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Actualités - CHRONOLOGIE

Au colloque de Paris sur l'action de l'ancien président français Hommage à Mitterrand

par Charles HELOU

Un colloque sur l’action internationale de l’ancien président socialiste français François Mitterrand s’est ouvert hier au siège de l’UNESCO à Paris. La première séance a été consacrée à l’Afrique avec comme principaux intervenants le premier ministre sénégalai Habib Thiam et l’ancien président beninois Nicephore Soglo. Plusieurs dirigeants et ex-dirigeants venus de toutes les régions du monde, dont MM. Yasser Arafat et Shimon Pérès, participeront à ce colloque de deux jours qualifié par le directeur général de l’UNESCO Federico Mayor de «salut de la communauté internationale à un de ses militants d’exception». Invité par M. Federico Mayor et M. Roland Dumas, (président de l’Institut François Mitterrand) pour prononcer le mot du Liban, le président Charles Hélou n’a pu se rendre à Paris, mais il a adressé à la conférence le texte suivant qui rappelle notamment «l’appui moral et matériel» que le président Mitterrand a toujours accordé au Liban:
Avant même de parler de l’ancien président François Mitterrand, j’aimerais citer l’opinion de son successeur qui fut parfois son adversaire, le président Jacques Chirac.
C’était, dans une oraison funèbre, prononcée à partir du palais de l’Elysée, par l’actuel président qui déclarait: «...François Mitterrand fut d’abord profondément respectueux de la personne humaine, et c’est pourquoi il a décidé d’abolir la peine de mort. Respectueux, aussi, des droits de l’homme: il ne cessa d’intervenir partout où ils étaient bafoués. Ses choix étaient clairs, et il les a toujours faits au nom de l’idée qu’il se faisait de la France».

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Alors qu’il était député et premier secrétaire du parti socialiste, M. Mitterrand manifestait ses sentiments envers nous, Libanais.
En octobre 1978, il déclarait au ministre des Affaires étrangères, M. de Guiringaux, que celui-ci était profondément injuste envers le Liban. Le texte Mitterrand était une critique, un réquisitoire à l’encontre du ministre délibérément absent de la séance parlementaire. J’étais, pour ma part, présent à cette séance parmi le public.
M. de Guiringaux avait particulièrement mis en cause notre ancien président, Camille Chamoun. Cette prise de position avait irrité une grande partie du Liban et de l’Assemblée nationale française. Alerté par le premier ministre ou même par le président de la République, M. de Guiringaux s’était gardé de venir à la séance parlementaire. Mais cette absence n’empêchait pas M. Mitterrand de le prendre à partie.
Parlant de nous, il disait: «Ces hommes, ces femmes, ces enfants dont vous discutez le bon droit, parlent, protestent et parfois pleurent en français».
Plus tard, élu à la présidence de la République, M. Mitterrand m’avait reçu à l’Elysée. Nous parlions naturellement du Liban, de la tragédie libanaise et des misères qu’elle entraînait.
Je fis cette réflexion empruntée à un livre de Mme Simone Veil: «La puissance et la grâce». «J’aurais», disait-elle, «préféré mourir».
Je parlais d’une Simone Veil déjà décédée depuis 1943 et qui n’avait que le nom de commun avec la Simone Veil devenue ministre de M. Giscard d’Estaing.
— «Simone Veil? c’est l’autre», me dit M. Mitterrand.

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En 1983, M. Mitterrand avait chargé son ambassadeur à Beyrouth, de m’informer qu’il voulait me nommer membre du Haut Conseil de la francophonie, qu’il était en train de constituer. Son messager ajoutait qu’il n’y aurait pas, le cas échéant, de remplacement pour quiconque. C’était à prendre ou à laisser.
Plus tard encore, j’avais commencé à remplir cette mission, je fus interpellé par l’un de mes amis qui assurait la publication dans un N° spécial de «L’Orient-Le Jour» où je figurais. M. Mitterrand y disait: «Au sein du Haut Conseil de la francophonie que j’ai institué il y a plus de trois ans, j’ai eu le plaisir et l’honneur de recueillir les avis et les conseils de l’ancien président du Liban, M. Charles Hélou, personnalité qui symbolise et incarne l’humanisme le plus noble: celui qui transcende les différences, les drames et les haines».
Il disait aussi:
«...Les enseignements en français n’ont jamais cessé d’être prodigués au pays de Georges Schéhadé, d’Andrée Chédid, de Nadia Tuéni et de tant d’autres...».

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A l’époque, les réunions de l’Elysée étaient l’occasion d’un déjeuner offert par le président de la République. Chaque repas me donnait l’occasion d’un échange de vues avec lui.
Je lui parlais notamment de Jean Guitton qui me semblait être le premier philosophe et théologien de son temps et qui avait fait l’éloge du président français. Celui-ci sembla m’écouter puis brusquement il me dit qu’il connaissait Jean Guitton et qu’il avait lu le livre dont je lui parlais.
A un autre moment de l’entretien, je lui dis qu’il semblait se préparer à demander un nouveau mandat présidentiel, il me dit: «Probablement non».
Le préparait-il réellement? Je ne sais pas.
En ce qui concerne le Liban, M. Mitterrand ne dissimulait pas l’appui moral et matériel qu’il nous accordait.
Ainsi je vois dans mes dossiers France-Liban depuis des années, (les années Mitterrand), un ensemble de décrets et de protocoles qui manifestaient le resserrement constant de nos relations sur le plan culturel, sur le plan technique et sur le plan financier en vertu de lois variées. En 1994, autre protocole, autre aide financière. Ces protocoles se poursuivaient à notre avantage.
Nos propos n’allaient pas toujours très loin, sauf quand je lui parlais de la situation au Liban, de la crise que nous traversions. Il ne me répondait pas sur-le-champ mais j’appris, à coup sûr, qu’à un nouveau Conseil des ministres, M. Mitterrand qui avait écouté, comme les autres membres du Conseil, l’exposé de M. Roland Dumas lui avait dit en fin de compte: «M. le ministre des Affaires étrangères, vous ne nous avez pas encore parlé du Liban et de la situation des Libanais».

