les hommes, le ridicule ne tue les Etats; il les laisse nus cependant, quand souffle la tempête, et que la nation ressent le besoin de s’adosser à quelque chose de solide pour faire face à l’épreuve. Des gardiens constitutionnels de leur sécurité, les citoyens étaient en droit d’attendre plus de clairvoyance. L’ennemi a infiltré ses agents dans les fractions les plus diverses, d’autres groupes que les chrétiens ont bruyamment applaudi à l’invasion de 1982 et malgré la frustration actuelle, plus un seul Libanais ne voudrait encore d’une alliance avec le diable.
Cela les hauts responsables ne le savent apparemment pas, qui s’étonnent que dans un pays voué au silence, il se trouve encore des hommes de religion pour dire non à un arbitraire doublement haïssable. Car n’ayant même pas l’excuse d’une passablement intelligente raison d’Etat.

Issa GORAIEB
Avec la série d’attentats terroristes qui vient de secouer les territoires libanais et syrien, le Proche-Orient, il faut le craindre, entre dans une zone de turbulences dont il serait superflu de souligner les périls: tout se passant comme si la guerre que l’on redoutait l’été dernier entre Israël et la Syrie, cette guerre que semblaient annoncer de fiévreux mouvements de...