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Actualités - ANALYSE

L'abolition des circonstances atténuantes Quand le juge devient un fonctionnaire...


Certes, le jugement de la Cour de justice est sans recours, et par conséquent, il ne peut être critiqué. Mais comment, après la sentence dans l’affaire de l’assassinat de cheikh Nizar Halabi — condamnant quatre personnes, dont trois arrêtées, à la peine de mort — ne pas éprouver un sentiment de révolte face à cette loi de mars 1994, qui ôte au juge le droit d’accorder des circonstances atténuantes, transformant ce dernier en un simple fonctionnaire? Comme si un meurtre était un cas technique, répondant à une description précise et entraînant automatiquement la peine capitale.
Pourquoi dénoncer cette loi maintenant? Ce crime étant survenu le 31 août 1995, c’est-à-dire après la promulgation de la loi de mars 1994, la Cour de justice se trouve obligée de l’appliquer, car elle n’a pas d’effet rétroactif.
Et voilà donc les cinq plus grands juges de la République libanaise, regroupés au sein de la plus haute instance judiciaire du pays, contraints d’envoyer à la potence trois jeunes gens de moins de trente ans, coupables d’avoir tué un dignitaire religieux, dans le cadre d’une lutte inter-islamique, sur incitation d’un chef occulte qui court toujours, parce qu’il bénéficierait d’appuis puissants.
A supposer que dans un pays qui, comme le Liban, sort d’une grave période de déstabilisation, il soit nécessaire d’instaurer la peine de mort pour décourager les velléités criminelles de citoyens ayant perdu toute notion de respect de la loi et réduire ainsi la criminalité, pourquoi donc abolir les circonstances atténuantes, quelle que soit la nature du crime et l’identité de son auteur? Tout se passe en effet comme si les 5 magistrats, membres de la Cour de la justice, ou même ceux qui président les cours criminelles ou la Cour de cassation, chambre pénale, qui ont chacun, des années d’expérience en matière judiciaire, n’étaient pas à même de décider quand la justice doit être sans pitié et quand elle peut se permettre d’être clémente, et d’accorder une seconde chance au coupable.
Enfin, si le débat pour ou contre la peine de mort est voué à durer aussi longtemps qu’il y aura des hommes et des institutions, dans les pays «civilisés» qui appliquent la sentence capitale, celle-ci est décidée lorsque le crime est particulièrement horrible, (viol et assassinat d’enfants, plusieurs récidives etc...). Et elle n’est exécutée qu’après une longue période de détention, afin de voir si le coupable est récupérable pour la société ou non. En tout cas, les condamnés sont suivis par des spécialistes, qui décident si la pulsion criminelle est chez eux définitive ou non... Bref, toutes les précautions sont prises pour que la peine capitale ne soit que l’ultime recours.
Par contre, la loi du 21 mars 1994, adoptée en principe pour rassurer les citoyens et dissuader les criminels, érige en règle ce qui devrait être une exception. Elle oblige le juge à condamner à la peine de mort toute personne coupable d’un crime prémédité. Et, dans le cas de l’affaire Halabi, la culpabilité des quatre condamnés ne fait aucun doute. Mais est-ce une raison suffisante pour priver trois jeunes gens (le quatrième, Abou Mahjane étant en fuite) de la vie? Non pas que leur acte ne soit pas horrible ou condamnable, mais comment être sûr, qu’en leur donnant une seconde chance, on ne peut pas les récupérer?
Les législateurs qui ont conçu la loi de mars 1994 ont voulu un texte fort, effrayant, pour redonner de la crédibilité à l’Etat. Mais même si, comme l’affirment les responsables, le nombre de crimes s’est réduit depuis l’adoption de cette loi, une justice humaine n’est-elle pas préférable à celle qui fait régner l’ordre, au prix de la vie?

Scarlett HADDAD
Certes, le jugement de la Cour de justice est sans recours, et par conséquent, il ne peut être critiqué. Mais comment, après la sentence dans l’affaire de l’assassinat de cheikh Nizar Halabi — condamnant quatre personnes, dont trois arrêtées, à la peine de mort — ne pas éprouver un sentiment de révolte face à cette loi de mars 1994, qui ôte au juge le droit...