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Plus tard, j’eus à lire un ouvrage de M. Alain Decaux, académicien et membre du Haut Conseil de la francophonie, chargé par le gouvernement français de divers messages pour le Liban.
M. Decaux avait passé par Rome pour venir chez nous, il avait eu une audience du pape Jean Paul II. Ce chapitre mérite absolument d’être lu dans l’ouvrage. «Le Tapis Rouge».

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En 1987, M. Mitterrand consacrait à l’un de mes ouvrages «Liban remords du monde», une préface remarquable dans laquelle il disait: «C’est au fond de la nuit que l’on trouve la lumière», «ce cri de Saint Jean de la Croix me vient à l’esprit en pensant au Liban, en lisant chaque ligne de ce livre, en réfléchissant à ce que je dois moi-même écrire ici».
«L’homme d’Etat, le poète, l’homme de foi qu’est le président Charles Hélou, nous lance un appel qui ne peut, ni ne doit rester sans réponse...».

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J’ai parcouru aussi les ouvrages consacrés par des auteurs neutres ou des hommes d’opposition concernant l’illustre disparu. Celui de M. Franz-Olivier Giesbert, qui est d’avril 1996, rapporte le propos de François Mitterrand sur Jacques Chirac en disant: «Il est sympathique et courageux, humainement c’est peut-être le mieux de tous...».
Vers la fin de 1992, je veux dire du 25 au 27 novembre, M. et Mme Mitterrand font une tournée du Proche-Orient, ils sont accueillis en Palestine, en Jordanie, à Amman... A Jérusalem, M. Mitterrand déclare: «Je pense qu’Israël conformément aux intentions qui ont été exprimées, adoptera ce que l’on appelle les «mesures de confiance» susceptibles de rendre tangible la réalité du processus de paix et donc d’encourager les différents partenaires à s’y engager pleinement».
A Amman:
«Lorsqu’Israël objecte que les Palestiniens doivent être représentés par d’autres personnes que l’OLP, nous n’avons pas, nous, de préférence. Ce n’est pas de notre ressort. Nous disons simplement: «de qui parlez-vous? quels sont ces représentants?» donc, on ne peut pas toujours récuser ceux qui existent dans l’attente de ceux qui ne sont pas encore là. C’est, si je puis dire, un processus messianique le jour où ils seront là, on verra bien».
Ailleurs, dans une autre occasion, le président Mitterrand écrit:
«L’Arabie Séoudite fait partie des pays arabes avec qui nous entretenons des relations traditionnelles. Il en est ainsi de tous les pays de la région, à l’exception depuis quelque temps de l’Irak et pour des raisons que vous savez... dès lors que la paix n’était plus possible, alors nous avons fait la guerre: cela me paraissait très logique».
«Avec la Jordanie nous n’avons jamais cessé, même pendant la guerre, d’entretenir des relations cordiales».
«Avec la Syrie, il y a naturellement le problème du Liban qui provoque rituellement un certain nombre de difficultés mais enfin nous gardons le dialogue».
«Le Yémen m’a invité à venir officiellement en visite d’Etat. C’est dire que nous avons gardé un bon contact. Nous avons des relations fraternelles avec les dirigeants égyptiens».
«A Assouane où j’aimais me promener, à l’Université francophone du Caire où j’avais entraîné Léopold Sédar Senghor, partout ailleurs j’étais accueilli avec d’excellents sentiments».
«Je ne vais pas faire le compte de tous les Etats, je parle de ceux avec qui nous avons eu des relations encore récentes. Nous ne voulons pas entrer dans l’état extrêmement complexe des problèmes intérieurs à ces pays. Nous sommes un pays démocratique et lorsqu’on reste très loin de la démocratie dans certains pays, nous n’apprécions pas. Mais nous ne sommes pas chargés de donner des leçons chaque matin en nous levant. Ils appartient aux peuples en question de décider eux-mêmes de ce qui leur convient».

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A la fin de la dernière séance du Haut Conseil de la francophonie, à laquelle j’avais participé, M. Mitterrand terminait sa propre allocution en disant: «L’important n’est pas seulement de parler une langue commune, comme le disait ici-même, au cours d’une précédente session, le président Hélou, mais de parler un langage commun».

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J’ai médité les paroles de M. Jacques Chirac au sujet de son prédécesseur. J’y ai vu des réserves à peine sensibles mêlées à des éloges considérables. Je suis sûr que les proches de M. Mitterrand et ses nombreux admirateurs, les auront accueillies avec émotion et reconnaissance.
par Charles HELOUUn colloque sur l’action internationale de l’ancien président socialiste français François Mitterrand s’est ouvert hier au siège de l’UNESCO à Paris. La première séance a été consacrée à l’Afrique avec comme principaux intervenants le premier ministre sénégalai Habib Thiam et l’ancien président beninois Nicephore Soglo. Plusieurs dirigeants et...