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Actualités - ANALYSE

Les querelles entre dirigeants, un sport national traditionnel...

Mince consolation: la mésentente entre gens de pouvoir est au Liban une tradition sacrée, aussi solide et ancienne que son pendant folklorique, ce «zajal» poétique qui met aux prises, autour d’un verre d’arack et d’un mezzé, des catcheurs du verbe.
C’est ce que rappelle un vétéran qui souligne que «même du temps où le pays n’avait qu’une tête, le pouvoir exécutif étant tout entier aux mains du président de la République, il arrivait que le chef du gouvernement lui tînt tête crânement et que le chef du Législatif eût à jouer un rôle de conciliateur. Quand la médiation échouait, le Cabinet chutait, le premier ministre était remplacé et on avait ainsi dépassé le conflit».
«Cependant sous certains régimes les crises relationnelles étaient moins fréquentes. Soit parce que le chef idéologique même du président du Conseil se trouvait être le président de la République, comme ce fut le cas pour le tandem Chehab-Karamé; soit que les deux hommes eussent des mentalités très proches, comme on l’avait pu le voir avec Frangié-Solh (Takieddine) ou encore avec le couple tranquille Sarkis-Wazzan. En général cependant les périodes de sérénité n’étaient jamais bien longues, pour la bonne raison qu’il y avait toujours en filigrane, depuis 1943, cette revendication dite «de la participation» qui consacrait le clivage entre les principales communautés du pays et qui a été à l’origine même de la réforme constitutionnelle engagée à Taëf. Dans un esprit d’égalité sinon de justice, on a ainsi voulu que le pouvoir ne reste pas l’apanage d’un seul homme et qu’il soit pratiquement partagé entre trois, sans réaliser que du même coup on introduisait sur la scène politique ce virus de la confusion qui en d’autres temps et en d’autres lieux, comme dans les triumvirats de la Rome antique ou sous le directoire en France, a provoqué le fiasco du système collégial».
«D’autant, poursuit cette personnalité à la mémoire planétaire, qu’ici l’on a voulu pudiquement camoufler les choses en prétendant que le pouvoir exécutif serait désormais affaire non plus d’individualités mais du Conseil des ministres, instance qui, en réalité, ne sert qu’à parapher les décisions déjà arrêtées par les présidents... Entre eux ou parfois séparément, ce qui provoque des querelles retentissantes comme on a pu le constater, entre autres, quand le 17 septembre dernier M. Rafic Hariri, réunissant le Conseil à Koreytem, avait unilatéralement décidé d’appliquer de suite les délais du code de l’audiovisuel et de consentir une dérogation aux médias de Hezbollah. Le lendemain même le Conseil, ballotté comme fétu de paille, était convoqué à Baabda pour suspendre les dispositions prises...»
«Le pire, poursuit cet ancien dirigeant, c’est le mélange forcé des genres auquel la «participation» aboutit. En effet, au nom d’un tel principe on ne peut de toute évidence exclure du pouvoir de décision réel une communauté aussi essentielle que les chiites. Le dialogue entre le président de la République maronite et le président du Conseil sunnite au sein de l’Exécutif a donc dû s’élargir pour englober le chef du Législatif. Ce qui gomme la règle de la séparation des pouvoirs... et du même coup son corollaire logique: la coopération entre les institutions. D’autant qu’élu pour quatre ans, assuré de la sorte de contrôler toute une législature, le président du Parlement n’a plus besoin de complaire au chef de l’Etat ou au président du Conseil comme par le passé pour rester en place. Il en prend ainsi à ses aises chaque fois qu’il estime ses intérêts lésés, en menaçant de bloquer tous les projets de l’Exécutif et de torpiller le fonctionnement du système. La République risque ainsi d’être suspendue et il faut de plus compter avec les entraves qui découlent des frictions, également fréquentes, entre le chef de l’Etat et le président du Conseil, la dernière s’étant produite lors même de la mise sur pied du présent Cabinet».
«Cela ne veut cependant pas dire, conclut ce sage, qu’il faille revenir à l’ancien pacte, lui aussi déséquilibré et vicié à la base par une conception intéressée du pouvoir, une optique conflictuelle de la pluralité. Il faut en fait sortir de ce cadre mental en implantant un décor institutionnel moderne autant que démocratique, où loyalisme et opposition seraient les résultantes d’idées politiques et non d’intérêts communautaires ou particuliers...»
Certes mais tout le monde le sait, l’évolution vers un Etat politiquement déconfessionnalisé est dans ce chaudron de dix-sept communautés une affaire de très longue haleine. Et même, à l’ombre des pratiques courantes, une mission quasi impossible. E.K.





Mince consolation: la mésentente entre gens de pouvoir est au Liban une tradition sacrée, aussi solide et ancienne que son pendant folklorique, ce «zajal» poétique qui met aux prises, autour d’un verre d’arack et d’un mezzé, des catcheurs du verbe.C’est ce que rappelle un vétéran qui souligne que «même du temps où le pays n’avait qu’une tête, le pouvoir...